Comme tout écologiste bien pensant suivant la ligne dictée par les grands gourous de l'écologie sectaire dont la FRAPNA fait partie pour que Yves Verilhac, après 10 ans à la direction de cette organisation et avoir aujourd'hui directeur du Parc Naturel Régional (PNR) des Monts d'Ardèche découvre les méfaits des éoliennes sur le milieu naturel ou semi-naturel. Il lui aura fallu du temps pour découvrir ce qu'est "le bon sens".
L'interview qu'il a accordée à Actu-Environnement est éloquente quant aux raisons de cette évolution. La preuve, une fois de plus, que la plus grande méfiance doit exister vis-à-vis des associations écologistes qui partent sur des idées le plus souvent dictées par une idéologie plus ou moins politique. C'est également la preuve qu'il ne faut jamais confier des études à ces grandes centrales de l'écologie dont l'indépendance d'esprit et le dernier de leur cadet.
L'éolien industriel génère de l'iniquité territoriale, c'est ce qu'affirme Yves Verilhac un écologiste, professionnel de la nature marqué notamment par 10 ans à la direction de la FRAPNA et la lutte contre le cloisonnement du Rhône par des barrages. Aujourd'hui, il demande un moratoire pour les projets éoliens.
AE:
La demande de moratoire sur l'implantation d'éoliennes en France que vous avez initié il y a quatre mois compte près de 6.000 signataires. Pourquoi cette
démarche?
Yves Verilhac:
Ma prise de fonction de directeur du Parc Naturel Régional (PNR) des Monts d'Ardèche, dont j'avais préalablement coordonné l'élaboration de la charte, a coïncidé avec l'adoption du
premier arrêté (du 8 juin 2001) fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie mécanique du vent. L'éolien véhiculant l'image
d'un développement durable, et les Parcs naturels étant des outils conçus pour, j'étais a priori favorable. C'est la pratique de ce dossier qui m'a ouvert les yeux. Très vite nous
avons vu les limites des soit disant "vertus" de cette industrie. Et comme tout le monde nous avons dit, grâce à un schéma de développement éolien, que nous étions favorables mais
qu'il serait préférable d'ériger ces machines encombrantes de 120 mètres de haut... en limite ou mieux à l'extérieur du Parc, chez les voisins. C'est ce que font trois-quart des
collectivités ou territoires qui essayent tant bien que mal de s'organiser. Une sorte de force centrifuge, appelée autrement Nimby (not in my back yard). Dès 2008, 65 mâts avaient
été érigés dans le seul département de l'Ardèche la plupart en dehors du Parc. Mais ça continue et la pression augmente dans le parc naturel! Dans la vallée de l'Eyrieux, sur les
contreforts du Massif Central, un projet envisage l'implantation d'une dizaine d'éoliennes sur les crêtes, entre Gluiras et Saint-Genest-Lachamp. Un projet inconcevable, en ce
haut-lieu de résistance des Huguenots (assemblées du désert) où une route sommitale donne à voir toute la Chaîne des Alpes! Heureusement, le préfet vient d'en refuser le permis de
construire. Mais il n'est pas rare que les promoteurs fassent appel, et les Préfets sont relativement désarmés, ou peu enclins à résister. Sur l'ensemble du territoire français,
nous en sommes déjà à près de 2.300 pylônes. Aux vues de l'objectif du "Grenelle de l'environnement" d'atteindre une capacité de 25.000 MW électriques éoliens en 2020, 8 à 12.000
autres sont à venir. Et nous sommes de plus en plus nombreux à dire "ça suffit!".
AE:
D'où vient ce terme "éolien industriel", utilisé pour désigner ce qui est communément dénommé "ferme éolienne"?
