Réagir maintenant pour continuer à manger de l'agneau français demain, tel est le cri d'alarme lancé par MM. Gérard Bailly (UMP - Jura) et François Fortassin (RDSE -
Hautes-Pyrénées) dans le rapport sur l'avenir de la filière ovine réalisé au nom de la commission des affaires économiques du Sénat et rendu public ce jeudi 24 janvier 2008.
Après une "photographie" du secteur, le rapport souligne sa grande précarité: baisse du cheptel et du nombre d'exploitations, atonie de la consommation, faiblesse des revenus des
éleveurs, recours massif à des importations à bas prix de pays tiers...
Il énumère ensuite les nombreux handicaps affectant la filière, et notamment la difficulté d'accès à des lieux d'élevage souvent reculés, la hausse continue des coûts de production,
l'insuffisante qualité des bâtiments d'élevage, la faible structuration des producteurs, le manque d'information et de promotion auprès du consommateur et l'inadaptation du soutien
communautaire. Il insiste par ailleurs longuement sur la menace croissante que constitue, pour les éleveurs et leurs troupeaux, les prédateurs dans les régions de montagne.
Mettant ensuite en avant les atouts substantiels de la filière, et en particulier sa grande diversité, son rôle irremplaçable dans l'entretien et la valorisation de territoires et
paysages où l'élevage ovin constitue, en général, la dernière activité avant la friche, ou encore l'authenticité et la qualité des productions, le rapport appelle à mettre en place
des mesures volontaristes pour accompagner son redressement.
Il propose ainsi de revaloriser les aides européennes à l'ovin; de réguler plus efficacement les prédateurs; de développer la formation, la recherche et l'innovation, notamment
génétique; de soutenir le pastoralisme dans les zones de montagne; de mieux valoriser l'ensemble de l'animal, en adaptant sa transformation à la demande des consommateurs; de mieux
informer ces derniers sur l'origine des produits et leur date d'abattage, par un meilleur étiquetage; de rapprocher les abattoirs des lieux de production; ou encore de conforter
les circuits courts de commercialisation.
Ce rapport, qui a donné lieu à une quinzaine d'auditions au Sénat et à cinq déplacements dans les principales régions d'élevage français, a été adopté à l'unanimité par la
commission des affaires économiques du Sénat le 16 janvier 2008.
- I - La filière ovine est économiquement fragilisée
- le cheptel français d'ovins est ainsi passé, de près de 13 millions de têtes en 1980, à 8,5 millions en 2006, soit une baisse de 23 %, les cinq dernières années ayant été
particulièrement éprouvantes;
- de 1979 à 2007, les exploitations ovines ont diminué de 197.000 à 75.000, engendrant une augmentation de la taille des troupeaux, compris aujourd'hui entre 300 et 450 bêtes;
- la consommation de viande ovine est passée, entre 1990 et cette année de 307.000 à 254.000 tonnes équivalent carcasse, soit une baisse de 5,4 à 4 kilo par habitant sur la même
période. La viande d'agneau est aujourd'hui surtout consommée par des populations plutôt âgées se situant dans les tranches de revenus supérieures;
- le prix de l'agneau a varié de façon erratique au cours des dernières années, ne cessant sur le long terme de diminuer entre les épisodes de fièvre aphteuse qui ont, eux,
soutenu les cours;
- notre pays a satisfait ses besoins en viande ovine en recourant de façon de plus en plus massive à l'import, qui représente aujourd'hui 54 % de notre consommation. Il y a là
quelque chose d'incohérent, et même de choquant, à ce que la France, qui a tous les atouts pour produire une telle viande, soit contraint à en acheter autant à l'étranger;
- les revenus de la filière ovine, pris dans leur ensemble, se situent à des niveaux extrêmement bas. Ils reculaient encore de 2 % en 2006, quand ceux de l'ensemble du secteur
primaire augmentaient de 15 %! Ils se situent en "queue de peloton", dans le classement de tous les secteurs d'activité agricole.
