Géographes, ethnologues et architectes se sont associés pour étudier l'évolution au cours des deux derniers siècles des cultures du risque dans un pays des Pyrénées centrales, le Pays Toy, régulièrement dévasté par des catastrophes naturelles
Auteur: Monique Barrué-Pastor
Editeur: L'Harmattan (3 avril 2014)
ASIN: B00LO832WK
Géographes, ethnologues et architectes se sont associés pour étudier l'évolution au cours des deux derniers siècles des cultures du risque dans un pays des Pyrénées centrales, le Pays Toy, régulièrement dévasté par des catastrophes naturelles. Cette étude, recueil de témoignages exceptionnels, de vécus et de représentations des risques qui ont jalonné la vie de cinq générations, leur donne la parole. (Un CD accompagne l'ouvrage).
Monique Barrué-Pastor est ethnogéographe, Directrice de Recherche au laboratoire LISST (Laboratoire interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires), du CNRS à Toulouse-le-Mirail. Spécialisée sur les rapports entre cultures, territoires et environnement, elle a travaillé en Amérique latine, en Afrique et en France, en ayant le souci de donner la parole aux populations étudiées, en situation de crise.
Il y a une culture spécifique à la montagne, qui présente bien des traits communs, du Tibet aux Andes ou aux Pyrénées, aussi bien dans les modes de vie, l’importance de la tradition orale, la forte solidarité de groupe, l’alimentation ou les mentalités. Fernand Braudel, qui a montré que les sociétés méditerranéennes constituaient une région commune grâce à leurs relations culturelles et commerciales anciennes, qui avaient façonné paysages et coutumes, avait fait de l’élément marin le vecteur de cette intégration. Contrairement à l’eau, les montagnes séparent. Et pourtant Braudel reconnaissait leur fonction assimilatrice lorsqu’il citait le baron de Tott qui affirmait que «les lieux les plus escarpés ont toujours été l’asile de la liberté». Les interlocuteurs de Monique Barrué-Pastor forment – je cite «une population de fortes têtes, déterminée et fière, longtemps opposée à toute ingérence extérieure, jusqu’à aujourd’hui». En témoigne ce dicton: «Un Toy ne craint que Dieu, la foudre et l’avalanche»…
C’est donc sous l’angle de la confrontation aux risques naturels que cette culture est envisagée ici. Dans ce pays situé en vallée de Barèges et dans la haute vallée du Gave de Pau, dans les Hautes-Pyrénées, ils sont nombreux: les avalanches, le premier d’entre eux, mais aussi les crues et inondations, les coulées de boue, les glissements de terrain, les éboulements de rochers. Le développement du tourisme et des sports de montagne en a produits de nouveaux, spécifiques à ces activités et étudiés dans l’ouvrage par Rémi Bénos et Johan Milian. De tous ces événements les toponymes conservent la mémoire: les canoles d’enfer, couloirs raides et étroits entre des rochers lisses, les éboulements du Maraout, la cuvette des morts ou le rocher de l’avalanche. Mais c’est surtout la mémoire des habitants ou des bergers et sa transmission orale qui conserve le souvenir précis des catastrophes, suivant l’adage qui veut que «ce qui est arrivé, même si c’était il y a plusieurs siècles, peut revenir».
«C’est l’avalanche qui a donné naissance à des principes de précaution, des pratiques et des savoir-faire à la fois très élaborés et très précis sur le plan de leur localisation territoriale», résume Monique Barrué-Pastor. L’avalanche est un phénomène terrifiant, qui va en s’amplifiant tout au long de sa descente. Elle peut dévaler les pentes jusqu’à une vitesse de 400 km/h comme un formidable raz-de-marée d’air et de neige brassés, produisant un effet de souffle dévastateur, et pouvant aller jusqu’à remonter en fin de course sur la pente opposée sur des centaines de mètres. Il y a différents types d’avalanches, les plus terribles étant celles de poudreuse, les plus prévisibles, celles de neige humides, qui se déclenchent au printemps ou en hiver après un redoux. «Véritables bulldozers de neige lourde», elles écrasent tout sur leur passage.
Depuis longtemps de grands travaux ont été entrepris, non pas pour arrêter la neige en mouvement, ce qui est impossible, mais pour empêcher les glissements sur les points où ils prenaient naissance. Pour les montagnards, la connaissance précise des événements et des lieux a permis la mise en place d’un système de veille très organisé, bien avant que la législation ne s’y intéresse, où tous les paramètres sont pris en compte: le climat, le vent, les chutes de neige et la pluie. Certains chemins sont proscrits selon les saisons ou le temps. Mais une fois que l’avalanche est déclenchée, la seule parade, ce sont les fermes et granges fortifiées qui l’assurent, témoins inscrits dans le paysage de haute montagne, avec leurs techniques spectaculaires de construction, comparables aux fortifications de Vauban. Trois stratégies différentes sont alors possibles: dévier, faire face ou s’enfouir. Dévier donne les forts et étraves en pierre ou en terre, en amont des granges, pour diviser et détourner le flux de neige. Faire face a entraîné les fortifications en cascade ou surélevées, «parmi les plus spectaculaires et les plus complexes». S’enfouir s’est traduit par un encastrement maximum dans la pente, avec des toits à une seule pente pour que l’avalanche puisse passer dessus. On peut aussi atténuer l’effet de souffle en plantant des frênes en amont. Dans tous les cas, la conséquence de l’épisode est un isolement durable, auquel il faut s’être préparé. Comme cet agriculteur, il y a un siècle, dont l’arrière petit-fils raconte encore l’histoire. S’étant levé au matin dans l’obscurité, il demande à sa femme «mais qu’est-ce qui se passe aujourd’hui, le jour ne se lève pas?», pour finalement s’apercevoir en sortant qu’ils avaient été ensevelis sous l’avalanche.
Auteur: Jacques Munier
Source: France culture du 4 novembre 2014