Ça fait désordre. Dans ce village de 690 âmes, entre l’église et le monument aux morts d’un côté et la mairie de l’autre, une femme tient tête à toute une administration. En fait, une résistance face au maire et un Parc National du Mercantour dont, à priori, on se demande bien ce qu’il vient faire dans cette histoire d’attribution d’estives et d’appréciation sur l’élevage équin dont il ne connaît manifestement pas grand-chose si on lit bien la Charte.
C’est une montagnarde de plusieurs générations. Issue d’une famille de plusieurs siècles d’éleveurs, elle sait résister. Optimiste, positive, elle ne désespère pas. Le maire ne lui parle plus mais, hors micro, elle ne désespère pas renouer le dialogue. Avant d’entamer sa troisième nuit, elle constate que depuis le lundi "le sac de nœuds a été dénoué" grâce à la Chambre d’Agriculture. Le maire a prévu une réunion de tous les services concernés, y compris le sous-préfet en pleine période électorale (entre les deux tours), mais… sans les intéressés et sans les syndicats représentatifs des agriculteurs. Dimanche ce sont les élections. Les électeurs du village passeront obligatoirement devant cette tente de gréviste de la faim… Ça fait vraiment désordre.
Ce n’est pas elle qui a choisi les dates de soumission et elle dit clairement: "Je n’ai pas voulu interféré dans la campagne électorale. Ce n’est pas mon combat". Clore une soumission le 18 mars, 5 jours avant les élections, c’est osé. D’autant que la mairie a été fortement défaillante: non renouvellement de bail et de convention de pâturage depuis 2 ans, non mise en recouvrement des redevances, renouvellement précipité de ces conventions à la veille d’élection dans des conditions et à une date inappropriée, voir même peut-être illégale en matière agricole (Renouvellement des baux ruraux)… Ça fait beaucoup!
Néanmoins, Catherine Bisotto-Bois reste ouverte et optimiste pour qu’une solution soit trouvée dans l’intérêt de tous et pour le maintien d’une activité patrimoniale sur la commune.
Catherine s’exprime clairement sur ce sujet
Catherine, c’est aussi son compagnon, Guy Bois et leurs enfants. Tous les jours présents aux côtés de leur gréviste préférée pour soutenir son action. C’est aussi l’oncle et la tante, dans le village, particulièrement inquiets pour la santé de leur nièce et de l’issue de cette action revendicative assez peu courante dans ce fond de vallée. Ce sont des amis qui se relaient pour lui tenir compagnie. Ce sont aussi des éleveurs venus de toute la région. "J’ai été agréablement surprise de voir pratiquement tous les éleveurs. Beaucoup se sont exprimés sur mon cahier". Un cahier de libre expression sur lequel chacun peut donner son avis. Pas de pétition, juste s’exprimer librement. Et puis c’est le papa, de 80 printemps, venu voir sa fille. Après l’avoir écouté, il lui fait cette réponse simple: "Continue". Un encouragement qui, à lui seul, justifie de ne pas céder tout en restant ouverte au dialogue, mais pas n’importe lequel.
Situation délicate pour Amandine Ugo qui devait s’installer comme éleveuse mais aussi pour proposer des randonnées équestres et participer au développement touristique territorial. Le tourisme, objectif légitime du maire mais aussi du Parc Nationale du Mercantour puisque nous sommes en zone d’adhésion où la Charte s’applique. Mais, lorsqu’on ne connaît rien à l’élevage, il est peut-être préférable de laisser faire les professionnels ou de s’entourer de leurs compétences au lieu de vouloir s’imposer. Proposer du rêve et des cailloux à une jeune agricultrice ce n’est pas aider les jeunes et l’élevage, pas plus que le tourisme. Il faut autre chose qui manque manifestement à ces décideurs.
Contrairement à ce que certains pouvaient imaginer, cette épreuve a rapproché Catherine Bisotto-Bois et Amandine Ugo. Comme prévu, cette dernière a retiré sa soumission auprès de la mairie puis a traversé la rue pour soutenir Catherine. Aujourd’hui, c’est le combat de deux femmes. L’une, l’ancienne, qui se bat pour conserver son exploitation d’élevage de chevaux de Mérens. L’autre, la jeune, une vingtaine d’années, se bat pour créer son exploitation d’élevage de chevaux. En fait, le même combat pour la reconnaissance de leur activité et de leur droit à rester vivre sur la terre de leurs ancêtres. Un droit que nie ouvertement le Parc National du Mercantour et la Charte votée par des élus, malgré les effets de langage. Pour Catherine Bisotto, il faut aider Amandine à s’installer. Il faut lui trouver une estive et des terrains à louer. Il faut mobiliser la profession agricole autour de cette problématique d’installation des jeunes pour animer les territoires.
Catherine nous parle d’Amandine
Nous avons vu hier que le maire de Belvédère comme le Parc National du Mercantour affichaient clairement leur volonté de préserver le patrimoine de leur territoire. Parmi les divers patrimoines il en est un, oublié, en voie de disparition rapide si rien n’est fait dans les très prochaines années, c’est l’élevage et le pastoralisme. Malgré les belles déclarations et les beaux titres des publications, séminaires et discours, le Parc National du Mercantour mène une politique totalement opposée au maintien de ce patrimoine immatériel. La Charte, dans ce domaine, dit tout et son contraire. Les orientations prises en faveur du classement au patrimoine mondial de l’UNESCO sont manifestement tournées, dans la plus totale discrétion et sans transparence, contre ce patrimoine qu'il prétend défendre. C’est clairement écrit aux pages 34, 38 et 53 de la Charte du Parc National.
Au-delà d’une revendication personnelle, Catherine Bisotto-Bois mène pacifiquement, sans aucune haine ni violence verbales, une action de résistance à cette véritable entreprise de destruction patrimoniale organisée par le Parc National du Mercantour. Sujet sur lequel nous reviendrons.
Ces estives qu’elle continue d’entretenir par la présence de ses chevaux, ces prairies de fauche dont l’une a remporté le "Concours de prairies fleuries transfrontalier Mercantour-Marittime" de 2013 avec la mention "conservation et connaissance de la biodiversité" grâce à la qualité de son travail, c’est aussi la terre de ses ancêtres. Plusieurs siècles d’hommes et de femmes qui se sont épuisés à la tâche dans des conditions extrêmement difficiles. Son arrière-grand-père, à la fin du 19ème siècle, avait réalisé le chemin qui mène précisément aux estives sujet de la polémique. Comment ne pas penser à cet homme en conduisant ses chevaux? Mais aussi, comment ne pas penser à tous ceux qui fauchaient et entretenaient ces paysages aujourd’hui disparus autour du village?
Catherine nous parle de ce patrimoine.
Louis Dollo, le 19 mars 2014