- Un dispositif antiloup à l'étude
«Va chercher, Sally! Toi aussi, Mosse, ramène!» Disciplinés, les deux border collies de Jean-Pierre Vittoni, éleveur à La Forclaz (VD), démarrent au quart de tour. En contrebas, son troupeau de moutons effectue un virage groupé comme un seul homme avant de remonter dans notre direction. «Tu attrapes la brebis numéro un?» demande le biologiste et éthologue jurassien Jean-Marc Landry. D’un geste vif, Jean-Pierre Vittoni saisit la bête et l’immobilise. «C’est bon, je la tiens, tu peux y aller.»
- Cardiofréquencemètre bricolé
Sortant un cardiofréquencemètre doté d’une ceinture pectorale – un appareil habituellement destiné à mesurer le pouls des coureurs – Jean-Marc Landry l’attache en douceur autour du poitrail de la brebis, préalablement épilée. «J’ai été contacté il y a deux ans par l’ingénieur valaisan Fabien Matter, désireux de développer un collier antiloup qui puisse émettre un fort répulsif en cas d’attaque, raconte le Jurassien. Nous sommes en train de mener des expériences dans le but de mieux connaître le fonctionnement du cœur des brebis. L’algorithme permettant de définir le seuil de déclenchement du dispositif sera calculé à partir des modifications du rythme cardiaque du bétail.» Le répulsif émis par le collier, qui pourrait également être doublé d’un stimulus sonore, permettrait d’interrompre la prédation du loup et d’infliger à ce dernier une expérience négative. «Qui l’éduquerait, précise Jean-Marc Landry, ce que ne font pas les chiens de protection. Aussi efficaces soient-ils, ces derniers ne font que le dissuader d’attaquer un troupeau, pas de revenir. De plus, le dispositif permettrait d’envoyer une alerte via SMS au berger, afin que celui-ci puisse intervenir rapidement.»
Si la méthode du biologiste jurassien est très prometteuse, le chemin est encore parsemé d’inconnues et d’embûches techniques. «Les débuts ont été très laborieux. Nous tâtonnons, car personne n’a jamais développé un tel outil avant nous. Nous avons d’abord essayé de mettre au point des systèmes de mesure de la fréquence cardiaque des brebis avec l’école d’ingénieurs de Sion, puis avec l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, qui avait développé son propre prototype. Mais c’était trop compliqué, et les essais sur le terrain n’ont pas abouti. Depuis cet hiver, je teste sur le bétail des cardiofréquencemètres destinés aux coureurs, et cela fonctionne plutôt bien. Pour l’analyse des mesures, nous travaillons avec un laboratoire français dirigé par Véronique Billat, une spécialiste du sport qui a notamment étudié le stress chez les marathoniens.» Lors de la prochaine étape, Jean-Marc Landry et son équipe vont soumettre les brebis à différents stress pour mesurer l’évolution de leur rythme cardiaque. «Pour cela, nous allons employer plusieurs types de chiens, dont des chiens-loups tchèques qui présentent de fortes similitudes avec le grand canidé», précise ce dernier.
- Révolution sur les alpages
Sur les rails depuis plus d’un an, le projet est soutenu par la Fondation Cimark, elle-même financée par l’Etat du Valais, qui encourage la création d’entreprises et de projets novateurs, ainsi que par l’Office cantonal d’agriculture valaisan. «L’engagement de Jean-Pierre Vittoni, qui met à notre disposition son troupeau malgré les désagréments que cela occasionne, est tout aussi précieux, ajoute Jean-Marc Landry. Son salon est devenu notre laboratoire, où tournent en permanence des ordinateurs et où nous développons la suite du projet.» Jean-Pierre Vittoni ajoute: «Entre le scientifique et l’éleveur, nous formons une bonne équipe. Il arrive avec ses idées et nous les mettons à l’épreuve du terrain.» Le collier antiloup pourrait servir dans de nombreux cas. «Dans certaines régions touristiques, la présence des chiens de protection est une source fréquente de problèmes avec les autres utilisateurs de la montagne, explique le biologiste jurassien. Notre dispositif pourrait apporter une solution là où les patous ne peuvent pas être engagés.» L’invention de Jean-Marc Landry pourrait aussi intéresser d’autres pays, où les pratiques pastorales sont différentes. A commencer par la France: «Dans les Vosges, les pâturages sont très étendus et les troupeaux sont souvent séparés en dix, voire en vingt lots, ce qui ne permet pas l’utilisation de chiens de protection, rappelle Jean-Marc Landry. Idem dans le Jura, le Var ou le Vaucluse, où les bêtes broutent éparpillées dans la broussaille.» S’il faudra encore à Jean-Marc Landry et à ses collègues plusieurs mois pour concrétiser leur projet, une chose est sûre: le loup n’a qu’à bien se tenir!
Auteur: Alexander Zelenka
Source: Terre&Nature, le 28 juin 2012
- Le nombre de loups est stable en Suisse
A l’intérieur de nos frontières, le monitoring du loup est assuré depuis 1998 par le KORA (projets de recherche coordonnés pour la conservation et la gestion des prédateurs en Suisse), sur mandat de l’Office fédéral de l’environnement. «Le suivi des populations se base avant tout sur des observations fortuites et sur la récolte de matériel génétique tel que salive et fèces, qu’on trouve le plus souvent sur les proies chassées par le grand canidé, explique Manuela von Arx, chercheuse au KORA. Ces échantillons sont ensuite envoyés au Laboratoire de biologie de la conservation, à l’Université de Lausanne, pour analyse.» En ce début 2012, cinq loups ont pu être identifiés grâce à cette méthode. Ces chiffres bas, comparés à ceux l’année 2011, au cours de laquelle huit individus ont été recensés, s’expliquent par le fait que la saison d’estivage ne fait que commencer. Pour l’heure, même si une femelle au moins vit en Suisse, il n’y a pas de reproduction attestée sur le territoire national. Les loups présents chez nous viennent d’Italie et de France. Ces deux pays abritent respectivement environ 70 et 200 individus.