Le Monde des Pyrénées

Le décret d'appellation d'origine controlée (AOC) de la brebis Barèges-Gavarnie

Afin de valoriser la viande de leurs brebis de race d'origine, "la barègeoise", dans le cadre d'un développement durable et respectueux du milieu montagnard, les éleveurs du Pays Toy, jadis appelé les vallées du Barège (Baretje), ont eu l'idée de faire labelliser leurs produits par une appellation d'origine contrôlée (AOC) officiellement reconnue et, 5 ans plus tard, en appellation d'origine protégée (AOP).
Cette appellation d'origine doit répondre à de nombreux critères liés à l'histoire du pastoralisme de la vallée. Il semble qu'un de ces critères soit incompatible avec la présence durable de l'ours dans les vallées Toy

- Les critères et problématiques de l'AOC

- Décret d'AOC "Barèges-Gavarnie"

Décret du 15 septembre 2003 relatif à l'appellation d'origine contrôlée "Barèges-Gavarnie"
JO n° 218 du 20 septembre 2003 page 16137
NOR: AGRP0301483D

Le Premier ministre,
Sur le rapport du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales et du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie,
Vu le règlement communautaire n° 2081/92 modifié du Conseil du 14 juillet 1992 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires;
Vu le code rural, et notamment ses articles L. 641-2, L. 641-3 et L. 641-6;
Vu le code de la consommation, et notamment ses articles L. 115-6 et L. 115-20;
Vu le décret du 15 avril 1991 portant organisation et fonctionnement de l'Institut national des appellations d'origine;
Vu le décret du 15 septembre 2003 relatif à l'agrément de la viande d'appellation d'origine contrôlée "Barèges-Gavarnie";
Vu la proposition du comité national des produits agroalimentaires de l'Institut national des appellations d'origine en date du 19 décembre2002,
Décrète:

- Article 1

Seules ont droit à l'appellation d'origine contrôlée "Barèges-Gavarnie" les viandes fraîches qui répondent aux conditions définies par le présent décret, issues:

Un règlement technique d'application homologué par arrêté conjoint du ministre chargé de l'agriculture et du ministre chargé de la consommation, pris sur proposition du comité national des produits agroalimentaires de l'Institut national des appellations d'origine, précise les modalités d'application du présent décret.

- Article 2

Aire géographique.
- Pour avoir droit à l'appellation d'origine contrôlée, la viande doit provenir des animaux nés, élevés, abattus et découpés dans l'aire géographique qui s'étend aux territoires des communes ou parties de commune suivantes du département des Hautes-Pyrénées:

A l'intérieur de cette aire géographique, il est défini une aire dite de "zone d'estive" dont les limites ont été approuvées par le comité national des produits agroalimentaires de l'Institut national des appellations d'origine au cours de sa séance du 21 mars 2002, sur proposition de la commission d'experts nommée à cet effet. Un document cartographique reprenant les limites de cette "zone d'estive" est déposé dans les communes de l'aire.

- Article 3

Race et troupeaux.
- Au sens du présent décret, on entend par:

La totalité du troupeau présent sur l'exploitation doit être conforme au présent décret.
Dans chaque troupeau, les critères de sélection génétique doivent correspondre à la pratique de l'estive en liberté.
Les troupeaux sont composés exclusivement d'ovins de race barégeoise. Toutefois, les troupeaux composés d'ovins de race tarasconnaise ou d'ovins issus des croisements de races tarasconnaise-barégeoise ou barégeoise-berrichon ou tarasconnaise-berrichon disposent d'un délai de mise en conformité, qui expire au plus tard le 31 décembre 2007, et doivent suivre l'échéancier défini au règlement technique d'application.
Tout animal doit être présent de façon continue au moins douze mois dans le cheptel de l'exploitation.
Chaque troupeau comprend au moins un bélier de race barégeoise pour cinquante brebis.
Chaque éleveur conserve les agnelles de renouvellement issues de son propre troupeau dans une proportion minimale de 30 % du nombre total de brebis.
Le déclenchement artificiel des chaleurs, par quelque moyen que ce soit, est interdit.
La lutte doit être naturelle.
Dans le troupeau, au plus tard le 31 décembre 2012, l'effectif des mâles castrés, toutes tranches d'âge confondues, correspond à 20 % au minimum de l'effectif total des brebis. Pour atteindre ce pourcentage, le troupeau doit suivre l'échéancier défini au règlement technique d'application.
Quelle qu'en soit la méthode, la castration est effectuée seulement après la descente des testicules dans le scrotum.

