Nous ne reproduisons ici que les conclusions des experts sans aucun commentaire particulier. Une lecture attentive pourrait bien changer certaines idées reçues.
L'aménagement de la R.N. 134 constitue un projet difficile et complexe pour de multiples raisons:
Nos propositions tiennent compte de cette situation pour avoir quelque chance d'être appliquées. Elles ne sont pas pour autant des solutions de compromis.
Les aménagements que nous proposons constituent un cahier des charges minimal par rapport à ce qui nous a été demandé par les ministres de l'Environnement et de l'Equipement, à savoir préserver l'intégrité des paysages (le cadre des activités humaines) et des systèmes écologiques de la vallée (gave d'Aspe, faune sauvage,ours).
7.1 - L'énoncé des principes qui doivent guider l'étude du projet est un point essentiel de notre proposition. Il s'agit en toute circonstance de situer le projet routier dans une finalité d'aménagement de la vallée d'Aspe. Ce projet global associe dans notre esprit données économiques, sociales et environnementales et induit les règles suivantes en ce qui concerne le problème qui nous occupe:
7.2 - L'application de ces principes aux diverses sections du tracé, compte tenu des variantes liées aux décisions relatives à la voie ferrée et à l'ours, constitue le deuxième point de notre proposition. Le résultat en est fréquemment divergent par rapport aux études menées par la D.D.E. Il tient pour l'essentiel à une optique du rôle de l'ouvrage dans son environnement et à des priorités différentes - encore que nous aboutissions à des conclusions proches en ce qui concerne les déviations d'agglomérations et le site de la voie ferrée.
Le projet d'aménagement de la R.N. 134 est complexe d'un point de vue strictement technique. En de multiples endroits la vallée est étroite, la route est souvent coincée entre le gave et la voie ferrée, la voie ferrée et la montagne, le gave et la montagne; le relief est très marqué. Aussi, à partir des idées générales qui sous-tendent nos propositions et leur réalisation concrète, il sera nécessaire de réaliser des études détaillées et d'avoir un suivi pour assurer une grande qualité des travaux. Le projet d'aménagement de la R.N. 134 peut être (ou doit être?) un projet d'aménagement exemplaire au niveau national, voire européen. L'enjeu est de réaliser une infrastructure routière qui permette un développement local et régional en favorisant les échanges et les communications internationales tout en préservant des paysages de qualité et en fournissant l'opportunité de sauver une des dernières populations du dernier grand fauve de la faune d'Europe occidentale.
7.3 - Nos propositions d'aménagement pour mieux intégrer la route dans le paysage et protéger la faune sauvage augmentent le coût global de l'opération. Ces propositions seront d'autant mieux reçues qu'elles seront intégrées dans un projet global d'aménagement de la vallée à la fois sur le plan économique et sur le plan écologique. Les paysages résultat d'une gestion millénaire de la montagne intégrant pastoralisme et faune sauvage constituent une richesse potentielle importante Pour les habitants de la vallée. il leur appartient de savoir la valoriser de manière dynamique sans taire de la vallée ni un zoo ni une réserve d'indiens. Il en est de même pour le patrimoine historique et archéologique qui mérite d'être protégé et mis en valeur. Un gros effort doit être fait sur le plan économique. Les aménagements de la route et du tunnel constituent pour nous une des dernières chances de poser convenablement le problème de sa survie et de drainer les moyens nécessaires pour mettre en oeuvre une politique de gestion des populations ursines.
7.4 - L'ensemble des aménagements nécessaires pour améliorer la R.N. 134 dans la vallée d'Aspe ne pourra être réalisé que progressivement. De toute façon le niveau des études à réaliser doit changer complètement d'échelle et être beaucoup plus complexe. Les études doivent être détaillées, donc plus longues.
Déviations d'agglomérations. A Bedous, il convient de réaliser une étude détaillée de l'itinéraire de la déviation le long du gave Le lit majeur de ce dernier doit être évité par les aménagements routiers.
Pour Etsaut, la réalisation de la déviation pose le problème du choix politique nécessaire quant à l'avenir de la voie ferrée.
La déviation de Cette-Eygun ne pose pas de problèmes autre que la suppression de trois constructions.
Pour Urdos, compte tenu de la multiplicité des problèmes posés (pont d'Urdos, raccordement en amont en raison du dénivelé), une étude détaillée est nécessaire sur la base de nos propositions. Cette déviation pourrait être la dernière réalisée.
