Le Monde des Pyrénées

Pyrénées: mais qui veut la peau de l'ours? - 2013

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Estimant que, faute de nouveaux lâchers, la survie de l'ours est menacée, la Commission européenne déclenche une procédure d'infraction contre la France.

Le cuir tanné par les piques incessantes de la Commission européenne, Paris n'avait pourtant pas vu venir celle-ci. Sept ans après les quatre derniers lâchers d'ours slovènes, voilà donc que Bruxelles menace la France de lourdes sanctions financières pour «manquement à ses obligations de protection» de l'espèce.

Car, si près de 25 plantigrades se font aujourd'hui les griffes à travers les Pyrénées, seuls deux mâles esseulés hantent encore l'ouest du massif. Au terme d'une longue guérilla judiciaire orchestrée par les différentes associations pro-ours, c'est devant la Cour européenne de justice que pourrait même comparaître l'État s'il ne réagit pas avant le printemps.

- Des mâles esseulés

«La procédure risque d'être longue, mais le commissaire chargé du dossier s'est montré très ferme», se réjouit pour l'heure Jean Lauzet. Militant au sein de la Sepanso (1), association à l'origine de la plainte, ce Béarnais n'ose pourtant rêver de nouvelles réintroductions, tant le gouvernement semble avoir capitulé sous la pression des opposants. «Celui-ci comme le précédent. Pourtant, si aucune femelle n'est rapidement lâchée, alors ça sera la mort du noyau occidental.» Car, si l'ours copule bel et bien parmi nos forêts, faut-il encore qu'il n'ait pas trop de route à faire pour la bagatelle. «Les femelles sont presque toutes sédentaires, et jamais elles n'iront jusqu'en vallée d'Aspe», explique Jean Lauzet. Ainsi éloignés d'une grosse centaine de kilomètres de leurs possibles amantes installées entre Ariège et Haute-Garonne, les deux derniers mâles béarnais semblent donc condamnés à finir vieux garçons.

Avouant d'abord avoir été un brin «surpris» par la dureté de l'avertissement, le ministère de l'Écologie assure en retour être sûr et certain de son bon droit européen. «Une lettre sera adressée dans les prochains jours à la Commission, promet Laurent Roy, le directeur de la biodiversité. Nous allons contre-attaquer en juristes, car jamais la directive Habitat n'a dit que nous devions penser la population locale en termes de sous-noyaux géographiques. La France considère le massif pyrénéen dans son ensemble, de l'Andorre jusqu'à l'Espagne. Et, de ce point de vue-là, notre population d'ours est tout sauf moribonde, puisqu'elle a été multipliée par cinq entre 1995 et 2012, avec encore trois naissances l'an dernier.

- Une amende colossale

Mais sauf que, à rester en (petite) famille slovéno-pyrénéenne recomposée, c'est toute la colonie qui pourrait bien à son tour être menacée de consanguinité. Pour ne pas dire alors d'extinction. Selon un rapport publié en 2010 par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, le risque est aussi sérieux qu'imminent: «Il est peu probable que la population d'ours bruns des Pyrénées atteigne un niveau favorable si des réintroductions ne sont pas menées dans un avenir proche, expliquent les scientifiques. Virtuellement éteint, le noyau occidental nécessiterait le lâcher de dix femelles et cinq mâles, et le noyau central celui de cinq à six femelles.»

Pas de quoi, pour autant, convaincre le gouvernement de briser à nouveau ce tabou, même si l'Europe laisse planer la menace d'une amende de plusieurs dizaines de millions d'euros. «Ou bien une astreinte de 100 000 euros par jour, ce qui est en effet considérable, reconnaît Laurent Roy. Mais si l'on ne s'interdit pas à vie l'idée de réintroduire quelques individus, ce ne sera pas dans un futur proche. Ne focalisons donc pas sur ces lâchers, qui ne sont qu'un outil parmi d'autres. Grâce, par exemple, aux efforts fournis pour la conservation de leur biotope, le taux de survie des oursons est désormais au niveau exceptionnel de 84 %.»

- La guerre de l'ours relancée

Redoutant, sans doute à juste titre, de relancer la guerre de l'ours, le gouvernement peut au moins compter sur le soutien rageur du président de Chasse, pêche, nature et tradition: «La France est mise en demeure par une commission demeurée. N'en déplaise à Bruxelles et aux bobos écolo hors sol, les Pyrénées n'ont pas besoin de nouveaux ours, mais d'entreprises, d'agriculteurs et de services publics», prévient Frédéric Nihous. Sentiment diversement apprécié hier aux comptoirs béarnais d'Oloron-Sainte-Marie: «Ça fait un siècle que l'on se fout de l'ours, et on voudrait se mettre à le défendre pile au moment où il n'y en a plus?»

Où l'on saura de toute façon bientôt si l'ours pyrénéen rejoint le dinosaure au panthéon des animaux trop tôt disparus.

(1) Sepanso: Société pour l'étude, la protection et l'aménagement de la nature dans le Sud-Ouest.

Auteur: Sylvain Cottin
Source : Sud-Ouest du 15 janvier 2013