- II - Cette situation s'explique par les lourds handicaps que la filière doit gérer
- des lieux de production parfois difficilement accessibles. L'émiettement des parcelles, la multiplicité de leur statut, les restrictions posées par leurs propriétaires à leur
traversée, l'explosion du prix du foncier (le prix des terres agricoles a augmenté de 65 % entre 1996 et 2006) ... font qu'il est souvent difficile aux éleveurs de mener leurs
troupeaux sur les domaines pastoraux, notamment dans les territoires de montagne;
- les coûts de production ont augmenté très fortement, avec la hausse des charges d'alimentation et de mécanisation, celle des frais d'élevage dues aux contraintes sanitaires et
d'identification, et les coûts de certification;
- la main-d'oeuvre en ovins est particulièrement délicate à trouver, en raison des faibles rémunérations et des conditions de travail difficiles. L'âge moyen des exploitants a dès
lors tendance à augmenter et l'installation et la reprise à poser problème;
- la rentabilité économique de l'élevage ovin est assez faible. On constate ainsi qu'un agneau vif de 34 kilos ne permet de commercialiser que 16,8 kilos de viande, soit un
rendement inférieur à 50 % Si l'on retranche du chiffre d'affaires généré par la commercialisation de cette carcasse les divers frais intermédiaires occasionnés par les différents
postes de charge, le bénéfice net par bête s'amenuise considérablement;
- le prix de vente au consommateur final de l'agneau est supérieur à celui des autres viandes, même si le prix payé au producteur n'a pas varié depuis une trentaine d'années.
Viande chère, l'agneau n'a un taux de pénétration chez les ménages que de 60 %, soit le plus faible de toutes les viandes;
- la concurrence avec les autres pays producteurs est de plus en plus vive, notamment ceux de l'hémisphère australe, dont les facilités naturelles et les différences de
réglementation -sanitaires, sociales, environnementales...- permettent d'obtenir des coûts de production difficilement concurrenciables pour nos producteurs;
- de nombreuses contraintes administratives et techniques pèsent sur nos éleveurs: identification et traçabilité, avec l'entrée en vigueur à terme d'une nouvelle législation
européenne sur l'identification électronique, et respect du bien être animal;
- la filière souffre de sa faible structuration et de son atomisation, avec des troupeaux à la fois nombreux et encore souvent de petite taille, et une part de groupements dans
la production qui n'y est que de 56 %;
- les bâtiments et équipements d'élevage, dont le coût est élevé, ne sont en général pas de qualité suffisante, malgré le soutien d'un plan de modernisation des bâtiments
d'élevage (PMBE) qui ne parvient d'ailleurs pas à satisfaire toutes les demandes;
- la filière connaît une évolution interne assez contrastée entre élevage ovin allaitant et laitier, le second, au contraire du premier, connaissant une expansion depuis une
trentaine d'années et voyant les revenus de ses producteurs confortés;
- le réseau d'abattoirs est très insuffisamment maillé, obligeant les éleveurs à transporter leurs animaux sur de longues distances. De plus, le coût de l'abattage est
proportionnellement très élevé pour la filière, puisqu'il s'amortit sur de petites carcasses, contrairement au secteur de la viande bovine par exemple;
- les structures de recherche et développement, fondamentale comme appliquée, sont peu nombreuses et ne mettent en oeuvre que peu de programmes. L'encadrement technique de la
filière est également très réduit, et la génétique insuffisamment organisée;
- la valorisation de l'agneau est très insatisfaisante, les "bas quartiers" étant très mal exploités et sa transformation et sa commercialisation peu adaptées à l'évolution des
goûts et des attentes des consommateurs;
- les rapports de la filière avec la grande distribution sont difficiles. Principale voie de commercialisation, à 70 %, pour les produits ovins, elle capte en effet une partie
majeure de leur valeur ajoutée, et n'accorde dans ses linéaires qu'une place très limitée à la viande ovine française, privilégiant celle provenant de pays tiers;
- point très important, l'information des consommateurs est largement déficiente, qu'il s'agisse de l'origine des produits, de leur date d'abattage ou des modes de préparation.
