Le Monde des Pyrénées

Navarre, Vallée de Roncal 2013: non au programme Life ours

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Les (j)ours se suivent et ne se ressemblent pas.

Si dans certaines vallées catalanes et pour la Généralité elle-même, l’argent des programmes Life Europe Ours suscite les convoitises dans ce qui est une véritable prostitution de l’animal, au même moment la vallée de Roncal (elle jouit de droits propres à l’intérieur de la Navarre) a une tout autre conception de la bête, un sens des valeurs très différent aussi (cf. articles traduits du Diario de Navarra et de Noticias de Navarra).

En 2011 déjà l’Espagne avait déposé un programme Life-Europe rejeté par l’UE: trop grossièrement machine à sous, quatre millions d’euros payables en quatre ans, il avait suscité une ferme réaction du FAPAS asturien (Fonds de Protection des Animaux Sauvages) dont certaines positions sont très discutables mais dont on ne peut nier que, lui, sur le terrain est réellement engagé en faveur de l’ours cantabrique.

Sur la situation pyrénéenne d’ailleurs, très honnêtement il écrivait en 2008 à propos de la disparition de la souche autochtone:

«La grande perte est plutôt morale et éthique car nous n’avons pas su conserver cette population relictuelle. Quant à la réintroduction, bien qu’elle soit faite correctement sur le plan technique, en réalité elle montre bien que les stratégies de conservation menées en dernière extrémité et à coups de millions investis pendant tant d’années, se sont achevées sur un échec»

Rebelote en 2012 – 13, nouveau projet Life, l’aspect ours machine à sous un peu moins voyant: dans la crise que l’Espagne traverse, pour certains pas de petit profit tant que c’est l’Europe qui paie. Jordi Ruiz, chef du Service de Biodiversité et Protection animale du Conseil à l’Agriculture pour la Généralité de Catalogne, déclarait en juin 2012: «l’ours peut être un bon stimulant économique pour les zones de montagne si on sait le vendre comme produit d’appel touristique.» (1) En Catalogne, tous ne partagent pas cette analyse.
Dans le même article, le Syndic d’Aran, Carlos Barrera, soulignait que sa vallée n’avait pas besoin de l’ours pour augmenter sa fréquentation touristique et que l’objectif du gouvernement devrait être de «se recentrer sur les aides aux territoires qui paient la facture de cette réintroduction.» Et il soulignait l’aberration écologique suivante: afin d’éviter les attaques, il a été choisi de concentrer sur les montagnes d’une même zone tout le bétail qui estive. Des cabanes ont été réparées et un dispositif mis sur pied pour contrôler les déplacements de ces animaux. Mais c’est le paysage qui paie la facture de cette concentration du bétail «parce que, à présent, les montagnes où circulent les ours ne sont plus pâturées».

En Navarre, concernée elle aussi par ce nouveau projet, même rejet aujourd’hui de la vallée de Roncal. Et le processus démocratique ici mis en œuvre est assez exemplaire. Dans un premier temps le Gouvernement autonome de Navarre avait agréé ce nouveau programme. Mais la vallée la plus directement concernée, celle de Roncal, jouit de droits spécifiques et le Parlement a donc voulu recueillir son avis. De façon démocratique tout aussi remarquable, les vidéos des débats ont été aussitôt mises en ligne (du Parlement de Navarre maintenant effacées), je n’ai pas eu le temps de les écouter in extenso mais les quelques sondages que j’ai faits confirment ce que rapporte la presse navarraise.

La vallée dit non, elle a «des dizaines de besoin plus prioritaires que l’ours» et le président du Conseil Général de la Vallée de Roncal, Alfredo Cabodevilla, n’est pas dupe de la motivation réelle: ces programmes «sont lancés parce qu’ils s’accompagnent des fonds de l'UE pour les administrations, mais ils ne soutiennent pas le développement local avec un objectif de durabilité de l'environnement». Luis Miguel Angel, maire d’Isaba, considère même comme «une barbarie écologique de capturer et relâcher des ours slovènes, plus grands et plus agressifs, ce qui a déjà été fait avec les deux réintroductions en France et ce qu’envisagent les actuels projets Life».

Pour les six groupes parlementaires qui interviennent ensuite (2), sauf pour l’un des deux partis nationalistes basque, Aralar-Nafarroa Bai, la messe est dite: «la volonté générale n’est pas la récupération de l’ours parce que les dégâts seront plus importants que les bénéfices», «nous ne pourrons jamais passer par dessus la volonté de la vallée. Ils ont déjà l’ours, mais l’ours sans aides financières c’est grave», «c’est vous qui vivez là, et vous savez ce que cela entraîne».

J’ai participé en janvier à Bruxelles au nom de l’ADDIP à une réunion de travail du Groupe Grands Carnivores de ces programmes Life. Dans les documents de travail remis aux participants, chaque pays concerné y fait un bilan de la situation. Pour l’ours, Guillermo Palomero et Juan Carlos Blanco, reconnaissent honnêtement les faits: en Espagne, «deux populations: autochtone dans le massif cantabrique; réintroduite dans les Pyrénées une fois éteinte la population autochtone» et pour ce massif «la réintroduction a déclenché l’opposition des populations rurales, notamment éleveurs», conséquence, parmi les principales menaces pour l’espèce: «acceptation locale, opposition à des nouvelles réintroductions.»

Ce qui va se passer à présent en Espagne, on verra. Mais il est probable que ce nouveau programme Life ait du plomb dans l’aile. D’autant plus que la position de l’Europe pour ces programmes Life a créé un précédent incontournable. C’est pour la France où, après les importations d’ours slovènes de 1994 – 95, le bilan 2011 de ces programmes souligne que les nouvelles introductions prévues ensuite par l’Europe furent annulés «à cause de l’opposition des populations locales». Ce qui n’était que respecter les articles 2 et 22 de la Directive Habitats, art. 22 en particulier pour les réintroductions: elles ne sont pas obligatoires, sont laissées à la seule décision des Etats membres qui en «étudient l’opportunité», et ne peuvent avoir lieu «qu’après consultation appropriée du public concerné.»

On voit mal comment une position différente pourrait prévaloir pour les mêmes populations locales, le public concerné. Pas uniquement espagnoles mais aussi françaises puisque, par nature et comme le montre la situation actuelle, l’ours ne connaît pas les frontières tracées par les hommes.

B. Besche-Commenge – ASPAP/ADDIP – 5 avril 2013

- Notes de l'auteur

(1) Article de La Vanguardia du 18 juin 2012

(2) Ana Beltrán, vice présidente du PP en Navarre, droite. Jerónimo Gómez Ortigosa, Unión del Pueblo Navarro, centre droit. Mari Carmen Ochoa, PS navarrais. Rubio, parti nationaliste basque. Txentxo Jiménez (Aralar-Nafarroa Bai), autre parti nationaliste basque. José Miguel Nuin, Gauche unie de Navarre + scission de Nafarroa Bai