"Protéger les troupeaux contre la prédation, de l’alpage à l’exploitation"
Si en 2007 un début de relation entre Alpes et Pyrénées était apparu et s’était poursuivi en se renforçant lentement, notamment par la participation à plusieurs manifestations (Foix, Val d’Aran, Tarbes….) et du CERPAM aux Rencontres Pyrénéennes des Territoires et des Savoirs organisés par l’ASPP 65 en 2011, c’est le 8 avril 2013, à l’occasion de l’assemblée générale de l’association Eleveurs et Montagnes à Forcalquier que la coopération s’est renforcée. Dans ce cadre, l’ADDIP s’est rendue à Valdeblore, au cœur du Mercantour dans les Alpes-Maritimes, accompagné de Francis Ader, de l'ACAP (Association des Chambres d'Agriculture des Pyrénées), pour participer au séminaire du CERPAM sur le thème: "Protéger les troupeaux contre la prédation, de l’alpage à l’exploitation".
Son porte-parole, Bruno Besche Commenge, nous fait part de ses observations et commentaires de ses deux journées de travail et d’échanges.
«Protéger les troupeaux contre la prédation, de l’alpage à l’exploitation», c’est le problème qu’abordait le séminaire organisé par le CERPAM (Centre d'Etudes et de Réalisations Pastorales Alpes Méditerranée) à Valdeblore, dans les Alpes Maritimes, les 3 et 4 juin 2013. Le loup était concerné alors même que des attaques incessantes, à un niveau déjà pire que celui des années précédentes, venaient confirmer l’urgence du problème.
Le point limite a été franchi. Si, dans certains contextes précis et nullement généralisables, l’arsenal des mesures de protection peut être efficace, et encore partiellement et souvent momentanément, pour de plus en plus d’exploitations pastorales ces mesures sont inadaptées, impossibles techniquement et financièrement, contradictoires avec les réalités zootechniques et économiques de l’élevage, humainement inacceptables.
Sur ce dernier point, il faudrait être pire qu’une pierre pour ne pas être empoignés par les témoignages des éleveurs, sur l’estrade comme dans la salle, beaucoup de femmes, qui ont exprimé leur profonde souffrance et l’usure physique et morale face à la situation.
Insupportable d’entendre tel jeune éleveur, au bord des larmes, raconter ses jours et ses nuits à monter une garde épuisante et inutile parce que le loup, de toute façon, est invisible et quand on s’en rend compte c’est trop tard; se forcer à manger parce qu’on sait bien sûr qu’il le faut même si on n’en a plus du tout envie; se réveiller en sursaut la nuit même lorsqu’on n’est plus en territoire du loup parce que la peur est devenue la première compagne; la copine qui finit alors par partir parce que pour elle aussi c’est invivable.
Et pour tous: ne plus savoir parler de rien d’autre que ça ; les gosses qu’on ne voit pas grandir parce qu’on vit en permanence «au cul» du troupeau; le sentiment d’impuissance et d’inutilité qui vous envahit.
En ce sens, la projection du film «Éleveurs, les morsures invisibles», réalisé par la Mutualité Sociale Agricole Ardèche – Drôme – Loire, a été aussi un moment fort: comme pour toute personne victime d’un accident ou d’une agression très traumatisante, un soutien psychologique a dû être mis en place pour accompagner les éleveurs dans le difficile gestion personnelle et familiale des conséquences.
Faudra-t-il attendre que l’irréparable se produise pour enfin comprendre la situation? Ce n’est pas du tout une vue de l’esprit: à côté des Pyrénéens venus apporter leurs soutien (ACAP et ADDIP), un éleveur finlandais, représentant les éleveurs européens au niveau de l’UE, avait fait le déplacement pour s’informer sur la réalité française. Il a notamment raconté cette histoire survenue chez lui: ne supportant plus une prédation totalement ingérable, un groupe d’éleveurs décida de tuer la meute responsable. Ils furent emprisonnés le temps de l’instruction, à sa sortie l’un d’eux se tira une balle dans la tête. Faut-il dire: match nul, 1 à 1, une meute, un homme? Mais où vit-on? Quel monde, quelle Europe?