Ceux-ci ne savent sans doute pas, notamment, qu'en achetant de la viande de Nouvelle-Zélande au rayon frais, celle-ci peut avoir jusqu'à trois mois d'âge;
- l'encadrement et le soutien communautaire de la filière est relativement précaire. Celle-ci bénéficie d'aides "premier pilier" très en dessous d'autres filières, est très
dépendante d'aides "second pilier" et relève d'une organisation commune de marché à l'avenir très incertain;
- la fièvre catarrhale ovine, dont c'est la deuxième grande épidémie, a un impact considérable: toutes les exploitations sont aujourd'hui touchées, la moitié des animaux sont
malades, les pertes économiques très importantes et le soutien des pouvoirs publics encore insuffisant;
- enfin, dernier élément de faiblesse, mais pas le moindre, les prédateurs causent un tort considérable aux éleveurs. Qu'il s'agisse surtout des loups et des ours, mais également
des lynx ou des rapaces, leur présence en France est déjà bien établie et leurs attaques délétères: 3.000 animaux victimes des seuls loups en 2006, par exemple. Et les six millions
d'euros débloqués par les pouvoirs publics pour assurer la gestion de ces espèces sauvages ne permettent pas d'indemniser de façon satisfaisante les éleveurs en étant victimes, ni
de leur donner les moyens de protection adéquats, ceux-ci apparaissant de plus en plus écoeurés et désespérés.
- III - Pourtant, malgré tous ces handicaps, la filière ovine n'en conserve pas moins de très grands atouts
- une grande diversité de types d'élevages, allant des systèmes pastoraux extensifs à l'élevage en bergerie;
- l'entretien de paysages souvent désertés, l'élevage ovin constituant très souvent la "dernière activité avant la friche". Ainsi, 80% de la production ovine est réalisée dans
des zones sèches, défavorisées ou encore de montagne et de haute montagne. Elle y préserve les écosystèmes locaux et la biodiversité, prévient les avalanches et incendies. Elle y
maintient également, y compris dans les zones les plus reculées, un tissus d'activité participant à la vie rurale;
- une relation spécifique entre l'éleveur et sa bête, surtout dans les élevages pastoraux;
- un secteur bénéficiant d'une bonne image auprès du grand public, de plus en plus sensible aux enjeux environnementaux, au bien-être animal et au développement durable;
- de très nombreux emplois induits, directs et indirects;
- un produit authentique alliant qualité et terroir, intéressant d'un point de vue nutritif, accommodable de nombreuses façons, et bénéficiant de nombreux signes de qualité.
- IV - Des mesures volontaristes aujourd'hui nécessaires en vue d'un redressement de la filière
- compenser les handicaps de façon équitable. Par rapport aux autres filières, tout d'abord: il convient en effet de revaloriser la prime "ovin" octroyée au titre du premier
pilier afin de la porter à 125 % de celle dont bénéficie la filière bovine. En effet, doivent être prises en compte les contraintes spécifiques à la filière, mais aussi sa
contribution positive à la préservation de l'environnement et à l'entretien des paysages;
- réguler les prédateurs. Il est proposé de "sortir" le loup de la catégorie d'espèce protégée dans laquelle il est classé au sein de la convention de Berne, afin d'autoriser des
tirs de régulation. A défaut, il est préconisé d'assouplir les conditions de prélèvement, en permettant aux éleveurs de les tirer sans attendre une quelconque attaque, dès lors
qu'ils se situent dans des zones à risque. Au niveau financier, il serait bon de rééquilibrer les enveloppes respectivement octroyées à la gestion des prédateurs -6 millions
d'euros- et celles bénéficiant à l'élevage ovin, et de revoir le système d'indemnisation des éleveurs victimes de prédateurs. Enfin, il est proposé de renforcer les moyens
actuels de défense des troupeaux (chiens de berger ...) et d'en expérimenter de nouveaux (pâturages mixtes, clôtures électriques ...);
- régler le problème foncier. Il faudrait favoriser le regroupement des parcelles en assouplissant la réglementation des structures, mais aussi promouvoir une gestion collective
et associative des espaces pastoraux, au moyen par exemple de conventions pluriannuelles de passage avec les collectivités détentrices des parcelles;
