Venu des Alpes, le prédateur a désormais posé ses pattes en Lozère où il sème une sacrée pagaille. Pro et anti, néoruraux et éleveurs du cru, tous sont sur les dents.
De loups (Canis lupus), il n'y en aurait pourtant que deux sur le causse.
Deux de trop, selon André Baret: "Pour eux, nos troupeaux, c'est comme un McDo. Leur présence est incompatible avec le pastoralisme extensif. C'est simple: c'est nous ou le loup." Maire de
Hures-la-Parade, un territoire de 8.850 ha, André Baret a lancé avec d'autres éleveurs et agriculteurs le Cercle,
association qui compte 120 adhérents.
"Cette arrivée du loup, c'est un traumatisme collectif; j'ai vu des éleveurs pleurer devant les carcasses de leurs brebis, raconte Jean-Claude Robert, porte-parole du
Cercle. C'est notre outil de travail qui est touché. Ici, le loup est chez nous, pas chez lui." Gaëtan, 30 ans, fut
le premier éleveur du causse touché par les attaques, il y a un an: "On veut pouvoir se défendre, avoir une autorisation de tir de défense permanente."
"On a l'impression d'être moins considérés que les loups", renchérit Jean-Rémi, 39 ans. "Puisqu'à Paris ils y tiennent tant, ils n'ont qu'à les prendre pour les mettre à Rambouillet ou Versailles!"
Sur le causse, tout s'entend… Des éleveurs reprochent à l'administration son laxisme, contestent les chiffres officiels d'attaques ou de victimes du loup, d'autres affirment avoir été placés sur écoute… La rumeur colporte qu'une louve aurait été tuée lors d'une battue en décembre dernier. S'en sont suivies les plaintes de trois associations pro-loup, puis, par ricochet, une plainte pour diffamation des chasseurs, classée sans suite. La brigade de recherches de Mende poursuit ses investigations. "La moitié de la population de Hures-la-Parade est constituée de néoruraux, parfois installés ici depuis vingt ans et plutôt favorables au loup, explique le maire. La dynamique que nous avions enclenchée ensemble contre un projet de gaz de schiste, il y a deux ans, a été brisée. Le loup est aussi un perturbateur social."
Alliance avec les loups prône néanmoins la cohabitation: "Nous proposons aux éleveurs d'accueillir des campeurs qui passent la nuit près de leurs troupeaux. La présence odorante de l'homme peut faire fuir les loups. Des volontaires viennent ainsi de camper près de deux élevages, à côté de Langogne." Mais pour les éleveurs, aucune protection n'est satisfaisante: ni les patous, ces gros chiens capables de repousser les loups mais réputés agressifs envers les passants, ni les enclos, électriques ou non. Et encore moins le camping au troupeau, une "idée saugrenue" qui a bien fait rire sur le causse. "Aucune mesure n'est valable à part le tir à la carabine", conclut André Baret, qui prédit qu'"à terme, le loup sera classé comme nuisible".
Au milieu de cette mêlée, une petite voix suggère que le prédateur a, lui aussi, sa place ici. Celle de Christian Avesque, 75 ans, le dernier berger salarié du causse Méjean: "Autrefois, les troupeaux rentraient chaque soir, se souvient-il. Mais aujourd'hui, il n'y a plus de bergers, seulement des éleveurs qui laissent leurs brebis sans surveillance. Alors, la nuit, ce sont des proies faciles… Les éleveurs devraient modifier leur façon de travailler et rentrer leurs bêtes." Il a bien essayé d'en parler mais "le ton monte vite, alors on change de sujet". Pourtant Christian en est persuadé, "il y a moyen de s'accommoder de la présence du loup". Mais bon, ce qu'il en dit…
C’est en 1992, dans le Mercantour(Alpes-Maritimes), que les premiers loups ont remis les pattes en France. Aujourd’hui, on estime leur population à environ 250 ; tous proviennent de la même lignée
génétique italo-alpine. "Le premier cas documenté de loup ayant franchi le Rhône remonte à 1997. Dès 1999, nous avons eu des preuves de sa présence dans le Massif central", explique Éric Marboutin,
chef de projet à l’ONCFS*, chargé de la surveillance des populations loup et lynx.
[Ndr: Voir l'historique du loup dans le Massif Central].
"Deux mâles ont été détectés dans le sud de la Lozère, mais rien ne dit qu’ils vont rester,d’autant qu’ils sont loin du coeur de population situé dans le massif alpin. Et même lorsqu’un couple
est présent sur une zone, la reproduction n’est pas systématique."
* Cette catégorie comprend des cas d'attaques avérées mais aussi des cas litigieux, où la responsabilité du loup n'a pu être clairement établie. Ces attaques classées "loup non écarté" permettent aux éleveurs concernés d'être indemnisés pour leurs pertes par l'État.
Auteur: Sarah Finger, correspondante à Hures-la-Parade (Lozère)
Source: Le Journal du Dimanche du dimanche 07 juillet 2013