LCI.fr donne la parole aux opposants à l'ours dans les Pyrénées. Pour Francis Ader, président de l'Association de défense de l'identité pyrénéenne (Adip), ce projet risque d'accentuer la désertification de territoires déjà fragiles
Après René Rettig, maire d'une des communes pyrénéennes qui a accepté d'accueillir les ours de Slovénie, LCI.fr donne la parole aux opposants. Pour Francis Ader, président de l'Association de défense de l'identité pyrénéenne (Adip), ce projet risque d'accentuer la désertification de territoires déjà fragiles.
Francis Ader: La première contrainte, c'est bien sûr la prédation qui s'exerce sur les troupeaux. L'élevage en montagne est une activité fragile, peu rentable, mais les éleveurs la choisissent par passion. Alors, s'il leur faut élever des animaux en pensant qu'ils vont peut-être servir de pâture à des ours, c'est pour eux inacceptable. Face à cela, les pro-ours avancent des arguments purement financiers, en expliquant que les brebis attaquées sont largement payées. Mais les troupeaux sont éparpillés sur des territoires très grands: beaucoup des animaux tués ne sont pas retrouvés. Deuxième problème: cette histoire crée des dissensions dans les vallées, au sein de la population. Troisième élément: avec la présence d'animaux tels que l'ours, on s'achemine vers une fermeture de ces territoires.
On n'enverra pas des touristes en montagne s'il y a des ours: il faut arrêter de mentir. Notre principal souci, c'est justement que l'animal risque de prendre le pas sur l'homme, de détruire toutes les activités économiques, le pastoralisme, le tourisme... Pour éviter cela, il faudrait un plan de prévision permettant de lier écologie et économie ; mais ça n'a jamais été fait. Alors, on lâche des ours sans souci des activités humaines...
On peut déjà se rendre compte de ce qui se passe dans les territoires dont l'Etat est propriétaire (les domaniaux). Je peux en parler en connaissance de cause, pour y avoir travaillé en tant qu'ouvrier forestier il y a vingt ans. A l'époque, les espaces étaient bien gérés, sans contrainte particulière ; la faune et la flore étaient naturellement respectées, il n'y avait pas de limitation d'accès. Aujourd'hui au contraire, ils font l'objet d'une interdiction quasi-totale. A l'entrée de chaque site, une signalétique explique au promeneur qu'il ne doit en aucun cas s'écarter de la piste, qu'il est interdit de cueillir une fleur, un champignon... Ces lieux sont devenus des réserves quasi-interdites à l'homme. C'est ce qui nous attend avec l'ours.
Chaque maire est responsable de la sécurité sur sa commune. En cas de présence d'ours signalée, il devra mettre en place toutes les conditions de sécurité nécessaires pour éviter un accident. L'animal étant intouchable, c'est l'homme qui devra évacuer. S'il s'agit d'une ourse avec un petit, sur un rayon de trois kilomètres, plus aucune activité humaine ne devra s'exercer. Ce qui suppose évidemment que des sites touristiques seront bloqués.
Dans ces conditions, la cohabitation serait peut-être acceptable avec un nombre relativement faible d'ours. Mais pas si leur présence continue à augmenter. Avec les trois ours introduits dans les Pyrénées en 1996-97, dont une ourse a été tuée, on est passé en quelques années à 14 ou 18 animaux. Si quatre autres femelles sont introduites, dans quelques dizaines d'années, on aura peut-être une centaine d'ours sur le massif: ce ne sera plus vivable.
Quand on veut nous faire croire que ces ours sont une espèce en voie de disparition, c'est faux! C'était le cas de l'ours pyrénéen, dont le biotope a été modifié et n'est plus adapté à son mode de vie. Cet ours, animal sauvage qui fuit l'homme, se trouve aujourd'hui en permanence confronté au tourisme, au pastoralisme, aux pistes forestières... Mais les ours que l'on veut introduire sont des ours slovènes, qui loin de disparaître, grandissent dans de véritables élevages d'ours destinés à la chasse: pour la Slovénie, c'est une activité économique à part entière. Et leur introduction pose problème dans les Pyrénées français, qui sont une région habitée et pas si étendue - contrairement à l'Espagne où l'on trouve de grands territoires vides de toute activité humaine.
Récupération? C'est à mourir de rire! Il s'agit de règlements de comptes locaux entre élus, ni plus, ni moins. Mais je peux vous dire que le mouvement contre les lâchers d'ours s'est monté sans les politiques. Il y a parmi nous des gens de toutes opinions, et si des politiques se sont montrés à notre manifestation de samedi, ils n'ont jamais assisté à l'une de nos réunions. Quant à ces fameux pots de miel, c'est énorme, c'est un canular! Il pourrait s'agir de l'action de quelques individus isolés... mais peut-être aussi d'une provocation des pro-ours. Moi, je ne connais pas d'opposants à l'ours assez stupides pour aller disposer ces pots près d'un sentier, sachant que tout le monde pouvait les découvrir.
Dans tous les cas, ça fait monter la sauce médiatique, ça cache les vrais problèmes. Et comme, il faut le reconnaître, nous n'avons pas de moyens de communication efficaces, les pro-ours ont réussi à concentrer le débat sur la question des rapports entre bergers et ours. Ça, c'est un débat de forme. Mais le débat de fond a toujours été évacué. Il s'agit de notre responsabilité vis-à-vis des générations à venir. On n'a pas le droit de leur laisser un territoire déserté.
Photo d'ouverture: Francis Ader manifestant samedi à Bagnères-de-Luchon contre les lâchers d'ours - DR
Auteur: Franck Lefebvre-Billiez
Source: TF 1 du 6 mai 2006
René Rettig, maire de Luchon a fini par renoncer à un lâcher d'ours sur sa commune. Il n'a pas été réélu aux élections suivantes. Sa carrière politique s'est arrêtée avec les ours.