- Ragondins: poison interdit: Pierre Verdet
Un arrêté ministériel signé le 25 avril par l'ancien ministre de l'environnement Yves Cochet, et paru au "Journal officiel" le 4 mai, était passé inaperçu; pourtant il risque de provoquer de nombreuses réactions dans nos campagnes. En effet, il s'agit de l'interdiction de l'utilisation de la bromadiolone(un anticoagulant) pour la destruction des ragondins, ces gros mammifères rongeurs qui ont colonisé tout le territoire national depuis leur introduction sur notre sol, en particulier au siècle dernier, en provenance d'Amérique du Sud.
Seul le ragondin, espèce classée gibier nuisible, est concerné par cet arrêté.
Les campagnols, qui sont également détruits à l'aide de cet anticoagulant, peuvent toujours être
traités ainsi, puisqu'ils sont classés pour leur part "ennemis des cultures".
L'arrêté, qui prend immédiatement effet, va satisfaire chasseurs et protecteurs de la nature et, à l'inverse, mécontenter de nombreux agriculteurs. En effet, les ragondins, dont
les populations ont littéralement explosé depuis une dizaine d'années, causent des dégâts aux céréales mais aussi aux berges des rivières et des canaux.
- Carottes empoisonnées.
Ces dégâts ont pris une telle importance que des campagnes d'empoisonnement sont organisées chaque année dans la plupart des départements, au cours des périodes d'avant semis. Il s'agit d'installer, sur les cours d'eaux habités par ces mammifères, des plaques de polystyrène appelées radeaux, sur lesquels on dispose des tranches de carottes fraîches imprégénées de bromadiolone, un anticoagulant très puissant, uniquement délivré avec une autorisation préfectorale. Les ragondins ingérant ces appâts sont victimes d'hémorragies abdominales et pulmonaires et vont crever dans leurs terriers. Le problème c'est que, en dépit de ces campagnes financées par les contribuables, l'espèce se porte toujours très bien, mais que d'autres animaux sont victimes d'empoisonnements directs ou indirects. Lièvres, lapins, chevreuils, canards, poules d'eau crèvent en mangeant des carottes empoisonnées qui se trouvent à leur portée. Puis des prédateurs, tels les rapaces, les loutres, les renards ou des charognards comme les sangliers sont touchés à leur tour, lorsque ils s'attaquent aux ragondins empoisonnés.
- Dégats collatéraux.
De nombreuses analyses effectuées par le laboratoire de toxicologie de l'Ecole vétérinaire de Lyon, à la demande du réseau SAGIR (un réseau chargé de la surveillance sanitaire du gibier, fonctionnant avec l'Office national de la chasse et les fédérations de chasseurs), qui fut l'un des premiers à dénoncer la bromadiolone, ont mis ces regrettables dégâts en évidence. Des dégâts auxquels il faut ajouter la prolifération des cadavres de ragondins morts sur des plans d'eau, au risque de provoquer des phénomènes de botulisme, voire de pollutions graves sur des zones de captages. "L'interdiction de la bromadiolone est une victoire pour le monde de la chasse et les protecteurs de la nature, affirme Philippe Barbedienne, directeur de la SEPANSO. Nous devons continuer à nous battre contre toutes formes d'empoisonnement en milieu naturel. Pour les ragondins, il faut utiliser tous les modes de chasse possibles: fusil, arc, déterrage, et multiplier les opérations de piégeage pour limiter les populations. Pourquoi ne pas créer des emplois de piègeurs? Les budgets alloués aux campagnes d'empoisonnement sont considérables."
- L'efficacité du piégeage.
François Lamarque, un des responsables du réseau SAGIR, précise de son côté: "Sur un plan toxicologique, l'interdiction de cet anticoagulant est une bonne chose, mais il va falloir
trouver d'autres moyens. Le problème est qu'en France nous avons trop laissé les populations de ragondins se développer. A l'inverse, les Anglais ont éradiqué l'espèce sur leur
sol, grâce au piégeage, en s'attaquant beaucoup plus tôt au problème."
Le piégeage et les battues administratives suffiront-ils à stopper la progression des ragondins? Selon les piégeurs, le piège-cage, ou boîte à fauve, est très efficace, mais le
système demande effectivement plus de main-d'oeuvre. Quant aux battues, elles peuvent également être performantes. Pour preuve, cette année, en Loire-Atlantique, pas moins de
3.200 bêtes ont été abattues en une demi-journée.
Une seule chose est sûre: il est impossible de laisser proliférer encore ces malheureux rongeurs anarchiquement introduits sur notre sol au mépris des équilibres biologiques. Personne ne le conteste, mais en attendant, l'arrêté signé par Yves Cochet entre les deux tours des présidentielles risque d'alimenter les conversations rurales au cours des prochains jours.
Article paru dans Sud-Ouest du 16 mai 2002