- Réintroduction de l'Ours
Les bergers ne veulent pas de cette réintroduction, mais ne se prononcent pas pour autant contre l'ours. Le long travail de concertation se voit réduit à néant
"Quinze ans d'efforts balayés"
Un panneau publicitaire prend la poussière au fond d'une grange: Pé Descaous: fromage de berger, l'empreinte de l'ours. La trace d'une patte de plantigrade est apposée sur la croûte du fromage. L'idée, lancée il y a quelques années par une poignée de bergers, illustre le rapport pour le moins compliqué qu'entretiennent les valléens avec l'animal. Depuis l'annonce par Serge Lepeltier de doubler en trois ans le nombre d'ours dans les Pyrénées, la décision de remiser cette initiative au placard s'est imposée d'elle-même. "Le message sera maintenant difficile à comprendre, c'est la fin de l'aventure. Nous sommes KO debout, en cinq minutes, ce sont quinze années de travail qui sont parties en fumée", raconte Julien Lassalle, éleveur de brebis à Laudios. "De la folie, de l'irrespect et surtout du mépris", tranche Monique Lahitette, chevrière à Laduix. "L'Etat a pris ses responsabilités sans nous écouter, sans égard pour ceux qui font vivre cette vallée. Et maintenant? Je ne sais pas, je ne plus", dit Jean-Louis Laborde-Boy, lui aussi éleveur de brebis. Ces trois-là, avec le bureau de l'Association des éleveurs et transhumants des trois vallées, ont co-signé une missive adressée au ministre de l'Ecologie dans laquelle ils font part de leur "profonde déception", regrettant le "manque de respect du chemin que nous avions parcouru".
"Tueurs d'ours." "Dans cette affaire, il y a un gentil. Il faudra bien trouver un méchant. Désormais, ce sont les bergers qui vont endosser ce rôle. Nous allons être assimilés aux
tueurs d'ours", analyse Julien Lassalle. Un sentiment de gâchis unanime préside dans la profession. L'heure est au constat. Et c'est l'idée d'un retour en arrière qui prédomine.
Ceux de l'association se prononcent contre cette réintroduction et la méthode employée, mais pas nécessairement contre l'ours. "C'est un adversaire, car c'est un prédateur, que
l'on respecte. Il fait pourtant partie de notre patrimoine", reconnaît Monique Lahitette.
Plus que la carte postale d'une biodiversité protégée, l'ours parle à chaque habitant de la vallée. Réminiscence des veillées où les anciens parlaient des attaques, où d'autres
racontaient, auréolés des palmes de la gloire, leurs exploits de chasse face à la bête. "J'appartiens à la génération charnière, raconte Jean-Louis Laborde-Boy. Mon père était
farouchement contre l'ours. J'étais très virulent moi aussi. Puis j'ai compris que ce n'est pas en campant sur ses positions que l'on avance, que l'on règle quoi que ce soit. J'ai
pris le parti d'essayer de faire avancer les choses. Ca a été dur, mais j'ai fini par m'asseoir autour de la table. " La table, c'est celle de l'Institution patrimoniale du
Haut-Béarn. "On s'est dit: Si on le gère ici, on y arrivera. C'est vrai qu'on y a mis du temps, on peut nous le reprocher, mais les mentalités, ça ne change pas en un claquement de
doigt". "On a pris des coups de tous les côtés, renchérit Julien Lassalle. Venant de notre camp d'abord, ce sont les plus durs à encaisser, puis ceux des autres. Nous y avons cru.
Nous avons entamé un processus de réappropriation de l'ours. Cette réintroduction décidée d'en haut vient tout mettre à plat." "Aujourd'hui, vu le résultat, je me demande si, au
fond, nous n'avons pas trahi nos anciens", lâche Monique Lahitette.
Véritable front du refus. De la colère, de la résignation et surtout des questions: A ce prix-là, pourquoi ne pas l'avoir imposée il y a dix ans, interroge Jean-Louis Laborde-Boy.
"Maintenant, les conséquences peuvent être incontrôlables, voire dramatiques". Les bergers ont un goût amer dans la bouche. Comme si la révolution culturelle entreprise au prix
d'âpres combats et d'assemblées houleuses avait été vaine. Les trois bergers prédisent l'émergence d'un véritable front du refus. Pour l'heure, aucune ligne de conduite n'a encore
été fixée. C'est pourtant le pire qui est attendu. Et l'on évoque des montées aux estives avec un fusil ou d'autres solutions plus discrètes pour se débarrasser des ours, sans pour
autant les cautionner: "Si la réintroduction n'est pas intégrée par les habitants, le résultat sera calamiteux. Certains n'hésiteront pas, il faut en être conscient. A folie d'un
côté, folie de l'autre", prévient la chevrière. Alors, les plans d'accompagnement avancés par Serge Lepeltier ne recueillent qu'un mépris souverain.
Restent les questions. Quid de l'avenir de l'IPHB? L'institution apparaît aujourd'hui à leurs yeux comme l'outil "qui aurait pu...", la fin de la phrase se perd dans le silence. Ce
soir, à 18 heures, l'institution réunira ses composantes en son siège d'Oloron-Sainte-Marie. Cette dernière n'est pas exempte de reproches, pourtant le spectre de la coquille vide
qui se profile laisse présager beaucoup d'amertume. "Nous avons tout perdu dans cette affaire. Quelle est désormais la raison d'être de l'
IPHB?", questionne Julien Lassalle.
Auteur: Xavier Sota
Source: Sud Ouest