Michel Terrasse, Vice-Président LPO/ BirdLife France (Mission Rapaces/LPO) écrivait sur une liste ornithologique la réponse ci-dessous à un internaute.
Depuis quelques mois des informations répétées révèlent des changements drastiques dans la gestion des décharges et des charniers indispensables à la survie des rapaces
nécrophages en Espagne.
Poussés par la faim, des groupes importants de Vautours fauves, espèce se tenant traditionnellement à distance des zones"habitées", font des incursions de plus en plus fréquentes
dans les exploitations d'élevage ou près des charniers abandonnés.
Des aires de nourrissage situées sur le versant oriental des Pyrénées Françaises, (Aude voire au-delà, jusqu'au Massif central), accueillent un nombre accru de Vautours fauves en
quête de subsistance, manifestement en provenance de colonies espagnoles.
Un nombre croissant d'éleveurs fait état "d'attaques"de Vautours sur certaines de leurs bêtes blessées, malades ou pendant la mise bas.
Certaines colonies de reproduction suivies annuellement en Espagne (Aragon, Rioja) montrent une diminution très spectaculaire du nombre de couples et du succès de reproduction,
les poussins n'étant plus nourris par des parents affamés.
Plus loin en Europe, des observations insolites de Vautours Fauves en grand nombre jusqu'en Allemagne, ces dernières semaines, sont très certainement la conséquence de la famine
qui règne en Espagne. Mouvements d'autant plus étonnants qu'ils mettent en jeu des oiseaux adultes, connus habituellement pour être strictement sédentaires.
Un récent cas d'empoisonnement (23 Vautours fauves morts en Aragon le 30 juin dernier), est la conséquence directe de la fermeture des "muladares", dans une région où sont
déposés intentionnellement des appâts contenant des pesticides.
Grâce à la protection de l'espèce et à l'abondance de nourriture disponible, la population de Vautours fauves a crû considérablement au cours des 30 dernières années, représentant
un décuplement des populations initiales avec 22.727 couples recensés en 1999 (del Moral & Marti, 2001).
Durant cette période, les carcasses d'animaux étaient déposées par les fermiers sur des décharges ou sites de nourrissages appelés "muladares". Bien qu'illégale cette pratique,
admise dans les faits, constituait un moyen pratique pour les éleveurs de se débarrasser de leurs bêtes mortes tout en assurant un apport appréciable de nourriture aux Vautours.
Il ne faut pas sous-estimer le développement intense des porcheries industrielles qui depuis 20 ans a profité du recyclage gratuit des carcasses porcines par les Vautours
expliquant en grande partie leur croissance démographique.
Lors de la Green Week à Bruxelles (Avril 2006) A. Camiña a rappelé à la Commission la gravité de la situation. Il lui a été répondu qu'il incombait à l'Etat espagnol de transposer
dans sa propre réglementation les possibilités de nourrir les rapaces nécrophages telles que reconnues par l'Union Européenne.
Conséquences:
La première conséquence, visible à l'oeil nu par les observateurs, est un changement dans les comportements des Vautours Fauves observés.
En l'absence de leurs sources d'alimentation traditionnelles et poussés par la faim, les Vautours adoptent des comportements inédits:
Ils se groupent dans des endroits inhabituels, au sol, dans des arbres ou sur les toits d'habitations contiguës à d'anciens sites d'alimentation.
Les rares données de suivi de colonies sont contradictoires selon les régions:
Alors que les effectifs des colonies du Rio Duraton et Riaza (Castilla Leon) ou de la Province de Madrid sont apparemment stables, on assiste à un effondrement dans le nombre de
couples nicheurs de Vautours Fauves de certaines colonies aragonaises.
Une colonie très importante (plus de 100 couples en 1998) du massif du Guara (Aragon) a chuté à 20 seulement en juin 2006. Une récente étude montre des tendances semblables dans
la vallée de l'Ebre (Aragon), où 98 % des dépôts de carcasses ont été supprimés depuis un an (Alvaro Camiña Acta Ornitologica Vol. 41, 2006).
Des chutes aussi spectaculaires dans le succès de reproduction sont observées.
Pour le Vautour Percnoptère,
la fermeture de ces charniers est systématiquement suivie par l'abandon des dortoirs, si importants pour la survie de cette espèce.
Enfin, signalons que cette année 2006, sera la plus mauvaise pour la reproduction du Gypaète Barbu en Aragon, avec seulement une douzaine de jeunes sur un total de 62 couples
nicheurs!
Nous avons vu que les Vautours affamés se rapprochent de façon systématique des habitations humaines, attirés là par d'anciens charniers ou par la présence de troupeaux.
Les cas de Vautours cherchant désespérément à récupérer les carcasses voire de petits déchets, lors de leur chargement dans des camions, à moitié cachés sous des bâches sont
courants. Les autres attendent, massés sur les toits des habitations offrant un spectacle inquiétant et triste.
La moindre mise bas est l'occasion d'un maigre festin et les arrachements de placentas avec panique à la clé, sont fréquents et interprétés comme autant d'agressions.
