Jean-Marc Moriceau dit en préambule: "La destruction d’un loup enragé suscite souvent des actes d’héroïsme qui à leur tour donnent matière à des relations épiques – véritables morceaux de bravoure – de la part de leurs recenseurs. Ces relations emphatiques n’enlèvent rien au destin tragique de celui qui s’est dévoué à la destruction de l’animal, armé de sa simple houlette. L’issue du drame, qui tient au progrès des armes à feu (fusil à deux coups) révèle à quel point les campagnes, alors à leur maximum démographique, regorgeaient d’activités humaines".
Puis il en vient au récit même trouvé aux archives:
"... Avant hier lundi dernier 28 du courant [novembre 1808], sur les 11 heures du matin, le jeune Garenne, fils du fermier de Chapitre, gardait sur les usages de la commune, un troupeau de 4 à 500 bêtes à laine. Ce jeune homme, âgé de 11 à 12 ans, armé d'une seule houlette, et accompagné de 3 chiens, voit sortir du bois un loup énorme, et qu'on a lieu de présumer enragé. Ce jeune homme, loin de s'effrayer, et comme un nouveau David, va à la rencontre du Goliath moderne, précédé de ses chiens. Le loup en tue un sur le champ, fond sur le troupeau, dont il égorge 4 à 5 bêtes et disperse le reste. L'animal furieux se jette sur le jeune homme, le renverse, et lui déchire la joue droite, après lui avoir fait plusieurs trous dans la tête. Le croyant mort, il le quitte pour retourner au troupeau, et dont il blesse encore une vingtaine de bêtes. Le jeune homme se relève encore, quoique nageant dans son sang, et pour défendre et sauver encore son troupeau s'il le peut, frappe l'animal de sa houlette. Il en est assailli et renversé une deuxième fois, il en est foulé et mordu impitoyablement. L'animal le quitte et retourne au troupeau. Ce malheureux jeune homme se relève, et crie à des femmes et des enfants qui ramassaient du bois mort de se sauver. Une d'elles, la femme du nommé Charles Vitry, la paroissienne, veut voir par elle-même ce dont il s'agit, s'avance, frappe le loup avec une perche. Il la renverse et lui fait une blessure profonde à la tête.
"Le bonheur a voulu qu'en ce moment Mr le maire et Mr l'adjoint présidassent non loin de là un atelier de travaux publics pour la réparation de chemins. Ils sont accourus aux cris des enfants. Le jeune Bézanger, qui accompagnait son père à la corvée, et qui était armé d'un fusil à deux coups, lâche le premier sur l'animal qu'il blesse à la cuisse. Il tombe, il se relève et veut se précipiter sur ce jeune homme qui l'attend de pied ferme et du 2e coup l'étend raide mort à ses pieds"
Source: lettre de Moreau Dugourneau, desservant de Champigny-sur-Yonne au préfet de l'Yonne, mercredi 30 novembre 1808 - Archives départementales de l’Yonne - 8M 10/2