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Jean Lassalle écrit: "De très nombreux échos et contacts me font part du caractère extrêmement tendu de la situation dans certaines régions des Pyrénées après le coup de force de Madame Olin. Ayant eu à connaître la terrible crise du Béarn au début des années 90 déjà déclenchée par le Ministre de l'Environnement de l'époque, je suis très inquiet quant à l'évolution de la situation présente dans les jours, semaines, mois à venir. Je publie ci-joint, pour information, le courrier que j'avais pourtant adressé à Nelly Olin, le 24 avril dernier, soit deux jours avant qu'elle procède au lâcher dans les conditions abracadabrantes que l'on sait. Dommage que sur ce sujet là elle n'ait rien voulu entendre."

Oloron-Sainte-Marie, le 24 avril 2006 (Source: site Web de Jean Lassalle)

- Lettre adressée à Nelly Olin, Ministre de l'écologie

Madame Nelly Olin
Ministre de l'Ecologie et du
Développement Durable
20, avenue de Ségur
75302 PARIS 07 SP

Madame le Ministre,

Je viens de prendre connaissance des deux documents intitulés "Plan de restauration et de conservation de l'ours brun dans les Pyrénées françaises 2006 -2009", que Messieurs les Préfets distribuent très généreusement sur l'ensemble de la chaîne des Pyrénées.

Ces deux luxueux catalogues de bonnes intentions de près de trois cents pages en couleurs tranchent brutalement avec la situation de nos vallées pyrénéennes.

Je suis bien placé, Madame le Ministre, pour pouvoir dire que la vérité, " arrangée" avec quelques réalités techniques et biologiques, présentée dans un bel écrin, s'impose au plus grand nombre qui, en toute bonne foi, y croit. Hormis la poignée d'hommes et de femmes qui vivent la situation au quotidien et qui n'ont pour seul moyen d'action que le dégoût et la sombre révolte qu'ils ruminent en silence. Les autres formes d'expression ne leur sont pas accessibles et chacun sait bien pourtant comment se sont cruellement terminées, au fil de l'histoire, les douloureuses jacqueries des paysans désespérés...

Je suis attristé de voir à quel point les mesures de cohabitation, que nous avons mises en place en Béarn avec les bergers transhumants de la zone à ours, basées sur l'analyse commune des savoir-faire locaux, sont plagiées, détournées, retournées contre les Pyrénéens. Surtout contre ceux qui les ont conduites eux-mêmes en toute bonne foi, avec l'appui de l'état et des pouvoirs publics.

Les promesses financières qui les accompagnent ou qui sont suggérées, montrent, à qui lira ces documents, et ce ne seront certainement pas les éleveurs, combien ils sont aidés. Il ne restera donc plus qu'à les désigner un peu plus clairement du doigt et à les accuser un peu plus.

Vous savez, Madame le Ministre, que vous n'avez, hélas, pas les moyens de la politique que vous annoncez. Peut-être avez-vous seulement les moyens d'entretenir, quelques temps encore, l'illusion...

Ces documents parlent de transparence et de concertation. Mais qu'en est-il vraiment? Les réunions de concertation menées dans les vallées et les départements ont été souvent des manifestations d'opposition mouvementées, quand elles n'ont pas été boycottées. Un autre mode de concertation est présenté en exemple: l'utilisation d'internet. Madame le Ministre, sans abaisser mes compatriotes pyrénéens, savez-vous combien de foyers des vallées pyrénéennes utilisent internet? Par ce moyen, ne pensez-vous pas avoir recueilli l'avis de plus de gens qui, comme les membres du Conseil National pour la Protection de la Nature (CNPN), habitent Paris Cedex que d'habitants de nos villages de montagne.

Enfin, pensez-vous que la transparence consiste à adresser des documents de
300 pages moins d'un mois avant d'introduire les premiers ours.

Pourquoi imposer cette introduction à un peuple qui, très largement, dans l'état actuel des choses, n'en veut pas et surtout pas de cette manière? ça ne fera que recréer des luttes, des combats interminables entre frères pyrénéens. Toutes ces régions, ces vallées de montagne sont à l'agonie et pire que la mort, elles se sentent littéralement abandonnées, exclues par le reste de la société, sacrifiées sans considération sur l'autel d'une certaine idée de la protection de la nature, tandis que de grands groupes, pétroliers par exemple, peuvent eux continuer à polluer à tout va en toute bonne conscience.

L'enjeu c'est de redonner confiance aux habitants de ces vallées de montagnes, qui les aiment au point d'avoir choisi d'y vivre, en les replaçant au coeur d'un nouveau projet pour leur territoire. Ceci pourrait être fait avec la mise au point d'un programme de développement durable et équitable de leur territoire. Programme qui serait élaboré ensemble par les montagnards, l'état et les pouvoirs publics, qui en faciliteraient la réalisation. A l'instar de ce qui fut fait par l'état pour le Haut-Béarn à l'automne 1993 et qui a donné naissance à la Charte de Développement Durable des Vallées Béarnaises et de Protection de l'Ours et à l'Institution Patrimoniale du Haut-Béarn pour la faire vivre.