Aménagement des points de passage difficile. Nous ne les citerons pas tous ici: pont de Sarrance, passage sur la voie ferrée au sud de Sarrance (PR 87,100 à 87,300), virage de Brouca, virage de Bordenave...
Ces aménagements seront menés parallèlement aux déviations. Réalisation de la voie d'accès entre Urdos et le pied du col du Somport. Cette portion est très délicate compte tenu de la pente très raide du versant de la vallée; l'impact de la route sur la qualité du paysage risque d'être important et les précautions exposées dans le cahier des charges doivent être strictement respectées. L'étude de ce tronçon et sa réalisation doivent être traitées avec une attention particulière.
Il apparaît souhaitable à la mission de n'engager les travaux de cette section qu'après la réalisation des trois déviations de villages citées plus haut,
Aménagement progressif des sites CEMAGREF destinés à favoriser les passages de la faune sauvage et plus particulièrement de l'ours (cf. nos priorités dans le cahier des charges), Ces aménagements seront fonction de la rapidité de la définition, de la mise en place et du succès d'une politique de gestion de la population d'ours. Compte tenu de l'histoire de la protection de l'ours dans la vallée, les autorités concernées ne pourront pas se contenter d'en référer à des textes existants. Cela ne sera possible qu'en renouant le dialogue sur le terrain. Nous l'avons déjà dit et nous le redisons en conclusion, nous retirons de nos entretiens l'intime conviction que "la majorité des acteurs concernés par ce problème souhaite sincèrement qu'il demeure des ours dans les Pyrénées". Les Aspois ont su conserver les derniers ours des Pyrénées. Il est important de les aider à les garder tout en leur permettant d'exercer leurs activités économiques et culturelles traditionnelles.
était impossible dans le délai imparti, avec les moyens mis à la disposition de la mission et compte tenu de la complexité du problème, de chiffrer l'ensemble du projet revu et modifié.
Il était également impossible de chiffrer l'alternative: avec ou sans voie ferrée. Les raccordements nord des déviations d'Etsaut et d'Urdos sont tellement complexes que l'estimation aurait nécessité des études détaillées de chacune des solutions, ce qui était exclu.
Le problème étant plus simple, on s'est efforcé par contre de fournir un bilan approximatif des mesures proposées en faveur de la survie de l'ours.
Rappelons la synthèse des dispositions proposées
7.5.1 Seront différés tous travaux routiers de la R.N. 134 sur des sections nécessitant décisions (soit ours, soit voie ferrée, les deux se recoupant parfois):
Total: 5.700m.
Seront entrepris immédiatement les études et les travaux de Brouca (200m) et de Bordenave-Sarrot du Mirail (250m) de tunnels ou tranchées couvertes, soit au total 450m.
Coût: environ 45 millions de francs (sur la base de 100.000 F/ml de tunnel) ce qui parait un prix plancher compte tenu des incertitudes en matière de géologie en particulier.
Seront étudiés en vue de leur réalisation éventuelle, progressive, lorsque auront été prises les autres décisions "assurant la survie et le développement" de l'ours:
coût: 82 millions de francs (sur la base de 100.000 F/ml de tunnel et 80.000 F/ml de galerie couverte). Il s'agit de prix très approximatifs plutôt dans le bas de la fourchette.
7.6 - Pour réaliser ce projet, il est indispensable qu'un climat de discussion s'instaure et que les méthodes de travail soit modifiées. En effet:
7.6.1 - Nous avons ressenti la situation de la vallée d'Aspe comme totalement bloquée du point de vue du jeu social entre les différents acteurs. Les habitants sont divisés sur les aménagements. Une grande majorité y est favorable mais une partie non négligeable y est fermement opposée. Les maires des communes concernées ne parlent pas d'une seule et même voix.
Nous avons déjà souligné le manque de relation entre le niveau local de la vallée d'Aspe et le niveau béarnais. Il nous a fallu rencontrer les maires et les habitants pour entendre parler des nuisances éventuelles de la route par rapport à l'agriculture locale.
A Pau les responsables sont essentiellement préoccupés par les échanges avec l'Aragon, ceci se comprend et fait partie de leurs attributions.
La situation restera bloquée encore longtemps si le projet routier n'est pas intégré dans un plan de développement économique qui concilieles intérêts du Béarn et de la vallée
7.6.2 - Sur le plan de la protection de la nature et plus particulièrement de la sauvegarde de l'ours la situation est encore plus inextricable. Entre les habitants, les élus locaux et les associations de protection de l'ours un climat détestable s'est installé.
