Beaucoup de monde parle de loup sans l'avoir jamais vu et encore moins photographié sauf... mort. Cette fois, c'est un berger qui a eu la présence d'esprit de fixer l'image
des loups qui allaient attaquer son troupeau. En zoomant la photo, nous pouvons parfaitement voir les loups qui attendent le meilleur moment pour attaquer. Evidemment, l'attaque,
nous ne la verrons pas. Dans ces moments là, le berger cherche d'abord à protéger son outil de travail. Laurent Garde, écologue au
CERPAM a recueilli le récit du berger, Philippe Lemoine, que nous reproduisons ci-dessous.
Il est regrettable que des militants écologistes se permettent d'engager la polémique sur un tel sujet.
Le 6 novembre 2010, Philippe Lemoine, le berger de la montagne de Céuze dans les Hautes-Alpes, garde son troupeau. Il fait beau, c'est le début de l'après-midi. Sur ce bas d'alpage, le terrain est dégagé, facile à garder, facile à surveiller dans ce massif où les loups ont fait leur apparition depuis deux ou trois ans. Il reste 700 brebis en fin de saison, les autres sont déjà redescendues. Auprès du troupeau veille avec le berger ses trois chiens de conduite, l'un de ses deux chiens de protection, et un âne sur lequel il compte pour donner l'alerte et impressionner les loups.
C'est alors qu'il voit sortir des buissons, à une centaine de mètres, un, deux, trois, sept loups qui commencent à encercler son troupeau en longeant un sentier en contre-haut. Il est saisi de stupeur. Certes, l'année dernière, il a déjà vu un loup dans les mèmes circonstances. Mais sept loups en mème temps! Il sort son appareil photo et il parvient à en fixer six sur le cliché. Il est 14 h.
A ce moment déboule une randonneuse avec son chien face aux loups. Stupeur et affolement de la dame. Les loups repassent la crète. Le berger, inquiet, rassemble son troupeau serré et redescend vers les prés. Précaution inutile. C'est deux heures après que les loups attaquent. En plein jour, par un beau soleil, un temps calme, sur un terrain parfaitement dégagé, près d'un hameau et d'une route goudronnée, en présence du berger, de quatre chiens et d'un âne utilisé comme animal de protection. Ils sont deux sur une brebis, l'un à la gorge, l'autre lui déchire les entrailles. Le chien de protection, une jeune femelle qui a aboyé toute la nuit face aux loups ne bouge pas, comme tétanisée. Il faut que le berger arrive sur les loups à moins de 30 m pour leur faire lâcher prise. La brebis est encore vivante...
Traumatisé, le berger ramène ses bètes au parc de nuit et appelle les éleveurs ainsi que l'administration pour le constat. On est samedi, les gardes monteront le lundi, d'ici là il faut préserver la carcasse des charognards pour pouvoirètre constatée, le berger amène sa remorque et la retourne sur la brebis morte.
Le lendemain, jour de brouillard. L'un des éleveurs est monté soutenir le berger. Inquiets, les deux hommes sortent le troupeau à proximité immédiate des chalets, sur d'anciens prés de fauche pour mieux surveiller les bètes à un endroit où il passe du monde. Cette fois, les deux chiens de protection sont présents avec les trois chiens de conduite. Ce qui n'empèche pas les loups d'attaquer à nouveau. La veille ils ont été privés de leur proie. Ce jour ils changent de tactique, et malgré les deux hommes et les cinq chiens courant, hurlant, aboyant, ils coursent une brebis à l'écart vers les bois et les ravins pour la consommer tranquillement. La carcasse ne sera pas retrouvée.
C'en est trop. La coupe est pleine. Les éleveurs enferment leurs bètes et décident de les rapatrier à l'abri, deux semaines avant la date prévue. En urgence, il faut les trier. Les compter. Renoncer au camion qui avait été réservé et multiplier les voyages avec la petite bétaillère de l'un des éleveurs. Organiser l'accueil des bètes sur le site de transhumance hivernale où les brebis n'étaient attendues que 15 jours après, dans les Bouches-du-Rhône. Le 9 novembre, le démontagnage est terminé après trois jours de travail d'urgence qui désorganise le planning des éleveurs et des gestionnaires.
Le berger a 54 ans. Il est très expérimenté. C'est sa cinquième saison de garde sur la montagne. Il accompagne les brebis en permanence tout au long des heures de pâturage.
Depuis l'arrivée des loups, il rajoute des heures de surveillance au moment où les bètes chôment aux heures chaudes de la journée. La nuit, il double l'enclos en grillage d'un
parc en filets pour que les loups n'affolent pas les bètes "Ce n'est plus une vie. Maintenant, c'est 300 à 400 heures de travail par mois. Tu n'as plus le temps de rien, de
faire ta vaisselle, de voir des gens. Le stress, je prends des cachets pour dormir. L'aide-berger, ça n'est pas possible, on le loge où, la cabane est petite, à mon âge, c'est
pas évident de cohabiter avec quelqu'un avec qui t'as pas forcément d'affinités."
Sur cette montagne, le groupement pastoral s'était engagé sur
un contrat agri-environnemental pour la gestion des habitats remarquables
de ce site Natura 2000.
Que faut-il faire désormais face à des loups qui ignorent toute crainte? Que faut-il faire de plus dans les alpages quand la quasi-totalité des troupeaux disposent déjà d'un berger permanent et, bien souvent, d'un aide-berger? Que faut-il faire de plus dans un contexte où la grande majorité des troupeaux attaqués par des loups sont surveillés par des chiens de protection? Que faut-il faire de plus alors que la moitié des attaques de loups se produit désormais en plein jour dans les Alpes du Sud et que ni la présence des hommes, ni celle des chiens ne les découragent?
Auteur: Laurent Garde - CERPAM - 23 décembre 2010
Nota: Laurent Garde est écologue au CERPAM (Centre d'Etudes et de Réalisations Pastorales Alpes Méditerranée pour la gestion des espaces naturels par l'élevage) Il participe à l'élaboration de nombreuses publications sur le pastoralisme et est l'auteur de plusieurs communications
(1) Le lien de la page polémique vers "La Buvette des Alpages" est rompu (constat le 16 mars 2013). Soit cette page a changé d'adresse, soit, comme beaucoup d'autres, cette page a été supprimée.Nous ne pourrons donc pas apprécier la haine écologiste à l'égard des éleveurs mais également à l'égard de Laurent Garde. Haine contre la personne et non contre les idées développées dans son article.