Ce dimanche matin, 8h15, je suis au col des Paloumières où nous avons rendez-vous. Guy est inquiet: une vache doit vêler et pour lui c'est plus important qu'une brebis à faire expertiser. Et puis arrive un vieux monsieur "c'est le plus vieux berger d'Asque". Plus de 70 ans me précise-t-on. Je vais peut-être avoir un renseignement: "Vous avez dû le connaître l'ours?" Etonnement et sourire mais la figure s'illumine: "le dernier qui l'a vu c'est le père de ma grand-mère". En effet, ce n'est pas jeune. Un rapide calcul et je comprends que depuis 150 ans personne n'a vu d'ours dans ce massif. "Et ils s'en sont séparés. Il paraît qu'au début ce n'était pas facile avec la poudre. Il fallait s'approcher de l'ours. Mais quand ils ont de bonnes cartouches... "Nous comprenons vite que la cohabitation n'était pas dans le langage d'époque. "L'ours c'est un nuisible."
Les deux "experts" de l'ONCFS arrivent. J'aurai bien continuer à discuter avec cet ancien. Il a des choses à dire. Sa tête est un livre d'histoire.
Présentation rapide de ces agents de l'état... "Nous avons été prévenu hier soir à 18h."
Voilà une précision intéressante après la galère de la veille.
"Les gendarmes nous ont aussi prévenu hier"... en définitive, tout le monde s'est déplié hier avec une rapidité à faire frémir. L'
ASPAP(Ariège) a bien raison de rappeler aux éleveurs:
"Vous avez été victime d'une attaque d'ours: sachez que, quelque soit le comportement des experts, vous êtes une victime et non un coupable.
Au titre de victime, vous méritez l'attention, voire la compassion de tous les agents travaillant pour le programme ours qui sont, ce jour là, à votre disposition"
Mais là, rien à dire des experts. "Au fait, comment doit-on faire pour vous prévenir rapidement?" - "Tous les éleveurs ont reçu ce papier"
Surprise! Manifestement, il y a eu de graves lacunes. Nous découvrons ce document. De toute la journée nous ne rencontrerons aucun éleveur qui sait comment prévenir les "experts".
Voilà du boulot pour l'ASPP 65. Mais est-ce à une association de faire l'information ou aux services de l'Etat d'assumer leurs
responsabilités après avoir importé des ours?
Peu importe, l'essentiel est que, pour l'avenir, les éleveurs sachent comment faire mais aussi les randonneurs qui peuvent être les témoins d'une possible prédation (l'ASPP 65
prépare un document de conseils qui devrait être disponible début juin)? Dans l'immédiat, nous saurons
qui appeler.
Depuis le col des Paloumères, nous remontons la piste forestière en voiture. Nous gagnerons du temps. Les éleveurs en sont à leur troisième "randonnée" en 3 jours alors qu'ils ont du travail à faire dans leur exploitation. Ce matin c'est un travail supplémentaire dont ils se seraient bien passés d'autant qu'ils ne sont indemnisés que de 115 Euros quelque soit le nombre de déplacements et la durée des recherches. Recherche qui ne sont pas terminées. Il manque une brebis blessée par des griffures et qui a été soignée par un autre éleveur il y a quelques jours... C'est le bien être animal vu par l'ours.
Fin de la piste forestière, nous poursuivons à pied sur un chemin détrempé par les récentes pluies. "C'est mieux qu'hier" nous dit Jacques. "Hier il y avait tout: le vent la pluie, le froid, le brouillard." Et oui, si cette matinée de ciel bleu, de soleil est propice à la randonnée. Mais l'éleveur ne randonne pas pour son plaisir. Il travaille sur un espace qui est la continuité de son exploitation et qui s'appelle "estive".
Nous sortons de la forêt et nous débouchons sur un vaste pâturage bien vert. A droite, deux cabanes. Une ancienne et une plus "récente"... Les adjectifs ne sont là que pour les distinguer car "récente" signifie "plus d'un demi siècle". Autant dire qu'aucune n'est sérieusement habitable par un berger du XXIème siècle. Ce n'est qu'un abri en cas de nécessité.
Nous poursuivons notre chemin vers le Casque du Lhéris dont le haut de la face Ouest et le sommet se détachent. Nous montons dans une estive en cour d'envahissement par les ligneux. Une estive qui, bientôt n'existera plus par manque d'herbe, une estive qui aura perdu toute sa diversité biologique: plus d'herbe, plus de flore, plus d'insectes. Pourquoi? Parce qu'elle n'est pas assez exploitée. Il n'y a pas assez de brebis. "J'ai redescendu mes moutons" nous dit jacques. "Je ne fais pas d'élevage pour donner à manger à l'ours." Un troupeau en moins, une estive qui se meurt. Et avec elle toute une biodiversité savamment entretenue par des générations de montagnards.
