Jean Marc Moriceau écrit sur le groupe Facebook du "Pôle Rural": "Il ne faut jamais dire jamais... Pendant longtemps je considérais comme fantaisistes racontars les attaques de loups en meute sur les voyageurs que la Presse illustrée mettait en relief dans les années 1900... Sauf que, dans des circonstances particulières, il s'est bien trouvé en Europe occidentale (je ne parle pas des Balkans ou de la Russie) des exemples de ce type. En voici un retrouvé aujourd"hui, dans un courrier adressé au général Morlot le 13 janvier 1799, retrouvé aux Archives nationales (F 10/479). C'est un simple post-scriptum à une lettre de réclamation auprès du ministre de l'Intérieur. Voici le texte du PS puis, celui de la lettre, pour ceux qui veulent voir le courrier complet, très instructif:..."
- Post-Scriptum
Nous recevons à l’instant copie d’une lettre du général de brigade, commandant à Sarre-Libre [Sarrelouis], adressée le 24 du courant (13 janvier 1799) au général divisionnaire Morlot [général Antoine Morlot, 1766-1809], commandant la 3e division militaire à Metz, par laquelle il annonce que les environs de Sarre-Libre et surtout la route de Saint-Avold, sont infestés d’une grande quantité de loups, qui portent partout l’épouvante et la terreur ; que deux volontaires ont été assaillis par une troupe de ces animaux féroces, et en ont été dévorés, malgré une défense vigoureuse dont ils ont laissé des traces ; que plusieurs autres citoyens ont péri de cette manière sur différents points, entre autres un enfant de 7 ans qui a été enlevé au milieu d’un village sans que les habitants puissent le secourir. Et à l’instant, malgré notre arrêté du 1er frimaire dont nous joignons ici un exemplaire, nous allons ordonner par un autre, un traque général dans tout le ressort pour détruire une partie de ces cruels animaux.
- Texte de la lettre
Citoyen Ministre
De toutes parts il nous parvient des réclamations alarmantes et des exemples plus ou moins frappants et malheureusement trop certains des ravages que font dans les campagnes les loups qui, rassemblés en troupes, se jettent également sur les animaux et sur les hommes et les dévorent.
La surface de ce département est couverte plus que tout autre de nombreuses forêts qui sont le repaire de ces animaux voraces où ils multiplient (sic) prodigieusement et où se sont encore réfugiés ceux des forêts des ci-devant Pays de Nassau et Pays conquis en deçà du Rhin que la présence des armées a chassés.
C’est dans cette saison rigoureuse ou depuis un mois que la terre est couverte de neige et n’offre plus rien à la nourriture de cette espèce dévorante que, pressée par la faim et poussée hors des bois, parcourant les campagnes et les routes, attaque les animaux et même les voyageurs marchant isolément, poursuit sa proie jusque dans les maisons champêtres et dans les communes rurales.
Dès le moment que ce fléau a commencé à se manifester dans le ressort, l’administration centrale a porté sur cet objet l’œil le plus attentif et a cherché à employer tous les moyens possibles pour en arrêter les progrès désastreux.
Avant que l’arrêté du Directoire exécutif du 19 pluviôse an V, qui prescrit de mesures à prendre pour la destruction des loups, ne lui soit parvenu, elle avait ordonné de traquer dans tout le ressort. Elle n’a pas manqué d’en prescrire, lors de sa réception, la prompte exécution. Elle a renouvelé les mesures précédentes sur cet objet par son arrêté du 1er prairial suivant. Enfin, par ceux des 25 frimaire an VI et 1er frimaire an VII, elle a de nouveau recommandé l’exécution de tout ce qui avait été précédemment ordonné sur cette partie. Mais c’est en vain qu’on a multiplié, par tous les moyens possibles, les mesures propres à détruire cette engeance nuisible. Ces animaux carnassiers sont plus nombreux que jamais, et les dangers et les accidents augmentent en raison de leur inconcevable propagation et de la rigueur du temps. Il est donc urgent pour la vie des hommes et pour l’agriculture, de venir promptement au secours de ce département et d’arrêter le mal. L’administration centrale ne peut y parvenir d’une manière efficace si le gouvernement lui-même ne la met à portée d’y pourvoir.
La loi du 10 messidor an V, par les dispositions qu’elle renferme et d’après les primes qu’elle accorde, devait nécessairement exciter l’encouragement pour la destruction de cette espèce malfaisante. Mais ces primes sont trop fortes en raison de la médiocrité des fonds mis à votre disposition par la loi du 22 frimaire an VI et sur laquelle vous avez ordonnancé pour ce département une modique somme de 1000 F pour être distribuée dans la proportion et dans les cas prévus par la loi, somme bien insuffisante puisque, dès le mois de messidor dernier, elle était déjà entièrement absorbée et qu’il est dû pour cet objet , sur les exercices de l’an V et de l’an VI, une somme approximative de cy… 1200 F. Ne pouvant au surplus fixer cet arriéré, attendu que la majeure partie de ceux à qui il est dû des primes, instruits qu’il n’existait plus de fonds, ne se sont pas présentés pour en être payés. Au reste nous joignons ici l’état de l’emploi des fonds pour ces deux exercices.
Les primes et encouragements dûs pour l’an VII, sur le pied fixé par la loi, se portent déjà à une somme beaucoup plus forte. Depuis le mois de vendémiaire dernier, il a été représenté ou annoncé 50 peaux de loups, louves ou louveteaux. Ainsi donc, un très grand nombre de citoyens qui, aux termes de l’article 2 de la loi du 10 messidor an V, doivent obtenir la rétribution qu’elle a déterminée, sont restés jusqu’ici dans la vaine attente que les mandats dont la plupart sont porteurs, seraient incessamment acquittés sur de nouveaux fonds. Le retard apporté dans le paiement de ces primes porte le découragement parmi ceux qui les ont mérité, ralentit leur zèle et détourne les autres de se livrer à des chasses particulières, pénibles, et même dangereuses, dans la crainte de perdre leur temps et leurs peines.
Nous vous prions donc instamment, citoyen Ministre, de faire mette sans délai à notre disposition la somme de cy… 1200 F, nécessaire pour acquitter d’abord les primes arriérées, justement et légalement dues pour les exercices précédents, et de faire ordonnancer provisoirement sur les fonds de l’an VII, celle de 1500F afin de nous mettre par là à portée d’acquitter les portions voulues à qui elles sont dues, pour ne pas faire perdre, par une plus longue attente, le fruit de l’encouragement qu’il est si nécessaire d’exécuter en ce moment parmi les habitants des campagnes pour les stimuler à travailler eux-mêmes à leur propre conservation et à celle des bestiaux (?) utiles à leur existence.
Salut et fraternité. Signé: Barrau ; Nyon ; Rolland, J-B Meullerd ; Lequinel (?).