YV:
"Ferme éolienne" est un anglicisme de "wind farmer", mais c'est surtout un véritable oxymore car ces projets n'ont rien de rural. Au contraire et c'est bien ce que je leur
reproche, ils signent la mort de la campagne! Cinq éoliennes aux pieds du massif du Mézenc, c'est Beaubourg au milieu des champs! Sur les grands plateaux bocagers agricoles du
Massif Central, on vient poser là des mats de 120m de haut qui occasionnent mouvement, bruit et pollution lumineuse. Finis les ciels étoilés! C'est un viol du territoire. Certains
n'ont pas d'autre argument que "oui, mais c'est beau". La plupart de ces donneurs de leçons ne les ont pas sous les yeux. Qu'est-ce qui leur permet de dire ça! Je leur impose mon
goût du beau, moi? J'ai vu des gens pleurer, parce qu'on avait détruit leur environnement immédiat. L'éolien industriel ne respecte même pas l'histoire des lieux. En Ardèche,
l'industrie est dans les fonds de vallée, les villages sont à mi-pente, et les pâturages au sommet. Là, où l'agriculture recule, ils érigent ces éoliennes industrielles comme les
croix d'un vaste cimetière rural! Au Puy en Velay, la FRSEA (Fédération Régionale des Syndicats d'Exploitants Agricoles) Auvergne a même constitué une société spécialisée dans les
énergies renouvelables, Agréole Développement, pour hypothéquer des terres agricoles à des fins de développement de panneaux photovoltaïques et d'éolien industriel. Est-ce la
vocation des exploitants agricoles?! Et puis, dans l'éolien industriel, il y a un côté colonisateur: le développement se fait sans logique, sans planification. On jette les dés sur
le tapis vert. On discute d'un projet de 20 mats et cinq ans après, 30 autres se dressent au même endroit sans que ça n'ait été annoncé au départ. En écologie, on ne peut pas
soutenir un projet dont on ne connaît la réalité donc l'impact final. En ce moment il n'y a de nouveaux permis déposés à Cros de Géorand (07) pour un parc pré existant. Qui va se
déplacer pour l'enquête publique en plein hiver là-haut sur le plateau ardéchois, une énième fois?
AE:
Etes vous satisfait de la perspective de classement des parcs éoliens en Installations Classées pour la Protection de l'Environnement (ICPE), comme le prévoit la loi Grenelle 2?
YV:
Peu m'importe, car avec l'éolien, on est plus dans une problématique urbanistique ou paysagère que de risque ou de pollution. On est plus dans une logique de cohérence, de greffe,
de tolérance avec le monde agricole en milieu rural. En France, on a pourtant construit des systèmes de protection des milieux naturels et des paysages. Une quinzaine de garde-fous
ont des conséquences très concrètes et très contraignantes, qui s'imposent à tout le monde. Ainsi, on a évité le mitage, construit des paysages agréables à l'oeil. Dans le Massif
central, la loi Montagne interdit de construire une maison neuve à plus de 100m d'un village ou d'un hameau. Sur les côtes, la loi Littoral s'applique. Et partout ailleurs, tous
les nouveaux projets doivent respecter les plans d'occupation des sols, les plans locaux d'urbanisme. Mais pas pour l'éolien industriel: on est en pleine iniquité! Et on détruit
des paysages extraordinaires comme ceux des PNR, dont le malheur avait pourtant fait la force: c'est parce qu'ils ont loupé les trente glorieuses, qu'ils se retrouvent aujourd'hui
détenteurs de patrimoines naturels, culturels et paysagers qui sont leurs meilleurs atouts pour un développement intelligent. Sauf si on coupe la branche sur laquelle ils sont
assis. Le développement anarchique de l'éolien industriel pose cruellement la question du devenir de nos campagnes en général, et de l'agriculture extensive en particulier.
AE:
En tant qu'écologiste convaincu, qu'est ce qui fait que vous ne vous reconnaissez pas dans l'attitude actuelle des associations de défense de l'environnement à l'égard du
développement de l'éolien?
YV:
Comme elles, je suis "pour" le développement des énergies renouvelables, mais à condition qu'il soit réalisé localement, à l'échelle humaine, des familles, des hameaux et conduit
en même temps qu'un plan national d'économie. C'est à cette échelle qu'il prend tout son intérêt. On ment aux gens en prenant des exemples de consommation dans les villages
avoisinants pour justifier des installations puisqu'il n'y a pas d'utilisation locale. Instaurons des incitations fiscales pour installer des panneaux photovoltaïques sur les
maisons neuves et réhabilitées, du solaire thermique, de la biomasse. Et considérons ces éléments comme constitutifs d'une ressource énergétique à domicile: quand ça marche, vous
vous en servez; quand ça ne marche pas, vous accédez au réseau; quand vous en avez trop produit, vous vendez à EDF. Et cessons de développer des centaines de parcs éoliens et des
milliers d'hectares photovoltaïques industriels (dont l'emprise au sol gèle des terres agricoles, et le développement pollue les prix du foncier) qui nécessitent le raccord au
réseau électrique et de nouvelles lignes à THT! Avec les pertes d'énergie qui en découlent... Je ne me reconnais pas dans les associations de défense de l'environnement favorables
au développement de l'éolien industriel. Le fait que nombre d'entre elles réalisent les volets écologiques des études d'impact (trop souvent d'ailleurs de simples inventaires)
contre rémunération m'interroge sur leur capacité à être de véritables contre pouvoirs... Comment ces associations dites de "protection de l'environnement" peuvent-elles encourager
des projets qui portent dommage à l'avifaune, aux chiroptères? Si on m'avait dit un jour que je verrai des Préfets ou des ingénieurs de l'équipement donner des avis défavorables à
des équipements aussi impactant et ce pour protéger les patrimoines, tandis qu'en face des associations dites de protection de l'environnement les cautionnent, je ne l'aurais pas
cru! Si on m'avait dit que France Nature Environnement publierait des communiqués de presse pour s'offusquer de ce que le Sénat veuille planifier et encadrer un développement
industriel (alors que nous poursuivions ensemble des promoteurs moins "impactants" devant les tribunaux administratifs) j'aurais pensé à un canular. Les naturalistes semblent avoir
fondu comme neige au soleil dans les associations au profit d'environnementalistes. Les associations elles-mêmes ne connaissent pas l'effet cumulé à terme de tous ces aérogénérateurs!