- Article 4

Pratiques pastorales.
- L'élevage des animaux doit se dérouler au rythme des saisons et de la pousse de l'herbe, en fonction de l'altitude et de l'exposition des pâturages. Dans l'année, il comporte quatre étapes successives:
Une période hivernale, comprise entre le 1er novembre et le 31 mars, pendant laquelle les animaux séjournent au point le plus bas de l'exploitation. L'accès à la pâture sur les prairies de fauche, situées à proximité des exploitations, est obligatoire lorsque les conditions climatiques le permettent;
Une période de transition au printemps et à l'automne, appelée "intersaison", au cours de laquelle les animaux séjournent et pâturent sur les secteurs de moyenne montagne appelés "zone intermédiaire" ou zone "des granges foraines". L'altitude des zones intermédiaires est comprise entre 1.000 et 1.800 mètres. Chaque éleveur doit disposer d'une surface de pâture en zone intermédiaire. Seuls les éleveurs dont le siège de l'exploitation est situé à plus de 1.000 mètres ne sont pas tenus de respecter cette étape d'intersaison;
Une période estivale, au cours de laquelle les animaux sont conduits sur des pâturages appelés "estives" tels que délimités à l'article 2. Les animaux y pâturent en liberté totale de jour comme de nuit.
Le pâturage en estive est obligatoire pour la totalité du troupeau au minimum du 15 juin au 31 août, à l'exception des animaux sortis de l'estive pour abattage.
Exceptionnellement, lorsque l'état sanitaire d'un animal ne permet pas de le laisser en estive avec le reste du troupeau pendant la période obligatoire, l'éleveur est autorisé à le garder à l'étage des granges foraines ou au siège d'exploitation pendant un maximum de vingt et un jours. Au-delà de cette période, la viande issue de cet animal ne peut prétendre à l'appellation d'origine contrôlée "Barèges-Gavernie" tant que l'animal n'a pas effectué une estive l'année suivante dans les conditions prévues au présent décret.
Le chargement total des animaux sur une exploitation ne peut excéder 1,4 UGB/ha, les estives et bas-vacants étant pris en compte dans le calcul pour un maximum de 180 jours/an. Le calcul de ce chargement est établi sur la base du nombre de brebis multiplié par 0,15.
Afin de respecter la diversité de la flore sauvage, les chargements en estive ne doivent pas excéder 0,5 UGB/ha, toutes espèces animales confondues;
Les prairies utilisées en période hivernale et à l'intersaison sont entretenues notamment par:

- Article 5

Alimentation.
- L'alimentation est constituée principalement par la pâture des prairies de fauche, des bas-vacants collectifs et des estives situés dans l'aire géographique définie à l'article 2.
Au sens du présent décret, on entend par bas-vacant collectif les zones de pâturages situées entre les granges foraines et les estives.
Pendant la période hivernale, l'alimentation est constituée principalement de fourrages secs, foins et regains provenant de l'aire géographique définie à l'article 2.
En cas d'insuffisance en ressources fourragères pour la période hivernale, des achats de fourrages secs, produits à l'extérieur de l'aire définie à l'article 2, sont autorisés dans la limite de 20 % des besoins des troupeaux pendant cette période.
Pour chaque exploitation est établi un bilan fourrager annuel.
En complément des fourrages secs et uniquement pendant la période hivernale, l'apport de céréales en grains entiers ou concassés est autorisé pour les brebis et mâles castrés. Les achats de céréales peuvent être effectués en dehors de l'aire définie à l'article 2.
L'apport d'aliments complets est autorisé uniquement pour les animaux de moins de quatre mois.
Pendant l'intersaison, seule la pâture est autorisée. Toutefois, les brebis fraîchement agnelées peuvent bénéficier d'un complément d'alimentation composé de foin récolté dans l'aire de production l'été précédent.
Pendant la période d'estive, seule la pâture est autorisée.
Les fourrages fermentés partiellement ou en totalité tels que l'ensilage ou l'enrubannage sont interdits sur l'exploitation.
Toutefois, les exploitations qui élèvent un troupeau de bovins totalement séparé du troupeau ovin peuvent distribuer ce type d'aliment aux bovins sur autorisation annuelle accordée par les services de l'Institut national des appellations d'origine après avis de la commission "conditions de production".
L'apport de chlorure de sodium est autorisé sous différentes formes suivant les périodes.
Les additifs des aliments des animaux sont interdits à l'exception des vitamines, des oligo-éléments et des additifs technologiques contenus dans les pierres à lécher ou dans les aliments complets destinés aux animaux de moins de quatre mois.
La composition des aliments complémentaires, leur proportion journalière ainsi que les conditions d'octroi des autorisations répondent aux conditions fixées dans le règlement technique d'application prévu à l'article 1er, dernier alinéa.

