Le Monde des Pyrénées

Le témoignage de Didier Trigance

Si la violence physique est condamnable, celle perpétrer par Didier Trigance à l’égard de deux agents du Parc National du Mercantour était prévisible et elle est aussi compréhensible au point de se poser une question fondamentale: qui agresse qui et pourquoi? Il trouve même de nombreux soutiens et beaucoup de sympathie tant la tension entre bergers et agents de ce Parc national est tendue. Et la situation n’est pas nouvelle puisque, déjà dans un rapport de mission parlementaire de 2003, l’attitude de ces agents était montrée du doigt. La situation ne s’est pas améliorée lorsque nous voyons tous les conflits apparus sur la seule année 2012. Il y a manifestement une difficile cohabitation entre le Parc National du Mercantour et ses usagers pastoraux et touristiques.

Par ailleurs, le stress subit par les éleveurs et bergers, consécutif à la présence du loup, est telle que la vie est un enfer que la vie est un enfer. Nous dirons que frapper n’est pas acceptable, mais le comportement des agents ne l’est pas pour autant comme l’explique Didier Trigance ci-dessous qui assume parfaitement son geste. Geste qui, chez d’autres, pourrait être plus grave pour ne pas dire fatal. Au lieu de condamner, ne serait-il pas plus normal de s’attaquer à la cause?

Louis Dollo, le 26 août 2012

Le mardi 7 août, j'ai trouvé 2 agneaux en morceaux dans un vallon et le lendemain un troisième. Le mercredi, j'ai donc appelé comme d'habitude le répondeur de la DDTM pour signaler cette attaque et un quart d'heure après, la DDTM m'a rappelé en me disant qu'elle n'avait pas de vacataire disponible sur place pour faire le constat. Elle m'a signalé qu'un agent du parc était présent sur le col des 30 souches et m'a demandé de lui apporter les agneaux là-bas.

Il m'aurait fallu plus d'une heure pour sortir les agneaux du vallon et encore une autre pour les apporter au col. J'ai refusé et réclamé qu'on fasse le constat sur place. Le ton est monté. Je lui ai raccroché au nez. Vers 14h, j'ai vu arriver les agents du parc à la cabane. J'ai cru qu'on allait se rendre sur place. L'agent qui devait faire le constat avait une sciatique et ne voulait pas se déplacer. Il était déjà venu chez moi une dizaine de fois faire des constats et tout s'était toujours bien passé. Je lui ai dit que je n'en avais plus rien à faire et que maintenant, je voulais défendre mon gagne-pain. Avec l'agent du parc, il y a avait un stagiaire qui m'a dit de me taire et de m'adresser à leurs chefs, en bas. Le ton est monté et le stagiaire a fini par me dire que de toute façon, lui il était pour le loup et que les moutons, il n'en avait rien à faire. Je lui ai dit de dégager, de foutre le camp. La tension est montée et comme il refusait de partir, je n'ai plus pensé à rien. Je me suis révolté et j'ai fait une connerie. J'ai frappé l'autre agent accidentellement.

Ces paroles-là, elles n'auraient pas dû exister. Je ne les ai pas supportées. Il faut respecter l'homme et son travail! Je sais que je n'aurais pas dû faire ça. Je n'avais jamais frappé qui que ce soit de ma vie. Mais il arrive un moment où ça explose. Si j'ai commis cet acte, c'est parce que la pression est trop montée. Depuis le mois de juin, nous avons une à deux attaques de loups par semaine. Avant, ils attaquaient la nuit mais maintenant, c'est en plein jour. Nos patous sont débordés et ne peuvent rien faire. On en est à plus d'une quinzaine d'attaques au total. En ce moment, j'ai 25 bêtes disparues qui ne seront jamais indemnisées. Je continue à retrouver des bêtes mortes plusieurs semaines après, qui elles non plus ne seront jamais indemnisées. Le troupeau est stressé et l'an prochain, nous aurons moins d'agnelage. Notre revenu baisse et si ça continue, ça ne sera plus intéressant. Il faut savoir ce qu'on veut: des bêtes sauvages partout et manger de la merde?

Moi je suis là pour m'occuper de mon troupeau et pour donner aux gens des agneaux de qualité. Je ne suis pas là pour nourrir les loups! Après cette histoire, j'ai eu trois autres attaques et personne n'est venu faire le constat. Le préfet a dû demander à la gendarmerie d'intervenir. Je suis abandonné dans la montagne avec mon troupeau et les loups.

Source: Propos recueillis par Eleveurs et Montagnes le 23 août 2012