Un patrimoine industriel menacé et méconnu: les transporteurs par câbles aériens du XIXe siècle. Le cas pyrénéen.
Claude Dubois
Archéologue à l'Association Pyrène. Membre du CILAC.
Doctorant en Histoire des techniques à l'Université de Paris I.
Le transport de matériaux pondéreux, voire de personnes, en montagne, dans des reliefs accidentés ou d'une rive à l'autre d'un fleuve ou d'un bras de mer posait un problème économique souvent insoluble jusqu'au milieu du XIXe siècle. L'apparition, puis le développement des transporteurs par câbles aériens, cableways en anglais, successivement appelés zéonifères, funicilaires aériens, puis téléphériques, apporta une réponse, encore employée à l'aube de l'an 2000.
Cette innovation s'est développée dans les pays européens et dans leurs colonies, ainsi qu'aux Etats-Unis, principalement dans es domaines forestiers et miniers. Cependant, très rapidement elle conquit les ports, les usines de toutes sortes, les chantiers. Elle aboutit à la réalisation de grands téléphériques touristiques, techniquement très fiables, au début de la Première Guerre mondiale. Au sein de cette phase innovante d'un peu plus de 50 ans, trois périodes peuvent être distinguées, marquées par les évolutions des différents systèmes, des matériaux employés, et des performances réalisées.
La période des débuts, de 1860 à 1880, passe du simple câble auquel est accrochée une charge roulante retenue par une corde en chanvre, à la navette, ou va-et-vient sur deux câbles
parallèles. Distances, portées et dénivellations sont timides. Le monocâble porteur et tracteur fait son apparition, ainsi que les premiers câbles en acier et les premiers moteurs pour des
lignes ne fonctionnant plus avec le seul effet de la gravité. Les années 1880 à 1900 sont celles de la maturation. Les lignes atteignent jusqu'à 30 km de longueur. Il s'agit essentiellement
de bicâbles, c'est-à-dire de porteurs et tracteurs distincts, avec bennes circulant en continu. La construction métallique des pylones et des stations commence à concurrencer le bois. L'accrochage
automatique des bennes apparaît. C'est la période des premières réalisations spécifiques pour voyageurs.
Les premiers traités théoriques et pratiques sont publiés. Généralisation et maîtrise qualifient la période de 1900 à 1914. Monocâbles et bicâbles ont chacun leurs domaines d'élection.
Les usages se diversifient et le transport des voyageurs constitue une branche spécifique. L'usage des câbles clos et semi-clos se répand en réponse à certaines contraintes.
Les Etats-Unis développent dans les chantiers navals et les grands chantiers de travaux publics des innovations particulières, telles que les chariots eléctriques automoteurs avec câbles
de levage, les pylones mobiles et basculants etc...
Les Pyrénées ne sont pas restées à l'écart de cette innovation, principalement dans le domaine minier. De 1879, avec le système de navettes des mines de Sentein, sur 2 800 m de longueur et 1 000 m de dénivelée, à 1912 avec le monocâble de 14 km de long pour 1 600 m de dénivellation des mines de Liat dans le haut Val d'Aran, seule la première période est pratiquement exclue, contrairement aux Alpes. Du Canigou à Baïgorry, tout le massif, du moins sur son versant nord, a été équipé. Le bicâble forestier de 1903, couvrant 10 km entre Bonabé en Espagne et Salau en France, et le monocâble minier de 1910 parcourant également 10 km entre l'Hospital de Parzan et Aragnouet, sont de remarquables réalisations transfrontalières. L'Ariège et le Val d'Aran constituent un foyer particulièrement bien équipé, principalement par les monocâbles de la maison Etcheverry. La réalisation du bicâble des mines de Pierrefitte, dans les Hautes-Pyrénées, qui gravit 850 m de dénivelée avant d'en descendre 1.100 m, franchit des portées libres de plus de 600 m, avec un parcours de 6 600 m et un débit de 200 t/jour, constitua une prouesse technique et humaine en 1907.
En permettant l'exploitation économique de sites miniers, forestiers et autres, défavorisés par un relief formant obstacle aux transports traditionnels, en permettant des déplacements rapides et sûrs des pondéreux dans les ports, les usines et les chantiers, en ouvrant, enfin, un nouveau champ économique avec l'accès touristique à la haute montagne et à la neige, les transporteurs par câbles aériens constituent un élément important de l'histoire économique des XIX et XXe siècles et du développement de certaines régions. Par l'innovation qu'ils représentent et leur évolution, ils participent également de manière non négligeable à l'histoire des techniques.
Il s'agit donc d'un patrimoine industriel intéressant, encore peu connu. Or les vestiges antérieurs à la Grande Guerre sont rares et ceux qui subsistent connaissent une menace pressante de destruction dans le cadre de la mise en sécurité des concessions minières inactives. Un inventaire et des mesures conservatoires s'avèrent nécessaires.