L'histoire se passe vers le Donezan, aux confins de l'Aude, de l'Ariège et des P.-O., en plein milieu d'une journée de printemps. Une jeune institutrice rejoint son travail en voiture et aperçoit soudain une mêlée fauve dans le fossé de la route. Elle ralentit et aperçoit deux jeunes lynx: l'un rentre dans le bois et l'autre traverse la chaussée, tranquillement. Un peu plus haut, sur un rocher, la mère lynx surveille les ébats de ses jeunes…
- Grand comme un chevreuil
Le lynx boréal (Lynx lynx) est un carnivore d'une élégance de félin, qui mesure en moyenne 70 cm à l'épaule et pèse jusqu'à 35 kg pour les mâles. Soit des proportions qui le rapprochent plus du chevreuil que du chat sauvage, par exemple. "Impossible de le confondre avec un autre animal", assure le naturaliste audois Christian Riols, qui a recueilli personnellement une cinquantaine de cas. Un animal très caractéristique Ajoutons que sa silhouette (pattes élancées, houppette au bout des oreilles et "favoris" sur les joues) est très caractéristique de l'espèce et limite grandement les risques d'erreur d'identification. Si l'on ne dispose, en définitive, que de peu de témoignages, c'est "que le lynx est un animal sûr de son camouflage et donc capable de laisser passer des hommes près de lui sans bouger"
Reste à savoir pourquoi on ne trouve pas de cadavres de lynx dans les Pyrénées, ce qui permettrait d'officialiser de manière irréfutable sa présence. "Trouve-t-on des loups tués sur les routes, alors que leur présence est avérée", rétorque Christian Riols, qui réfute également l'argument de l'absence de dégâts sur les troupeaux, ainsi que celui de l'ignorance de son existence par la population locale. "La quasi-totalité des gens qui m'ont parlé du lynx sont des locaux, randonneurs, paysans, personnes qui se rendent au travail". Et pour certains d'entre eux, des gens qui n'avaient jamais entendu parler du lynx avant…
- Cinquante indices
Des témoignages comme celui-ci, Christian Riols, ancien agent de l'ONF aujourd'hui en retraite, naturaliste passionné, dit en avoir recueilli une soixantaine dans l'Aude. "Enlevons-en dix qui peuvent être considérés comme douteux ou que je n'ai pas pu vérifier directement", admet-il. Cela fait quand même une cinquantaine de données sur la présence de l'animal dans les forêts des Pyrénées audoises, des Corbières, mais également de la montagne Noire (voir carte ci-dessus). Autant de personnes qui ont été confrontées à un animal mythique, l'un des grands prédateurs les moins connus, le lynx boréal. "Et la plupart se recoupent dans une période de temps assez limitée et sur un même territoire", poursuit Christian Riols en égrenant les fiches de ses dossiers. Ici, c'est un chasseur qui a tenu un lynx dans la visée de sa carabine durant plusieurs minutes - et qui n'a pas tiré, bien entendu. Là, c'est le fils d'un agent de l'ONF qui voit un lynx traverser la route devant sa voiture, une nuit d'hiver, sous une pluie battante. Ailleurs encore, ce sont des traces relevées dans la boue ou des enregistrements de cris "particulièrement reconnaissables".
- Disparu, puis réintroduit
Bref, selon Christian Riols, il n'y a guère de doute: le lynx boréal n'a jamais vraiment disparu des grandes forêts des Pyrénées, et s'aventure même, comme son cousin le lynx ibérique, dans les garrigues hautes des versants méditerranéens. Et la photo prise il y a un an demi à Fontjoncouse (lire ci-dessous) ne fait que renforcer cette conviction. Officiellement pourtant, le lynx a totalement disparu du territoire français depuis les années 30. Il a été réintroduit, depuis les années 1970, d'abord en Suisse puis dans les grandes forêts de l'Est de la France, avant de s'étendre vers les Alpes.
- Observations rejetées
Depuis, il fait l'objet d'un suivi scrupuleux de la part du réseau Loup-Lynx de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Et ce réseau, mis à part le cas de Fontjoncouse, a rejeté jusqu'à présent toutes les observations transmises par Christian Riols. Qu'il s'agisse des traces relevées, des enregistrements de cris ou même des observations humaines, "on nous répond à chaque fois que ce n'est pas un lynx", soupire le naturaliste installé sur le plateau de Sault.
- Après le loup et l'ours
Pourquoi? "Peut-être parce que les autorités ont déjà assez de problèmes avec les deux grands prédateurs que sont le loup et l'ours pour ne pas avoir envie de s'en créer de nouveaux avec le lynx", avance Christian Riols, qui a toutefois choisi de rendre publiques ses recherches, notamment lors des rencontres naturalistes de l'Aude qui se sont tenues à Carcassonne il y a deux mois. En espérant susciter encore de nouveaux témoignages, et finir par obtenir une preuve irréfutable…
- Le 6 avril 2012, à Fontjoncouse…
La seule photo de lynx dans l'Aude a été prise dans les Corbières.