- développer les pôles d'excellence rurale. Il serait opportun d'exploiter réellement ces structures, afin de mettre en synergie tous les acteurs de la filière pour créer un réel
effet d'entraînement à une échelle régionale;
- poursuivre la modernisation des bâtiments d'élevage. Leur rénovation permet en effet de gagner en productivité, en respect de l'environnement, mais aussi et surtout en confort
de travail. Il faut que l'Etat renforce son effort sur le PMBE et que les collectivités s'investissent davantage;
- élargir le mécanisme d'assurance récolte. Celui-ci n'étant pas adapté à l'élevage ovin, il convient qu'il le devienne, et qu'il soit entendu très largement, afin de couvrir les
risques sanitaires et de santé animale;
- développer la formation et la recherche. Il faut aujourd'hui créer des formations diplômantes spécialisées dans l'élevage ovin et y sensibiliser les élèves dans les
établissements d'enseignement agricole, en leur présentant la profession sous une image positive. S'agissant plus spécifiquement de la génétique, il faut restructurer le système
autour d'un nombre d'acteurs limité, élargir la base de sélection ovine, et chercher à améliorer les caractéristiques bouchères et d'élevage d'un nombre limité de races;
- revoir l'organisation économique de la filière. Il faut que les producteurs se rassemblent pour être plus forts face à la distribution, d'abord en groupements de producteurs,
puis en groupements d'intérêt économique, qui permettent d'associer également la transformation;
- soutenir le pastoralisme. Il faut d'abord venir en appui au gardiennage, comme c'est le cas dans les Hautes-Pyrénées, en soutenant la formation au métier de berger et en
octroyant des aides aux bergers ou éleveurs bergers. Il faut aussi que les collectivités territoriales s'investissent dans la création et l'entretien des équipements pastoraux
en montagne: pistes, cabanes, parcs de tri, clôtures, points d'eau, signalétique pastorale...;
- rapprocher les abattoirs des lieux de production et réduire les transports. Il serait opportun que les collectivités favorisent l'implantation de petites unités d'abattage "à
taille humaine" réparties sur des "micro territoires" d'éleveurs ovins, au plus proche des lieux de production;
- mieux valoriser l'ensemble de l'animal, en s'inspirant notamment de l'exemple britannique et irlandais. Il s'agit de ne plus le proposer que sous forme d'épaule ou de gigot,
mais d'innover en commercialisant des produits originaux et adaptés à l'évolution des modes de consommation: emballages individuels, saucisses, rillettes, merguez ...;
- renforcer et personnaliser la promotion auprès des consommateurs. Il faudrait d'abord mieux utiliser les crédits européens de promotion, auxquels notre pays n'a pas assez
recours. Sur le fond, il faudrait mettre en avant auprès de consommateurs qui y sont de plus en plus sensibles le caractère naturel et durable des productions ovines et leur rôle
environnemental. Mieux expliquer les différentes façons d'accommoder l'agneau, en recourant par exemple à des grands chefs, serait aussi une voie à suivre;
- mieux valoriser les avantages comparatifs. Les contraintes de toutes sortes -sanitaires, environnementales, qualitatives, en termes de bien-être animal...- pesant sur nos
éleveurs doivent être mises en avant auprès du consommateur comme autant d'atouts par rapport aux viandes ovines de pays tiers, dont les conditions de production sont moins
strictes;
- relancer les circuits courts. Evitant les intermédiaires, ils permettent aux exploitants d'améliorer leurs marges et conviennent très bien à une clientèle de proximité. C'est à
la profession elle-même de sensibiliser les éleveurs à cette possibilité;
- préciser et enrichir l'étiquetage. Il faut absolument que le consommateur soit mieux informé sur l'origine de l'agneau qu'il consomme, et que celle-ci ne soit pas indûment
associée avec celle du lieu d'abattage lorsqu'il est différent. Il faut aussi rendre obligatoire l'affichage de la date d'abattage de l'animal, afin que le consommateur sache
qu'une viande qu'il achète "fraîche" peut avoir jusqu'à près de trois mois. Enfin, il serait utile de rendre obligatoire, sur la viande commercialisée sous une forme brute,
l'affichage du prix payé à l'éleveur.
Source: dossier de presse de la mission d'information du Sénat