L'état doit rester le garant de l'intégrité nationale, celui qui doit expliquer la profondeur de ce qu'il soutient: sur un sujet aussi symbolique, conflictuel et passionnel, il doit accompagner mais ne peut pas être l'acteur de premier rang.

Par le programme actuel seulement centré sur l'ours, l'état brise le sens de la responsabilité et de l'implication personnelle dans l'intérêt général, et le plaisir, l'honneur d'agir dans son propre territoire au nom de l'Humanité.

Si je plaide pour que ce projet soit arrêté sine die, c'est parce qu'il dressera des pyrénéens les uns contre les autres, des hommes iront en prison, le fossé d'incompréhension entre les villes et les campagnes s'élargira, il fera reculer la prise en charge de la biodiversité: il sera simplement contreproductif. Il ne sera rien.

L'opposition à l'ours s'accentuera pour la raison très simple que l'homme ne peut sauver que ce qu'il respecte, tandis qu'il s'opposera toujours à ce en quoi il croit déceler le symbole de l'oppression.

Aucun diktat de Greenpeace, du WWF, de la Fondation Nicolas Hulot, de Ferus, du CNPN qui se trompent aujourd'hui si lourdement sur ce dossier, ne peut justifier que vous alliez commettre par faiblesse, pareille folie. Si vous avez la force de leur résister aujourd'hui, si vous savez prendre le temps de leur expliquer, de les convaincre de venir à notre rencontre au lieu de nous combattre comme ils le font depuis si longtemps, alors ils vous en sauront gré demain parce qu'ils participeront à ce qui doit être un acte d'amour et non un viol.

Je sais que vous comprendrez ce que je vous exprime du fond de mon coeur.

Le 4 octobre 2005, pour vous manifester ma mauvaise humeur après votre venue intempestive dans les Pyrénées à Arbas, j'avais été amené à l'occasion de la transcription de la Directive Bruit en droit français, à m'émouvoir de la très grave situation à laquelle votre commune et les communes avoisinantes avaient à faire face avec la présence des aéroports - celui de Roissy surtout - et la terrible aggravation de la situation qui vous attendait avec la renonciation de création du troisième aéroport.

Ce soir là, j'ai été marqué par votre soudaine réponse: "Monsieur Lassalle... en tant qu'ancien Maire de Garges-les-Gonesses. Je n'ai pas de leçon à recevoir de la part de ceux qui n'habitent pas cette ville, que j'ai le privilège d'habiter depuis 1968 et dont je pense connaître les problèmes...". Vous n'aviez pas tort, moi non plus d'ailleurs.

Il y a dans les Pyrénées comme à Garges-les-Gonesses, un certain nombre d'hommes et de femmes qui y habitent aussi depuis 1968 et pour certains d'entre eux, depuis plus longtemps encore. Si le règlement des problèmes qu'ils rencontrent était facile, comme l'évolution de Roissy sans le troisième aéroport, cela se saurait et les solutions seraient déjà en application.

Parce que c'est chez nous que les derniers ours originels français ont subsisté, grâce à ce lien venu de la nuit des temps que les béarnais ont conservé et sans lequel l'ours n'est qu'un fauve et le berger un simple éleveur. Et chacun sait le respect que je porte aux éleveurs.

Dans notre Haut-Béarn, il y a eu près de 15 années de concertation, de travail de fond, de conscientisation qui ont amené par deux fois, en 1996 et en 2004, pour la première fois au monde, une assemblée d'élus de terrain et de professionnels en responsabilité, et notamment des bergers qui cohabitent quotidiennement avec l'ours à décider. Décider ensemble de renforcer la population d'ours par l'arrivée de deux femelles.

C'est pour ces raisons qu'il nous faut continuer l'oeuvre entreprise et lui apporter la capacité d'explication, la force et l'appui de l'état au plus haut niveau pour que cette opération puisse trouver les conditions de sa réalisation un jour, chez nous, en Béarn. Sans pour autant exclure des initiatives d'autres territoires.

Si vous acceptez cela, au lieu du malheur que vous préparez aux pyrénéens, c'est du bonheur de faire ensemble que vous aller instiller. Vous verrez que lorsque ça marchera, avec le temps de la confiance retrouvée, les hommes abandonnés aujourd'hui, retrouveront à nouveau confiance en eux-mêmes, reprendront en charge l'ours et l'intègreront peut-être pour la première fois dans leur projet d'avenir et dans leur vie.

A ce moment là, cette belle aventure humaine inspirera d'autres régions pyrénéennes qui voudront à leur tour y participer. Ce jour là, Madame le Ministre, les hommes des vallées perdues d'aujourd'hui, revivront.

Je vous propose, Chère Madame, comme nous avons eu la chance de le faire pendant quelques semaines, de regarder nos dossiers respectifs avec un peu plus d'humanité et parce que je crois savoir que c'est une de vos qualités essentielles, avec un peu plus de bon sens... et de nous entraider au lieu d'engager cet inutile et terrible combat auquel nous allons nous livrer.

Je vous assure, Madame le Ministre, de mes sentiments les meilleurs.

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