Au cours de la prochaine décennie, on peut s'attendre à la disparition partielle, voire totale, de l'ours brun dans les Carpates de Roumanie", affirme avec inquiétude la Fondation Aves, une association de défense de la nature. Son président, László Szeley-Szabó, explique qu'ils sont arrivés à cette conclusion après avoir examiné en détail la situation dans le département de Harghita, le lieu préféré de chasse de Ceausescu et la région où vivent le plus d'ours en Roumanie. Des 1 200 ours dénombrés en 1989 sur ce territoire, il n'en resterait aujourd'hui que 250. Un constat que la fondation étend au niveau national: contrairement aux chiffres officiels, qui font état de 5 600 individus recensés en 1997, le nombre des ours bruns ne dépasserait pas 2 500 dans toute la Roumanie. Selon Aves, les chiffres sont surévalués par les autorités afin de permettre de chasser un nombre plus important d'animaux.
Les Roumains se vantent d'avoir la plus importante population d'ours en Europe. C'est, paradoxalement, un bon héritage du communisme, dû à la folie des leaders communistes pour la chasse. Avant la guerre, l'ours était considéré comme un animal dangereux que les paysans pouvaient chasser à volonté. En 1940, il n'en restait plus que 1 000. En 1989, Nicolae Ceausescu, seul et unique chasseur ayant eu le droit de tuer des ours en Roumanie, a légué au pays une population de 8 000 individus. Ensuite, la chasse à l'ours s'est démocratisée.
- Quotas gonflés, "chasse à la charogne", méthode "pth"
Aujourd'hui, la fondation parle du "massacre illégal des ours par des méthodes interdites": la direction locale des forêts et l'association des chasseurs bafoueraient ouvertement la législation. Le rapport a été envoyé au Premier ministre et à plusieurs institutions européennes. De Bucarest, où se trouvent les premiers chasseurs du pays, ils n'ont eu aucune réponse. En revanche, le Parlement européen a répondu (même si sa lettre est arrivée décachetée après un périple de trois semaines). La fondation a aussi lancé un appel aux autorités afin de protéger l'ours brun. Depuis novembre, elle a recueilli 1 500 signatures, la plupart venant d'Occident.
D'après les normes en vigueur, on peut chasser un ours sur dix. Le nombre d'ours que l'on a le droit de tuer est établi tous les ans, après l'estimation du nombre d'individus dans chaque département. Selon Aves, ces quotas seraient gonflés par l'administration afin de pouvoir chasser à loisir. "Dans les zones de collines, un ours est compté environ trois fois", note la fondation. Aves accuse également les autorités de contaminer le gibier en utilisant comme appât des cadavres d'animaux. Cette méthode, connue sous le nom de "chasse à la charogne", permet au chasseur d'abattre l'animal de près. Dans le département de Harghita se développe aussi, depuis l'ère Ceausescu, la "méthode PTH" (poste de chasse type Harghita), comme l'appelle László Szeley-Szabó: des constructions solides en bois et en béton, à partir desquelles on chasse sans aucun risque et sans laisser à l'animal aucune chance. Il soutient également qu'à Harghita les ours sont chassés illégalement dans leurs grottes ; des femelles en gestation auraient été tuées à l'automne ou au début du printemps, quand les petits sont encore dans la tanière.
Les conclusions du rapport d'Aves ont été reçues avec réticence. "On ne peut pas parler de massacre", affirme le directeur de Carpathian Large Carnivore Project. "La population d'ours a certes diminué d'une manière dramatique en 1990 et 1991. Mais il faut dire qu'au temps de Ceausescu leur nombre était trop important, bien supérieur à ce que le milieu naturel pouvait supporter." De même, l'Institut [gouvernemental] d'aménagement des forêts soutient que "l'ours brun est loin d'être menacé en Roumanie". "L'Union européenne et d'autres organismes versent de l'argent destiné à des actions de conservation, mais pour bénéficier de cette aide, il faut qu'il existe un problème", explique un de leurs chercheurs, avant de conclure: "Si des problèmes risquent d'apparaître dans le futur, ce n'est pas à cause de la chasse, mais plutôt en raison de la construction d'autoroutes et de l'extension des zones habitées."
- SDF à fourrure
Dans la banlieue de Brassov, en Roumanie, les ours bruns qui préfèrent fouiller les poubelles au lieu d'hiberner sont de plus en plus nombreux.Les écologistes parlent d'une "dégénération": les ours en question ont changé d'environnement, ne chassent plus, leur système digestif a changé, tout comme leur sens du danger.D'où l'apparition de braconniers qui les abattent souvent près des poubelles. Pour se débarrasser des SDF plantigrades, le maire adjoint de la ville, Gheorghe Scriparu, prévoit d'organiser des enchères sur Internet.
Auteur: Evenimentul Zilei | Gelu Trandafir
Source:
Courrier International du 22 janvier 2004