- Article 6

Traitements vétérinaires.
- Tout traitement n'ayant pas un but préventif ou curatif est interdit.
Les aliments médicamenteux sont interdits aux animaux de plus de deux mois.

- Article 7

Identification des animaux et suivi du troupeau.
- Les animaux de race barégeoise aptes sont identifiés vivants par un tatouage réalisé avant la première montée en estive. Cette identification est constituée par le sigle "B-G" à l'oreille gauche et par un numéro à l'oreille droite.
Pendant la période de reconversion des races, les animaux qui ne sont pas de race pure barégeoise et qui sont soumis aux dispositions de l'article 3 sont tatoués à l'oreille gauche du sigle B-X.

- Article 8

Abattage et préparation des carcasses.
- Les animaux sont abattus et découpés dans des abattoirs et des ateliers de découpe situés dans l'aire géographique définie à l'article 2. Les ateliers de découpe vendant directement au détail (boucheries de détail) peuvent être situés hors de la zone définie.
La durée de transport des animaux ne doit pas dépasser la durée d'une heure entre la fin du chargement et le début du déchargement à l'abattoir.
L'abattage intervient dans un délai maximum de quinze heures après le début du déchargement.
Au cours des différentes manutentions que sont le chargement, le déchargement et l'abattage, il est interdit de saisir les animaux par la laine.
La dépouille et l'éviscération se font avec un soin particulier de manière à ne pas arracher le gras de couverture et à ne pas souiller les carcasses. Les carcasses ne sont pas lavées.
Enfin de chaîne d'abattage, les animaux sont pesés individuellement et classés selon la grille EUROP.
L'identification de l'animal prévue à l'article 7 est reportée sur la carcasse.
Le poids de carcasse des brebis est de 22 kg minimum.
2 Le poids de carcasse des mâles castrés est de 23 kg minimum.
Les carcasses doivent présenter les caractéristiques suivantes:

Le ressuage des carcasses entières s'effectue dans une salle frigorifique fortement ventilée entre 4 °C et 6 °C pendant une période de vingt-quatre heures minimum.

- Article 9

Identification et étiquetage de la viande AOC.
- L'identification de la viande AOC "Barèges-Gavarnie" se fait au stade de la carcasse entière non dégraissée à la sortie de la salle de ressuage.
Elle se traduit par l'apposition immédiate d'une bande d'identification à l'encre des deux côtés de la carcasse.
La carcasse et les pièces de découpe qui en résulteront sont accompagnées d'une étiquette qui précise au minimum:

- Article 10

Agrément.
- Pour pouvoir bénéficier de l'appellation d'origine contrôlée "Barèges-Gavarnie", la viande doit avoir satisfait aux dispositions du décret du 15 septembre 2003 susvisé.

- Article 11

L'emploi de toutes indications ou signes susceptibles de faire croire à l'acheteur qu'une viande a droit à l'appellation d'origine contrôlée "Barèges-Gavarnie", alors qu'elle ne répond pas à toutes les conditions fixées par le présent décret, sera poursuivi conformément à la législation générale sur les fraudes et sur la protection des appellations d'origine contrôlées.

- Article 12

Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales et le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Fait à Paris, le 15 septembre 2003.
Jean-Pierre Raffarin, Par le Premier ministre:
Le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales,
Hervé Gaymard
Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie,
Francis Mer
Le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation,
Renaud Dutreil

Modification et évolution:

- Compatibilité avec la présence de l'ours dans les Pyrénées

La brebis "Barégeoise" était une race sur le déclin pour ne pas dire la disparition au profit de la Tarasconnaise qui présentait des qualités différentes en matière de rusticité en particulier. Les éleveurs du Pays Toy ont eu à coeur de sauvegarder cette race spécifique de la vallée comme d'autres se lancent dans le développement de la chèvre des Pyrénées ou de la brebis de race "lourdaise".
Pour valoriser la viande produite avec la barègeoise il a été imaginé la création d'une appellation d'origine contrôlée (AOC), comme le vin ou autres produits agricoles tout en fixant les règles et conditions de l'élevage de cette race.

