Dès 1994, les conditions juridiques étaient réunies pour importer des ours dans les Pyrénées. Opération expérimentale d’introduction plus que de réintroduction afin de tester l’acceptation sociale de ce grand carnivore. Quelle acceptation sociale? L’association ARTUS maître d’œuvre pour cette introduction décide d’une opération en catimini en mai 1995 selon les révélations du Point.
L’arrêté de protection de l’ours, du loup et du lynx est pris. La directive habitats a été ratifiée, l’ADET, "petite structure faisant moins parisien" est en place sur le secteur de Melles / Saint-Béat, et, quoiqu’étant en Béarn et territorialement non concernée, l’IPHB servant de faire valoir d’acceptation des bergers contre son grés est opérationnelle, il ne reste plus qu’à aller chercher un ours en Slovénie.
C’est la démarche qui a été entreprise le 4 mai 1995 par le directeur d’ARTUS (qui deviendra Ferus par la suite) une des associations en charge de l’introduction expérimentale et un vétérinaire de l’UICN, partent en Slovénie avec l’intention de ramener un ours. Raté! Il faudra attendre 1996 pour que l’opération, préparée dans une précipitation aux impulsions militantes plus que scientifiques se réalisent.
Ce sera le début des contestations autant que des désillusions, ce qui n’empêchera pas les pouvoirs public de renouveler l’erreur en abandonnant l’idée du renforcement de la population d’ours du Béarn au profit de la création d’une population d’ours slovène entre Haute-Garonne et Ariège. Tous les ingrédients d’une opposition musclée étaient réunis.
Louis Dollo, le 18 septembre 2014
Le 4 mai, deux hommes ont pris en catimini la route de la Slovénie, se jurant l'un l'autre de ne revenir en France qu'avec... un ours vivant. Cet animal, tel un nouvel Abraham, sera appelé à devenir le patriarche d'une nouvelle colonie d'ursidés dans les Pyrénées centrales. Sa Sarah devrait le suivre de près. Après bien des déboires, l'opération de réintroduction de l'ours est enfin lancée. Rappelons que les quatre derniers rescapés français qui hantent les Pyrénées-Atlantiques sont virtuellement condamnés à disparaître.
Non seulement nos deux trappeurs émérites, Roland Guichard, fondateur de l'association Artus, et Alain Arquillière, vétérinaire, agissent pour le compte de l'Etat français, mais leur mission est également approuvée par les chasseurs, les forestiers, les communes locales et les bergers revenus à de meilleurs sentiments envers ce fauve. Ils guettent maintenant leur proie dans la forêt slovène, en compagnie d'un vétérinaire croate ayant déjà une quarantaine de captures à son actif. C'est qu'en Slovénie les ursidés - plus de 350 individus - se bousculent. Sous prétexte de régulation, chaque année, plusieurs ours y sont même abattus par des chasseurs qui paient jusqu'à 50 000 francs ce triste droit. Une récente étude génétique a révélé que le Martin slovène est l'un des plus proches cousins de nos fauves pyrénéens. Seul l'ours scandinave le devance, mais, habitué aux longs hivers boréals, il aurait certainement trop de mal à s'adapter aux latitudes pyrénéennes.
Une quinzaine de lacets ont été posés sur deux sites: "Dès que nous aurons capturé un jeune animal de 4 à 7 ans, une véritable course contre la montre s'engagera", explique Roland Guichard. En effet, pour minimiser le traumatisme de la capture, l'animal devra recouvrer la liberté moins d'une vingtaine d'heures plus tard. Mais, avant de prendre la route (1.400 kilomètres!), le captif subira une auscultation en règle sous anesthésie: mesure de la taille, pesée, prélèvements sanguins, vaccinations, tatouage d'identité à l'intérieur d'une lèvre, marquage de couleur à l'oreille, injection sous la peau d'une puce électronique d'identité, pose d'un collier muni d'une balise Argos et d'un émetteur radio VHS.
S'il est déclaré bon pour le service, l'animal sera embarqué dans une camionnette équipée d'une cage circulaire en aluminium insonorisée, car il craint les ultrasons. La température y sera soigneusement maintenue à 18 degrés, car l'ours est très sensible à la chaleur. Pendant le voyage, une surveillance vidéo constante sera assurée. Afin de ne pas ralentir la progression de la camionnette, les postes-frontières ont été avertis.
Le lâcher interviendra, de nuit, sur la commune de Melles, dans la haute vallée de la Garonne. Là, une équipe de scientifiques surveillera, de loin, le nouvel immigré. Si, au bout
d'une semaine, rien de fâcheux ne se passe, les deux piégeurs retourneront en Slovénie pour lui ramener un ou une partenaire.
Cette première phase, expérimentale, porte sur l'importation de six individus. Ultérieurement, une dizaine d'autres pourraient les rejoindre. De quoi constituer un noyau
suffisamment important pour repeupler définitivement les Pyrénées centrales.
"Après? On passera aux Alpes!", rêve déjà Roland Guichard.
Auteur: Frédéric Lewino
Source: Le point du 18 mai 1995