Etre pour ou contre dans la situation actuelle relève d'un comportement primaire irresponsable qui ne m'intéresse pas car il a pour effet d'opposer, parfois violemment, deux courants de pensée et n'apporte rien à la réflexion.
La problématique ours est complexe. Il est difficile de la résumer en quelques lignes. Il faudrait l'analyser vallée par vallée en tenant compte de l'histoire, du vécu des populations mais aussi des formes d'élevage et du terrain sur lequel elles se pratiquent. Les Pyrénées ne sont pas un monolithe physique et humain mais l'addition d'une diversité culturelle, linguistique, coutumière... qui se retrouve dans les formes d'élevage de l'Est à l'Ouest et du Nord au Sud en passant par l'Andorre au milieu de la chaîne.
Je me limiterai donc à un résumé (je dis bien que ce n'est qu'un résumé, je ne rentre pas dans les détails) d'une position et d'une situation toujours évolutive car la nature n'est pas un élément figé. Et nous sommes bien, ici, au contact direct de la nature.
1/ l'ours existe dans les Pyrénées et c'est la seule région de France qui a su les conserver jusqu'à maintenant même s'ils ont tendance à disparaître (ça été plus rapide ailleurs
tel que Alpes, Massif Central, Jura, Vosges, Ardennes, etc...). Ce fait doit mériter le respect.
2/ Les ours font l'objet d'une protection qu'il faut respecter. Ceci est le résultat de conventions internationales sur lesquelles il est difficile de revenir. Bon gré, mal gré,
nous devons faire avec.
Ces 2 points me semblent ni discutables ni négociables. Les refuser c'est manquer de réalisme.
Pour ce qui est d'une réintroduction (ou introduction d'espèces non autochtones) il s'agit d'un acte délibéré d'augmenter une population existante dont la pérennité est en danger. Pour réaliser cet acte, en dehors du fait qu'il convient de respecter quelques règles dont celles de l'UICN (proche de ma position) il faut se poser quelques questions et surtout y répondre.
1/ Quel est aujourd'hui le territoire potentiel de l'ours?
2/ Ce territoire est-il viable pour recevoir et y faire vivre... combien d'ours??? (C'est une double question)
3/ Les populations (humaines) des vallées sont-elles d'accord pour accepter, développer, protéger l'ours?
4/ Les conditions matérielles, humaines, sociales, économiques, sociologiques et psychologiques sont-elles réunies pour accepter une introduction d'espèces non-autochtones? Etant
entendu que la présence des autochtones n'a jamais été remise en cause.
5/ La collectivité nationale est-elle prête à financer et prendre en charge une telle opération? Et dans quelles limites, sur quelles bases et sur quelles durées?
1/ La définition des territoires "ours" (liste des communes concernées) n'a jamais été définis (au 25 juin et le communiqué de l'Etat du 31 mai
2005 le confirme) malgré les promesses du ministre début février 2005.
2/ Les territoires ont profondément été modifiés sur une grande partie des Pyrénées depuis 30 à 40 ans du seul fait qu'il n'y avait plus d'ours:
routes, structures touristiques, stations de ski, évolution du pastoralisme, géomorphologie des vallées avec l'évolution climatique, la baisse de quantité de neige l'hiver et les
évolutions pastorales, etc... Nous n'avons donc plus de références sérieuses.
3/ L'acceptation du principe doit faire l'objet d'un long processus de dialogue local. C'est ce qu'avait réussi l'IPHB, pour le Béarn uniquement, en 1999 et en décembre 2004 pour
l'apport de 2 ourses, mais remis en cause par une décision unilatérale du Ministre en janvier 2005 avec 5 ourses.
4/ Il y a eu une fracture psychologique considérable due aux décisions du Ministre en décidant seul et en engageant le dialogue après décision de réintroduction. A quoi bon
dialoguer si la décision est prise? Maintenant, pour reprendre le dialogue, il faudra attendre quelques années.
