Le Dauphiné Libéré dans son édition du 22 février 2009 pose 10 questions à Jean-Marc Moriceau, auteur de "Histoire du méchant loup - 3.000 attaques sur l'homme en France (XVe-XXe siècle)" et à Armand Fayard, conservateur du muséum d'histoire naturelle de Grenoble.
Le loup abattu la semaine dernière par un chasseur du Petit-Bornand-les-Glières a relancé le débat autour de cette espèce protégée dans les Alpes. Et ce ne sont pas seulement les "pro-loup" et les "anti-loup" qui ont réagi auprès de notre rédaction, mais des lecteurs s'interrogeant sur cet animal et sur sa présence dans nos montagnes. Deux experts nationaux, Armand Fayard et Jean-Marc Moriceau, confrontent leurs connaissances en répondant aux questions les plus fréquemment posées.
Armand Fayard:
"La peur ancestrale du Loup est symbolique de la crainte innée des hommes envers les animaux sauvages et, depuis l'émergence de la religion judéo chrétienne en Occident, la représentation terrestre
du Diable."
Jean-Marc Moriceau:
"En raison de l'histoire des rapports entre l'homme et le loup: longtemps adversaires, ils ont entretenu une peur réciproque selon l'évolution des rapports de force entre l'un et l'autre. Et on a
longtemps confondu deux types d'attaques de loups: celles des animaux enragés qui défiguraient leurs victimes et celles de véritables prédateurs qui les consommaient effectivement."
Armand Fayard:
"Ce n'est pas dans le sens précis du terme, un mythe, mais une légende née de l'observation, durant les grandes périodes de famine et les guerres passées, des charognards, chien-loup-vautour-corbeau,
venant se nourrir sur les cadavres."
Jean-Marc Moriceau:
"Non, elle correspond à des réalités mais déjà anciennes pour la France. Pendant des siècles il y a eu de 100 à 300 morts par an à cause des loups et parfois davantage notamment à la fin du XVIIe
siècle à l'époque des Contes de Perrault. De 1570 à 1830, les preuves d'attaques de loups prédateurs abondent mais après, ce sont surtout des loups enragés."
Armand Fayard:
"Pour un randonneur, il n'y a pas plus de raisons que celles d'avoir peur d'une avalanche, d'une chute de pierres, d'une rencontre avec un déséquilibré... Par contre, il faut avoir conscience que
dans tout espace inconnu, non maîtrisé, il y a potentiellement de multiples dangers. Pour un enfant, la probabilité est extrêmement faible, bien inférieure à celle d'un chien, mais elle ne peut
être nulle."
Jean-Marc Moriceau:
"Pour un randonneur, en principe, non, car une population de loups qui recolonise un territoire est extrêmement timide et discrète. Mais il ne faut jamais exclure un risque. Et la contamination par
la rage, aussi rare qu'elle soit, n'est pas entièrement impossible. En tout cas, il faut rester prudent. Pour un enfant, oui, mais dans des conditions très particulières et des circonstances très
peu probables aujourd'hui en France (enfant sans surveillance et perdu dans un environnement hostile, perçu comme une proie facile par un grand loup particulièrement hardi)."
Armand Fayard:
"A ma connaissance non mais la Russie est un grand pays où les loups sont nombreux et où un incident entre un loup et un homme ne fait peut-être pas la une des journaux."
Jean-Marc Moriceau:
"On ne les connaît pas toutes et elles sont plus souvent le fait de loups enragés que de loups mangeurs d'hommes. Cependant, il y a eu effectivement quelques attaques de loups prédateurs sur l'homme,
notamment en Espagne (1957-1959 et 1974-1975), en Roumanie, en Russie (environs de Kirov entre 1944 et 1953), en Lettonie (en 2000) et en Biélorussie (en 1995-1996)."
Armand Fayard:
"Non, seules les personnes mal renseignées ou obtuses peuvent encore dire cela."
Jean-Marc Moriceau:
"Non, tous les scientifiques s'accordent à dire qu'il est revenu naturellement depuis l'Italie à partir du moment où son statut d'espèce strictement protégée a favorisé son essor démographique."
Armand Fayard:
"Vu sous l'angle du regard humain, notre environnement est certes très urbanisé; mais sous celui de l'animal sauvage, il y a encore des espaces où il peut s'installer plus ou moins durablement.
Ce qu'il a fait à partir de la bonne dynamique de reproduction des populations italiennes."
Jean-Marc Moriceau:
"Le loup va partout et il s'adapte à tous les milieux: en 1800, il y avait 15.000 à 20.000 loups en France de la Bretagne aux Vosges et de l'Ardenne aux Pyrénées."
Armand Fayard:
"Le loup existe naturellement, depuis fort longtemps, dans de nombreuses régions de la Planète. Dire que la cohabitation loup-homme y est harmonieuse serait faire preuve d'un optimisme déplacé.
Mais oui, elle peut être possible, si notre société accepte d'accéder à d'autres valeurs que celles de vouloir régenter, dominer, modifier la Nature et la transformer en un jardin planétaire."
Jean-Marc Moriceau:
"L'opération est quasiment impossible. Selon la position que l'on a à l'égard du retour de l'animal, on émettra un avis davantage positif ou négatif. Tout ce que l'on peut dire est que l'homme ne
peut favoriser ce retour sans en supporter aucune conséquence. Cette cohabitation est très difficile en raison de nos modes de vie et de gestion du territoire."
Armand Fayard:
"Cela est très variable, de quelques mètres à plusieurs kilomètres en fonction de la saison, de la période de reproduction, de l'âge, de la nourriture disponible..."
Jean-Marc Moriceau:
"Il peut parcourir 100 km selon la topographie et les circonstances."
Armand Fayard:
"La peur de l'homme est une caractéristique comportementale présente chez la plupart des espèces animales. Cet aspect inné qui relève de la génétique a été renforcé chez le loup par la pression
exercée sur l'espèce durant des siècles."
Jean-Marc Moriceau:
"Oui en général."
Armand Fayard:
"Une meute correspond à un groupe de plusieurs individus composé d'au moins deux adultes mâle et femelle et de plusieurs jeunes. Pour s'installer durablement, il faut alors des conditions favorables
d'abri, de nourriture, de déplacements dans le domaine vital, et que le territoire, ou zone de reproduction, soit relativement tranquille."
Jean-Marc Moriceau:
"Qu'elle y trouve suffisamment de proies pour subsister, à commencer par le gibier... Mais aussi les animaux d'élevage."
Propos recueillis par Jennifer PARISOT
Source: Le Dauphiné Libéré - Paru dans l'édition 74D du 22/02/2009
Jean-Marc Moriceau est professeur d'histoire moderne à l'Université de Caen et président de l'Association d'histoire des sociétés rurales. Il est notamment l'auteur de "Histoire du méchant loup - 3.000 attaques sur l'homme en France (XVe-XXe siècle)", Paris, Fayard, 2007 (2e éd. augmentée 2008).
Armand Fayard est le conservateur du muséum d'histoire naturelle de Grenoble, qui a réalisé une exposition intitulée "Le retour naturel du loup dans les Alpes interpelle notre société", et édité l'ouvrage "Le loup et l'homme", qui évoquent, de la mythologie aux dernières connaissances scientifiques, la complexité des rapports mutuels entre le loup et l'homme.
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Bibliographie sur le loup