Parce que le problème est bien là, quelle Europe? Impossible de ne pas poser la question quand le propre représentant du Ministère de l’Environnement présent, conscient comme tous du caractère insupportable des situations vécues, a posé le contexte dans lequel la France est obligée de raisonner. Obligée en effet parce le texte européen qui encadre les loups, et au delà toute la politique environnementale des États membres, est juridiquement contraignant.
La directive Habitats, Natura 2000, impose l’obligation, sous peine de très lourdes amendes, de donner la priorité aux loups, comme au «sauvage» en général. Les marges de manœuvre pour essayer, malgré tout, de préserver hommes et troupeaux sont très étroites et toujours susceptibles des foudres de la Cour Européenne. Ce n’est pas là non plus une vue de l’esprit: ce qui se passe à l’heure actuelle autour du hamster en Alsace, la récente condamnation de notre pays par cette Cour pour ne pas avoir intégré dans sa législation les articles les plus contraignants de la Directive, montrent clairement où est la contrainte.
Ces marges de manœuvre, il faut bien sûr en jouer le plus possible. Cela ne règlera rien sur le fond, et tout le monde dans la salle comme à la tribune en était conscient. Oui, sur ce plan la situation peut être désespérante. Elle n’est pas désespérée. D’une part certaines marges de manœuvre sont sans aucun doute à creuser davantage ; travail difficile et incertain mais indispensable et en cours. Mais d’autre part, sur le fond, dans quasiment tous les Etats membres on commence à se poser de sérieuses questions sur cette Directive, à de multiples niveaux, dont la biodiversité elle même, qu’il serait trop long de reprendre ici.
Pour la situation pyrénéenne, l’ADDIP depuis longtemps alerte sur cette Directive et a déjà mené une réflexion de fond la concernant. Nous ne sommes plus seuls, pas seulement en France, en Europe aussi. Comme avec les loups, pour les ours, sur le terrain, des solutions concrètes sont à trouver, des actions à mener. Mais au delà, et les éleveurs présents au séminaire de Valdeblore l’ont exprimé avec force, cet ensauvagement de nos territoires de vie, nous n’en voulons pas, ni les uns ni les autres. C’est cela que l’Europe doit entendre.
Oui, c’est une guerre, et il faut dire que, sur ce plan, les représentants de Ferus ou ceux très hypocrites de «la pastorale Pyrénéenne» chargés de placer des patous en tentant de faire croire qu’ils sont neutres en l’affaire alors que c’est leur garde manger, pâlissaient à vue d’œil au fur et à mesure que le séminaire avançait. Ils avaient aussi perdu des langues qu’ils ont en général très affûtées. C’est ce qu’on appelle: le courage de ses opinions.
Et il faut à l’inverse saluer le courage du représentant du Ministère: c’est peu dire qu’il était dans le viseur! Mais en posant le problème dans son contexte il a permis, je crois, à chacun de mieux comprendre ce qui, lorsqu’on le vit dans l’horreur quotidienne, semble une fatalité venue d’on ne sait où.
Cette guerre nous la menons de plus en plus en commun. Elle est «contre» certes, mais parce qu’on nous y oblige. Mais elle est d’abord pour: assurer l’avenir de ce pastoralisme dont les façons de produire et les produits correspondent de plus en plus à une demande de nos sociétés développées, assurer en même temps la conservation de milieux et paysages liés depuis le néolithique à la présence des hommes et des troupeaux, assurer par la même à la société la possibilité de jouir de ces paysages et milieux dont, là encore, elle est de plus en plus «en manque» dans sa vie quotidienne.
Certains voudraient faire croire que le monde pastoral est archaïque, refermé sur lui même, c’est exactement le contraire: les enjeux que nous défendons sont plus que jamais contemporains, et concernent directement tous nos contemporains. C’est aussi ce qu’a souligné à Valdeblore le Président de la Fédération Nationale Ovine.
Merci aux amis alpins de nous avoir permis, une fois de plus, d’avoir vu que nous sommes identiques dans cette volonté. Et, ils le savent, nous sommes à leur côté, y compris pour les actions concrètes à mener sur le terrain afin de faire entendre avec force, grande force, ce que nous refusons et ce que nous voulons.
Pour l’ADDIP, son représentant à Valdeblore, B. Besche-Commenge
(1) Ndr:
Au cours de ce séminaire, il a été élaboré le projet de traduire ce film en anglais à destination des pays scandinaves confrontés à la même situation dans des condtions encore plus
dramatiques.