5/ Il n'existe aucune garantie financière sur le plan national et européen pour adapter le pastoralisme INDISPENSABLE au maintien de la biodiversité selon tous les rapports de
Natura 2000, aux exigences à la fois économiques, sociales et matérielles nouvelles liées à une présence accrue d'ours là où il n'y en a plus depuis une génération (parfois
plus dans certaines vallées)
A titre d'exemple: on ne forme pas de bons bergers d'estives en quelques mois, on ne fait pas naître et on ne dresse pas un chien de protection en quelques mois, un jeune berger
récemment formé n'a pas toujours les moyens de se payer un border coller à la sortie de formation pour garder un troupeau, on ne construit pas des cabanes adaptées à la législation
sociale actuelle en quelques semaines (en montagne il n'y a que 2 saisons: l'été de 4 mois et l'hiver de 8 mois), il faut savoir qui paie les investissements et les coûts de
gardiennage (coût supplémentaire à payer par la collectivité nationale pour assurer une égalité de moyens entre le berger pyrénéen et celui de Bretagne par exemple), etc... il faut
plusieurs années.
6/ sur le plan administratif, il faut savoir qui paie. Actuellement c'est l'écologie qui veut décider mais c'est l'agriculture qui paie. Les éleveurs veulent une meilleure
reconnaissance et surtout être moins humiliés en ne se faisant pas traiter de suceur de subventions qu'ils ne demandent pas. Il faut bien distinguer les aides à l'agriculture comme
pour tous les agriculteurs européens et surtout français et les aides liées à la protection de l'environnement. Ceci n'est pas fait.
7/ Accepter le fait que les Pyrénées ne sont pas un monolithe où tout est uniforme sur toutes les vallées. Chacune a sa forme d'élevage (brebis à viande, brebis laitières, caprins,
ovins, équidés...) parfois mélangés avec chacune leur histoire, leurs us et coutumes liées bien souvent à la forme du terrain, au milieu, à l'altitude, etc...
Et je ne parle pas des conditions de sécurité pour les autres usagers de la montagne découverts par le ministre en décembre 2004 lors de sa visite à Chèze (Hautes-Pyrénées) et qui
n'avaient jamais été abordés ainsi que les incidences potentielles sur le tourisme qui reste une source de revenus non négligeable pour les populations locales y compris agricoles.
C'est donc sur tout un équilibre qu'il faut raisonner et pas seulement sur une espèce...
Sur un plan purement écologique, il faut aussi mener la réflexion plus loin...
A quoi sert l'ours dans la chaîne écologique?
Je n'ai jamais eu de réponse.
A-t-il plus ou moins d'importance que le bousier, et autres insectes d'estives?
Sans le pastoralisme qui assure des zones ouvertes (le paysage se ferme de plus en plus), l'ours aurait-il encore un espace?
Ne faut-il pas, également, penser à la réintroduction d'autres espèces sur un espace international (ne pas oublier que l'Espagne et l'Andorre sont aussi concernés) tel que l'isard
pratiquement disparu en Andorre et peu développé dans certaines vallées, et le bouquetin totalement disparu et qui sont... des proies pour l'ours en début et fin de saison d'été?
Ce sont des réflexions qui sont à mener dans la sérénité et non dans la précipitation et l'urgence comme ce fut le cas récemment et, au final, ce ne peut être que les populations locales qui peuvent décider même si elles sont accompagnées dans leur démarche de réflexion. Je n'imagine aucune protection sans un investissement moral de ceux qui vivent sur place. Il n'existe pas d'opérations réussies en imposant de manière autoritaire.
Ceci n'est qu'une base de réflexion sur la présence de l'ours dans les Pyrénées. Bien des questions, et sans doute pas toutes, restent posées sans aucune réponse. Y répondre serait
déjà un grand pas en avant. Et pour certaines associations, accepter de poser ces questions constitueraient sûrement une révolution.
Souhaitons que cette révolution se produise au lieu d'opposer tout le monde en " pour" et "contre" tout en restant vigilant pour que l'Etat respecte ses promesses et ses engagements,
ce qui n'est pas, en général, dans ses habitudes.
Néanmoins, au 25 juin 2005, tout reste à faire!
Louis Dollo, le 25 juin 2005
Des idées de cette article ont été reprises dans un ouvrage suisse "Le grand retour de l'ours: rêve et réalité" de J.P. et Y.-C. Jost. il s'en est suivi une polémique franco-française alimentée par des "pro-ours" au caractère un peu primaire.
Selon une promesse de début février 2005 du Préfet de la région Midi-Pyrénées, la liste des communes concernées par l'ours devait être faite rapidement. Selon le site gouvernemental il faudra attendre le printemps 2006. Un an pour faire une liste... c'est prendre les gens pour des imbéciles!