Sans parler des milliers de tonnes de béton à jamais enfouies dans le sous-sol puisqu'on n'enlève que le tiers supérieur quand on démantèle.
AE:
Le débat "pour ou contre l'éolien" semble dévier vers le débat "pour ou contre le nucléaire", un sujet écarté des discussions du Grenelle de l'environnement. Comment
expliquez-vous cela?
YV:
Pour le mouvement écologiste français, la principale motivation dans la défense du développement de l'éolien industriel semble être de "sortir du nucléaire". Or l'éolien industriel
est structuré comme le nucléaire, d'une manière centralisée. Comme pour le nucléaire, mais en pire compte tenu de la dispersion des sources de production, il faudrait pouvoir
compenser le manque de production éolienne (lors des périodes d'absence de vent) par des centrales thermiques. Et cet objectif de 10% de production électrique d'origine éolienne
en 2020 fixé lors du Grenelle de l'environnement, c'est l'histoire du tonneau percé... Globalement, la consommation électrique française est exponentielle: plus 5,8 TWh entre 2007
et 2008. Alors qu'on pourrait se fixer un objectif de 30 à 40 % d'économies d'énergie sans plus attendre. Mais on ne peut se fixer un pourcentage de capacité de production sur une
courbe de consommation qu'on ne maîtrise pas! Au résultat, la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique sera proportionnellement forcément plus faible qu'elle ne
l'est aujourd'hui. Et le reste, ce sera quoi? Du nucléaire. Alors arrêtons l'hypocrisie pour les uns et la politique de l'autruche pour les autres: si on ne change pas les règles
du jeu de la centralisation et du gaspillage représentatifs de l'éolien industriel, on aura à la fois le nucléaire et nos plus beaux paysages balafrés.
AE:
Ce qui vous dérange, c'est donc la politique publique qui entoure le développement de l'éolien?
YV:
Oui ou plutôt l'absence de politique publique: depuis cet objectif de 10 % en 2020 qui dope le développement de l'éolien industriel, on court derrière pour encadrer un
développement anarchique. C'est une course à l'échalote! C'est comme la prime à la casse: on n'a jamais autant vendu de voitures! Et puis pour faire une voiture il faut beaucoup de
pétrole... Une démarche écologique serait de faire en sorte qu'une voiture dure le plus longtemps possible... Et puis le développement de l'éolien industriel est confié à des
sociétés privées qui n'ont pas d'agrément et qui de plus ne garantissent pas le ré investissement dans l'environnement. Certaines collectivités auraient voulu créer une société
d'économie mixte (SEM) pour gérer un parc éolien mais très peu y arrivent. Par contre, je connais une collectivité qui en a eu la volonté mais qui, devant la complexité de
l'affaire, a dû confier l'exploitation du parc à une entreprise locale, bien vite rachetée par une société canadienne... Alors d'un côté, on oblige EDF à acheter l'électricité
produite par les éoliennes à un coût fixe et supérieur à celui du marché de gros de l'électricité; une opération que l'opérateur historique mène grâce à une taxe inclue dans la
facture d'électricité que le citoyen paye. De l'autre côté, n'importe qui peut investir dans des équipements industriels, jusqu'au particulier fortuné dans son jardin sous les yeux
du voisin! Et rien n'oblige ces investisseurs en herbe à s'inscrire dans un cercle vertueux, à réinvestir les bénéfices engendrés par l'exploitation du parc dans la protection de
l'environnement ou les économies d'énergie. Aussi, le tarif de rachat imposé à EDF s'apparente à un dopage, qui permet de raccourcir le taux d'amortissement de ces investisseurs. Le
moins qu'on puisse dire, c'est que c'est une branche qui rapporte, y compris pour les exploitants nucléaires.
Propos recueillis par Camille Saïsset