L'énergie éolienne est vivement contestée par des associations locales
L'énergie éolienne a bonne presse, mais, dans les campagnes, son développement suscite une contestation toujours plus vive: dans tous les coins de France où s'annoncent des pylônes de plus de cent mètres de haut, des associations se lèvent. Au Bourg-Dun (Seine-Maritime), à Pleyber-Christ (Finistère), à Roches-sur-Grane (Drôme), en Ardèche, dans l'Hérault, dans la Haute-Loire, les collectifs se créent, protestent, vont en justice, dans un rejet qui prend les écologistes à revers et les industriels par surprise.
La France compte 407 MW de puissance installée, selon l'Ademe (www.suivi-eolien.fr). Le Languedoc-Roussillon arrive en tête, avec 122 MW, suivi du Nord - Pas-de-Calais avec 59 MW
et de la Bretagne, avec 41 MW. 25% des 175 permis de construire délivrés étaient soumis à des recours devant le tribunal administratif, selon une étude de juillet 2004 du
ministèrede l'industrie.
Dans le monde, la capacité de production éolienne atteint 47.000 MW, en progression de 20 % sur 2003, selon Global Wind Energy Council. L'Allemagne est au premier rang (16.629 MW),
devant l'Espagne (8.263 MW) et les Etats-Unis (6.740 MW).
La justice s'en mêle et en plusieurs endroits a annulé des permis de construire, la dernière décision étant celle du tribunal administratif de Lille à l'encontre d'un projet de plus de 70 machines à Fruges, dans le Pas-de-Calais. "Les éoliennes sont disproportionnées par rapport à la taille des paysages, dit Jérôme Hellio, de l'Association de défense de l'environnement frugien. Elles accaparent le regard, elles ne s'intègrent pas dans le paysage, elles le font." Dans le Nord - Pas-de-Calais, plus de trois cents permis de construire sont en cours d'instruction: "Nous sommes une région urbanisée, dit M. Hellio, et ici c'est un peu le poumon vert où les citadins viennent se ressourcer. Les gens se disent qu'avec les éoliennes on va finir d'industrialiser le Pas-de-Calais."
S'appuyant sur cette résistance, notamment animée par une fédération de plus de deux cents associations locales, Vent de colère, les députés UMP Patrick Ollier, Serge Poignant et Jean-Pierre Nicolas ont déposé des amendements au projet de loi d'orientation sur l'énergie, discuté à l'Assemblée nationale les 23 et 24 mars.
Chez les industriels de l'éolien, c'est la consternation: "C'est à s'arracher les cheveux, dit Antoine Saglio, délégué général du Syndicat des énergies renouvelables, nous avons
tous été pris de court, les financiers sont épouvantés, cela va finir par des licenciements." "Toute la filière s'est développée sur un autre concept que celui porté par ces
amendements, explique Anne Lapierre, avocat au cabinet Norton Rose. Appliqués brutalement, ils risquent de tuer la filière."
Il est vrai que les éoliennes posent un problème paysager. Quelle que soit l'opinion esthétique qu'elles suscitent, elles ne passent pas inaperçues: atteignant 120 mètres de haut
avec un rotor de 80m de diamètre, une éolienne de 2 mégawatt (MW) requiert aussi une fondation de près de 600 tonnes de béton.
Les conditions économiques de l'éolien sont aussi critiquées par les opposants. L'énergie du vent bénéficie d'un prix de rachat par EDF de 8,35 centimes par kWh (kilowattheure), par rapport à un prix de référence sur le marché européen de 3,5 centimes. Cette disposition a été instituée en 2001 pour encourager le développement de cette énergie. "Le tarif de rachat de l'électricité éolienne est beaucoup plus élevé que celui des autres sources, dit Jean-Louis Butré, de l'association Vent du bocage. Les producteurs se sont jetés là-dessus, il y a tellement d'argent à se faire." Cette critique a été reprise par une note du conseil général des Ponts et Chaussées du 15 décembre 2004, non publiée, dont l'auteur souligne que ce mécanisme entraîne "une prolifération de nombreux projets disséminés sur le territoire". "Si l'on veut que les énergies renouvelables ne soient pas trop coûteuses demain, il faut investir aujourd'hui", répond Jean-Louis Bal.
Sur le plan énergétique aussi le bilan n'est pas forcément positif: "L'éolien ne suffirait même pas à couvrir l'augmentation de la consommation d'électricité d'une année sur l'autre, s'exclame Yves Verilhac, directeur du parc naturel régional des Monts d'Ardèche, à quoi cela sert-il de faire des éoliennes si on ne diminue pas la consommation d'énergie?" Effectivement, la consommation d'électricité a crû en France de 2,2% entre 2003 et 2004, selon les données du Réseau de transport d'électricité. Cela représente 10 térawattheures de plus d'une année sur l'autre autant que ce que produiraient environ 2.000 éoliennes de 2 MW!
"Il serait beaucoup plus efficace de mener un programme sérieux d'économies d'énergie par exemple l'isolation des bâtiments existants, qui ne demanderait pas plus d'argent public, ce qui ferait facilement baisser la consommation d'énergie de 10 %, soit davantage que ce que fourniraient 2 000 éoliennes", dit Jean-Marc Jancovici, consultant indépendant en énergie. Mais la politique d'économies d'énergie est laissée pour compte. L'Ademe ne peut y consacrer que 111 millions d'euros par an.
"C'est vrai, dit Yves Cochet, député (Verts), mais il faut faire les deux: mener une politique industrielle investissant massivement dans l'efficacité et la sobriété, et ensuite dans les énergies renouvelables."
Le tort des promoteurs des éoliennes est sans doute de ne pas accompagner l'installation de leurs machines d'un vrai discours sur le changement de politique énergétique, axée sur l'économie d'énergie. Du coup, l'éolien apparaît comme un simple instrument de production supplémentaire.
Pour l'heure, les défenseurs de l'éolien attendent avec anxiété le résultat des débats parlementaires. Une solution à terme se dessine sans doute, qui passe par des schémas départementaux ou régionaux, dit-on au ministère de l'équipement, et par une meilleure concertation avec les habitants.
Article paru dans Le Monde édition du 24.03.05