C'est un document qui a mis pas mal de monde dans l'embarras. Le 6 avril 2012, un témoin photographie avec son téléphone portable la silhouette d'un animal traversant la route devant son véhicule, près de Fontjoncouse, dans les Corbières. Sur le cliché, un lynx est parfaitement identifiable à sa morphologie caractéristique ainsi qu'à ses "favoris" et ses oreilles surmontées d'une sorte de houppe
L'affaire est suffisamment prise au sérieux pour que la Direction départementale des territoires et de la mer de la préfecture de l'Aude publie un communiqué qui authentifie la photo, valide le sérieux de l'observation et écarte, a priori, toute manipulation d'image. Les agents de l'ONCFS et un technicien de la fédération des chasseurs de l'Aude rencontrent le témoin et plusieurs hypothèses sont émises. La première est celle d'un animal isolé "en dispersion depuis l'aire de présence connue de l'espèce", ce qui paraît assez peu probable vu la distance avec les Alpes du Sud, zone la plus proche. La possibilité d'un "animal captif échappé d'un enclos ou d'un parc" est aussi envisagée, tandis que l'hypothèse d'un "animal sauvage présent sur ces massifs et non détecté" est évoquée également. Le réseau Loup/Lynx de l'ONCFS ne retient qu'un autre témoignage dans l'Aude: un lynx observé à Caudeval, deux mois plus tard. [Ndr: Voir également le Bulletin du réseau lynx (ONCFS) n° 18, page 2]
- L'ONCFS "prêt à changer d'avis"
"Nous n'avons pas de jugement idéologique ou philosophique sur la présence du lynx dans les Pyrénées. Et si il y a suffisamment d'indices, nous sommes prêts à changer d'avis", assure Pierre-Emmanuel Briaudet, chargé du suivi du réseau Loup Lynx de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). La démarche du réseau se veut scientifique, forte de la centaine d'observateurs qu'il compte dans le massif pyrénéen. "En provenance de ce réseau, il n'y a pas d'indices avérés. Il y a des données qui nous arrivent de temps en temps et qui ne sont pas validées", constate M. Briaudet, qui pose un préalable: "Lorsque le lynx est présent de façon pérenne sur un territoire, il y a forcément d'autres indices que des observations visuelles: des crottes, des poils (car le lynx marque son territoire en se frottant aux arbres), des cadavres de proies. C'est ce que nous avons, régulièrement, dans les régions de France où la présence du lynx est certaine".
- "Je ne dis pas qu'il n'y pas de lynx dans les Pyrénées"
"Je ne dis pas qu'il n'y a pas de lynx dans les Pyrénées, martèle-t-il avec prudence. Mais simplement, nous estimons que la partie émergée de l'iceberg serait plus significative si c'était le cas". Même prudence sur la photo de Fontjoncouse, dont l'ONCFS ne remet pas en cause l'authenticité, mais qui reste un phénomène isolé, insuffisant pour avérer la présence de l'animal. L'Office écarterait-il volontairement les indices pour éviter d'ajouter un animal à la liste des prédateurs qui ouvrent droit à indemnisation pour les dégâts qu'ils peuvent causer? "Sur l'ensemble des territoires du lynx connus en France, on a une centaine de prédations par an sur les troupeaux, contre 6 000 pour le loup. L'impact serait égal à epsilon", tranche le responsable du réseau de suivi. Des traces de lynx relevées en 1976 dans la vallée d'Aspe.
Source: L'INdépendant du 9 décembre 2013
- Le lynx Fontjoncouse est une supercherie
Le 6 avril 2012, un témoin prétendait avoir observé un lynx à Fontjoncouse dans les Corbières (Aude). Il avait produit une photo prise avec son téléphone.
La photo avait été transmise à l’ONCFS «qui avait conclu qu’il s’agissait bien d’un lynx, tout en précisant qu’il n’était pas possible de déterminer l’origine de l’animal et qu’aucun autre indice n’avait été repéré sur les lieux de la prise de vue».
Oui mais…. «Début juillet 2014, un membre du réseau loup/lynx a porté à la connaissance de l’ONCFS des éléments qui mettent en doute l’origine des photos transmises en avril 2012. Après analyse par les responsables du réseau loup/lynx de l’ONCFS, il apparaît effectivement que ces photos annoncées comme ayant été prises à Fontjoncouse, sont en fait des extractions d’un film diffusé sur Arte «Le Lynx d’Espagne, un félin en danger».
Conséquence: L’indice classé comme «Retenu» en avril 2012 est ainsi reclassé en «Non retenu» selon un communiqué du 18 juillet 2014 de la DDTM de l’Aude