Face à ces comportements, la majorité des éleveurs a compris que ces Vautours n'étaient pas responsables.
Il n'en reste pas moins que les titres "les Vautours attaquent".abondent dans les journaux.
Face à ces campagnes de presse, des actions ont été entreprises par certains responsables (Fondo "Los Amigos del Buitre" en Aragon ou l'association FAPAS en Asturies) pour se
rapprocher des éleveurs et tenter une analyse concertée de ce drame où les éleveurs assistent impuissants à l'évolution d'une situation causée par les lacunes de l'administration.
De récentes conférences de presse ou colloques organisés sur ce thème ont montré que les éleveurs eux-mêmes sont les premiers conscients que les "attaques" dont sont victimes
certaines de leurs bêtes affaiblies ne remettent pas en cause le caractère intrinsèquement pacifique et utile des Vautours
L'arrivée très spectaculaire de contingents de Vautours fauves affamés en France (Aude, Massif Central mais aussi sur le littoral atlantique) n'a pas échappé au réseau français de suivi
de ces espèces. Sur certains sites (Aude) les craintes de voir des chevaux se faire attaquer par ces Vautours a déclenché une campagne de presse dont l'impact est à prendre au
sérieux.
La LPO va préparer un dossier de presse, valorisant le rôle joué par les Vautours (équarrissage, écotourisme...) afin de se préparer à de nouvelles campagnes de dénigrement.
Les récentes observations en Allemagne (14 observations en un mois totalisant 230 oiseaux, dont au moins 71 ensemble avec identification d'adultes en nombre non négligeable) sont
très vraisemblablement la conséquence de la situation espagnole.
Après la disparition des Vautours en Inde et la régression sans précédent constatée actuellement dans l'ensemble du continent africain pour toutes les espèces de Vautours,
sommes-nous à la veille d'une nouvelle catastrophe mettant en péril l'avenir des dernières populations saines de Vautours de l'Ancien Monde?
L'Espagne a joué et joue un rôle majeur dans l'avenir des rapaces nécrophages, avec respectivement 92 %, 98 %, 83 % et 84 % des populations européennes de Vautours Fauves, de
Vautours Moines, de Vautours Percnoptères et de Gypaètes Barbus!...
A cela il faut ajouter environ 30% de l'effectif mondial du Milans Royaux.
Aux risques liés à l'usage très présent du poison et maintenant à l'installation de multiples fermes d'éoliennes, les rapaces nécrophages de ce pays n'avaient pas besoin de cette
nouvelle menace, cette fois fondamentale, qu'est la suppression d'une grande partie de leurs ressources alimentaires.
La gravité de la situation commande que soient prises dans les meilleurs délais des actions énergiques et concertées entre les diverses parties prenantes que sont les Gouvernements
des Communautés, les Départements de l'Agriculture et de l'Elevage, les Responsables de l'Environnement, les Instances scientifiques et les Commissions spécialisées de l'Union
Européenne ainsi bien sûr que les Associations de Défense de l'Environnement et d'Ornithologie pour prendre les mesures qui s'imposent, à savoir la création d'urgence d'un réseau
de charniers, répondant aux besoins de chaque espèce et aux spécificités de chaque région.
A l'heure où à grands frais, les principales Instances Internationales (Black Vulture Conservation Fondation, Fondation for the Conservation of the Bearded Vulture, Frankfurt
Zoological Society, Royal Society for the Protection of Birds, BirdLife International.) tentent à travers un Plan d'Action pour les Vautours dans les Balkans de reconstituer les
populations de Vautours de ces pays, il est urgent d'agir et ainsi ne pas laisser pourrir une situation en Espagne avec des effets incalculables sur l'avenir de la biodiversité
en Europe.
A l'heure enfin où l'avenir des rapaces nécrophages est gravement menacé, il est temps de reconnaître le rôle des Vautours dans l'élimination des déchets, contribuant ainsi aux
objectifs de Santé Publique affichés par les Etats pour garantir un certain niveau de Sécurité Sanitaire.
La LPO/BirdLife, en tant que gestionnaire de programmes de conservation franco-espagnols dans les Pyrénées sur le thème des Vautours, souhaite apporter son appui et ses compétences
aux initiatives et aux efforts des instances de conservation d'Espagne pour parvenir à une solution satisfaisante. Elle assure la SEO/ BirdLife de son soutien total dans ce combat.
Finalement Jean-Claude, il n'y avait peut-être aucune raison de se réjouir de ces contacts récents de Vautours notamment en Dordogne... mais peut-être que l'on pourrait lancer
l'idée un peu folle de fixer les Vautours ailleurs en Aquitaine (en Sarladais par exemple) pour prendre le relais?
Sachant qu'a priori çà trotte déjà dans la tête de quelques personnes notamment en Auvergne...
Source: communication sur une liste Ornithologique en mai 2006 en réponse à des questions d'un listaire.
Michel Terrasse
Vice-Président LPO/ BirdLife France
Mission Rapaces/LPO
42, Rue Mederic
92250 La Garenne-Colombes
France
Tel: 00 33 1 47 82 63 11