- Demande d’indemnités pour les victimes d’une louve enragée - Juillet 1773
Jean-Marc Moriceau sur le groupe Facebook du "Pole Rural" écrit le 28 mai 2015: "1773. Ce sont de pauvres manouvriers qui ont besoin de secours... ou ce qu'il y a derrière l'attaque d'un loup enragé".
Il poursuit en reprenant un document des Archives Départementales de la Haute-Marne
"Le nommé Simon Tirant, de la paroisse de Brennes, m'a représenté la tête et marques distinctives d'une louve qu'il a tué mais je crois nécessaire de vous faire connaître dans quelles circonstances cet homme a détruit cette louve, afin que vous ayez la bonté de proportionner la gratification au courage que cet homme a montré et aux risques qu'il a courus. Cette bête avait eu une portée qu'elle avait abandonnée, à ce qu'il paraît, depuis quelques jours, le lait était et les mamelles étaient revenues presque à l'état naturel; l'on peut présumer que cette louve, qui était jeune et selon toute apparence à sa première portée, était devenue furieuse de ce qu'on lui avait ravie.
"Ce qu'il y a de certain c'est que dans le même jour, qui est le seul où elle se soit fait connaître, elle a attaqué à 2 lieues de l'endroit où elle a été assommée le fils d'une veuve, le nommé Claude Rondot, jeune homme fort et vigoureux, qui l'a forcé d'abandonner prise quoi qu'il fût sans armes ni bâton; il en a été quitte pour de violentes cicatrices au bras et aux mains, qui étaient ses seules défenses. A quelques heures de là, elle s'est jetée sur deux mâtins, dont on en a tué un, parce que l'on soupçonnait qu'il était malade. Le maître tient l'autre en ferme et lui a fait prendre des remèdes.
"Peu de temps après, elle s'est montrée à une lieue de distance de l'endroit où on l'avait vue la première fois, où elle s'est jetée sur un homme qui traversait un chemin et elle a attaqué l'homme et son cheval sans cependant lui faire de grandes blessures. Ensuite elle est rentrée dans le bois où elle s'est jetée avec furie sur deux coupeurs: Jean-Baptiste Driège et Simon Tirant, tous deux de la paroisse de Brennes et leur a déchiré à l'un et à l'autre le visage. Le premier, Jean-Baptiste Driège, homme déjà sur le retour de l'âge, s'est défendu avec sa sape, et lui avait porté plusieurs coups lorsque Simon Tirant lui a donné sur la mâchoire un premier coup de hache, et l'a forcé à abandonner Jean-Baptiste Driège qu'elle avait renversée, mais elle n'a quitté ce vieillard que pour se rejeter avec plus de fureur sur Simon Tirant qui, quoique déchiré par cette bête au point que la peau du front descendait sur le menton, et que le nez était presque détaché du visage, a eu le courage de se relever et de lui porter un second coup de hache et lui a pourfendu le ventre. Plusieurs personnes qui étaient à la poursuite de cette bête par les ravages par lesquels elle s'était annoncée m'ont attesté les faits tels que je viens de vous les rendre. Je lui ai fait donner ainsi qu'à Jean-Baptiste Driège tous les secours qu'il a dépendu de moi comme administrateur de l'hôpital de la Charité, et aujourd'hui que leurs blessures vont au-delà des espérances qu'on en pouvait concevoir, je les y retiens pour leur faire prendre les remèdes connus dans les Essais antihydrophobiques de Mr Baudot et assurer leur entière guérison. J'ai cru devoir vous rendre compte de ces faits pour que vous ayez la bonté de venir au secours des gens qui ont été attaqués par cette louve, qui dans un seul jour, a attaqué quatre personnes et trois animaux.
"Ces gens-là ont besoin d'être encouragés et dédommagés des risques qu'ils ont courus. Le nommé Rondot est le fils d'une veuve à son aise: quelques exemptions de corvée de sa mère, qui a une charrue, suffiraient pour l'indemniser de ce qu'on a interdit tout travail à son fils pendant 40 jours, et qu'elle est forcée de le remplacer par un domestique. Pour les nommés Simon Tirant et Jean-Baptiste Driège, de la paroisse de Brennes, ce sont de pauvres manouvriers qui ont besoin de secours plus réels. Vous ne sauriez croire, Monseigneur, combien le paiement des gratifications que vous accordez pour la destruction des loups a donné d'incitation pour cet objet; l'interruption qu'on y avait apporté avait fait penser qu'elles n'auraient plus lieu mais aujourd'hui que l'on voit que vous ne perdez point de vue cet objet d'utilité publique, l'ardeur se ranime. J'ai l'honneur d'être, avec un profond respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur." De Serres. 1773 (juillet)
Source: AD Haute-Marne, C 121