L'article 4 du décret d'AOC "Barèges-Gavarnie" prévoit que:
"Une période estivale, au cours de laquelle les animaux sont conduits sur des pâturages appelés " estives "tels que délimités à l'article 2.
Les animaux y pâturent en liberté totale de jour comme de nuit.
"Le pâturage en estive est obligatoire pour la totalité du troupeau au minimum du 15 juin au 31 août, à l'exception des animaux sortis de l'estive pour abattage."

Il est clair que les animaux sont en liberté jour et nuit. Le fait des regrouper la nuit dans un parc à proximité d'une cabane et gardé par un berger est exclue. De même le fait qu'un berger conduise le troupeau sur un parcours de son choix est à exclure. C'est la brebis qui décide, pas le berger.
Cette règle (et les autres) a été puisée dans le passé par des recherches historiques sur l'élevage dans les vallées du Barège. Jadis, l'ours ne faisait que passer exceptionnellement et il y avait peu ou pas de prédation. De plus, les quelques vaches que chaque famille possédait pour produire du lait à des fins de consommation familiale étaient gardées (il fallait les traire tous les jours et descendre régulièrement au reste de la famille) sur des estives inférieures à celle des brebis. Ceci permettait d'avoir néanmoins une présence humaine permettant une observation lointaine des brebis en intervenant qu'une fois par semaine comme c'est le cas actuellement sans pour autant être présent en permanence.
L'élevage a évolué avec la scolarisation des enfants (les enfants gardaient les bêtes dés 12 ans), la réduction du nombre de jeunes dans les vallées, conséquences de deux grandes guerres (1914 puis 1939), l'évolution du niveau de vie n'acceptant plus de vivre dans des cabanes de pierre sèche sur un lit d'herbes sèches et l'absence d'hygiène, etc....
L'élevage s'est adapté au fil du temps. Dans le même temps nous pouvions constater la réduction du nombre d'ours. Là aussi l'élevage s'est adapté.
Mais dans le cas des vallées du Barège (Pays Toy), l'ours n'a jamais été un gros problème jusqu'à l'arrivée de Papillon en 2003/2004, venu du Béarn pour s'installer et se servir jusque dans les villages (Sers). Jamais, historiquement, la vallée n'avait connu autant de prédations qu'en 2001 au-dessus de Betpouey au milieu des granges foraines dont certaines sont habitées. Il se dit, selon les anciens, que par le passé, l'ours allait du Béarn au Luchonnais en passant par le versant sud. Mais aujourd'hui ce versant sud est un grand parc touristique avec des stations de ski, des parkings (Ordessa), etc... qui font que l'ours n'y trouve plus la tranquillité indispensable.
Conclusion, il a changé d'itinéraire et les conditions d'un bon accueil sur le nouvel itinéraire ne sont pas remplies.
Parmi ces conditions il y a les règles de pâturage dans les estives qui sont parfaitement décrites dans le décret ministériel de manière très officielle après une longue démarche de récherche, études, discussions de plusieurs années.

Aujourd'hui, les éleveurs du Pays Toy se font critiquer parce qu'ils ne veulent pas changer leurs vieilles méthodes d'élevage, pire, des associations écologiques prétendent que les troupeaux sont abandonnés.
Abandonnés?
Non, sûrement pas.
Prétendre de telles choses c'est être ignorant des méthodes d'élevage et de l'histoire de ces vallées. Mais encore pire, nous avons vu en cette fin d'été 2005 que même un troupeau gardé au Saugué pouvait faire l'objet d'une prédation.
Alors, est-ce les méthodes d'élevage qui sont la conséquence des prédations ou la seule présence d'ours à laquelle personne n'est habitué?
Une chose est certaines: il existe un décret ministériel qui est incompatible avec la présence de l'ours ou inversement. Et tout ceci est le fait de l'Etat français et du même gouvernement. Qu'est-il proposé pour régler ce problème?
Rien!
Voyons la suite...