Les habitants se sentent totalement déconsidérés par les attaques dont ils sont l'objet. Ils ne comprennent pas pourquoi les protecteurs les considèrent comme les responsables de la disparition de l'ours dans les Pyrénées alors qu'ils ont le sentiment profond d'être les derniers à avoir su les conserver.
Toutes les mesures visant à restreindre la fréquentation des zones à ours sont perçues comme autant de contraintes par les habitants.
Nous avons le sentiment qu'aucune politique de revitalisation de la population d'ours ne pourra réussir sans une association étroite de la population locale aux décisions. Les Aspois sont fondamentalement attachés à l'ours qui fait partie de leur patrimoine écologique et culturel. Nous les avons sentis prêts à accepter des contraintes importantes dans la gestion de leurs ressources pastorales, forestières et cynégétiques. Mais cela ne se fera pas sans des négociations basées sur un respect mutuel. L'expérience apportée par Christopher Servheen dans le Montana est à ce sujet exemplaire.
Ce qui nous a peut-être surpris le plus, c'est le débat surréaliste qui existe dans le clan des protecteurs de l'ours. Le tunnel et la route c'est la mort de l'ours. Faut-il intervenir directement ou pas pour revitaliser la population? Faut-il passer au nourrissage? Faut-il réintroduire des individus? Quelle doit être la provenance de ces ours?
Pour la mission la situation est claire et ces débats semblent dépassés. Nous l'avons écrit à plusieurs reprises l'ours des Pyrénées est condamné à disparaître dans les vingt ans qui viennent quoi qu'on fasse pour protéger son habitat. C'est un simple problème de dynamique de population (cf. le rapport de MM. Servheen et Huber); 8-10 ours au sexe ratio déséquilibré ne peuvent plus se rencontrer avec une probabilité suffisante pour assurer leur descendance.
Alors pourquoi tant de débats inutiles? La survie d'un ours "naturel et génétiquement pur" dans un milieu "naturel" est un leurre. La réintroduction de l'ours est, de l'avis des experts compétents et neutres, la seule solution pour restaurer la population. L'aménagement de la route et le percement du tunnel ne constituent en aucun cas la clé de la survie de l'ours. Par contre, c'est tout au moins l'avis de la commission, ils constituent l'occasion unique de mettre tous les responsables au pied du mur en vue d'engager en parallèle aux aménagements routiers, une véritable politique de gestion des populations d'ours. Passer de la protection à la gestion de l'ours demande le courage de reconnaître l'échec de la politique de protection. Mais c'est aussi le moyen de conserver des ours dans les Pyrénées.
7.6.3 - Notre dernière remarque portera sur la manière dont les études ont été conduites. Nous ne reviendrons pas sur les qualités esthétiques et écologiques des premiers aménagements effectués aux Fontaines d'Escot. Réaliser la route la plus économique possible conduirait à reproduire les mêmes erreurs: utilisation intensive du lit du gave grandes tranchées en ignorant le caractère particulier de la vallée d'Aspe. Il y a lieu ici plus qu'ailleurs de s'entourer des compétences et des conseils habituels pour ce type d'opérations (paysagistes, spécialistes de l'environnement...). Nous ne mettons pas en doute les capacités des agents de la D.D.E. Nous avons beaucoup travaillé avec eux et nous avons pu apprécier leurs qualités et la pertinence de leurs propositions. Mais il s'agit d'adopter pour cette opération d'axe routier, un niveau d'étude beaucoup plus fin et performant que celui adopté jusqu'à ce jour. Les temps changent, certaines habitudes vont disparaître. La mission souhaiterait que l'aménagement routier de la vallée d'Aspe puisse servir d'exemple quant à la sensibilité des agents de l'Equipement aux problèmes d'environnement générés par la construction d'une route.
7.7 - Pour toutes ces raisons, il semble nécessaire à la mission:
A cette fin les procédures réglementaires actuelles devraient être largement utilisées en vue d'associer ensemble les intéressés à ce projet difficile mais indispensable.
7.8 - Le présent rapport rassemble un certain nombre d'éléments de réflexion sur un problème délicat et conflictuel. Pour que ce travail contribue à faire évoluer la situation, la mission exprime le souhait que ce rapport soit rendu public et largement diffusé auprès de tous les partenaires concernés.