Arrivés sur la large crête, nous trouvons les carcasses des deux premières brebis mortes. Comme il fallait s'y attendre, il ne reste que les os et la peau. Entre l'ours et les vautours, il y en a qui se sont régalés. Le gypaète n'aura qu'à terminer, c'est sa spécialité de "casseur d'os". Mais comment faire une expertise avec aussi peu d'éléments. Les "experts" de l'ONCFS et de l'ETO, ne sont pas des légistes. Les indices sont bien maigres et dans ces conditions comment justifier si c'est ou n'est pas l'ours? Toutes les hypothèses sont possibles. Partant de là, toutes les contestations et discussions sont aussi possibles. Nous recherchons des traces autour des cadavres. Mais en dehors des plumes de vautours, il n'y a pas grand-chose. Il est vrai qu'il a plu tout hier et toute la nuit. Tous les indices ont été nettoyés.
Bref, nous n'en saurons pas plus. Les techniciens remplissent leur questionnaire en cochant les cases "oui" et "non". Un système binaire qui ne laisse aucune place à l'appréciation, à la connaissance, au savoir, au vécu, à l'expérience. Face à mon étonnement, la réponse est limpide: "on fait ça par ce que les nouveaux, les vacataires, ne sont pas toujours compétents. De cette manière, tout le monde rempli la grille et on l'envoie à la DDA qui, avec une autre grille détermine si la prédation est imputable ou non." C'est comme au code de la route à cette différence près que c'est un cadavre qui est interrogé. On peut quand même s'inquiéter du sérieux de l'affaire. Quoique pour ce qui me concerne, il y a longtemps que je parle "d'incompétence de l'Equipe Technique Ours". Voilà des propos qui me confortent dans mon opinion. Les intervenants ne sont pas plus compétents que les éleveurs. Ils se limitent à remplir des cases que tout élève de collège pourrait faire.
Il est quand même stupéfiant de reconnaître que les imprimés sont faits pour des personnes qui "ne sont pas toujours compétentes" alors que le préfet des Hautes-Pyrénées parle "d'expertise des dégâts". Il me semble que lorsque nous ne sommes pas compétents, on s'abstient de faire des expertises. Mais ma vision des choses est sans doute celle d'un vieil imbécile... un âne peut-être aussi.
Poursuivons notre visite de l'estive. Nous verrons bien à la remise du dossier à l'éleveur. La logique voudrait qu'il en ait une copie pour éventuellement apporter ses propres observations. Nous nous dirigeons vers le sommet du Casque du Lhéris où il doit y avoir encore 2 carcasses. En fait nous ne trouvons que les restes d'une seule brebis. Vraiment des restes. Rien à expertiser sauf de constater qu'il existait bien une brebis... dans une autre vie. Plus bas, les éleveurs retrouvent l'autre cadavre. Pas en meilleur état. Des éleveurs d'une estive d'Asque en Baronnies viennent nous rejoindre.
La discussion s'engage et Yvon nous raconte qu'il y avait "un paquet de vautours". Et il poursuit "samedi matin ils ont même attaqué une agnelle vivante. J'étais trop loin pour
intervenir. Il ne reste plus rien." Voilà encore une histoire de vautours...
"Pourquoi vous ne le dites pas quand ça se produit?"
D'un air désabusé il répond: "si on le dit on se fait passer pour des imbéciles." C'est bien là tout le problème. Ils préfèrent ne rien dire que de se faire passer pour des idiots
ou, pour certains, se faire agresser par des écolos, phénomène également de plus en plus fréquent... il est vrai que lorsqu'on voit
les murs du cimetière d'Ordizan, ça inspire la sérénité.
Alors que nous discutons, un des agents de l'ONCFS sort son "râteau" pour détecter la présence de Franska. L'appareil nous donne vite son verdict: "Franska est là". Elle n'est pas loin, dans ce bois, sur le versant nord du Signal de Bassia. Il ne fait aucun doute qu'elle s'installe comme sur le Pibeste et l'Estibette: elle a le gîte et le couvert. Là, les éleveurs commencent à voir rouge. "C'est à vous de garder l'ours. Nous on a rien demandé." Et là, un aveux d'impuissance de la part des fonctionnaires "nous ne sommes pas assez nombreux... il faut faire toute la chaîne." Et oui, je comprends vite que là aussi nous manquons de moyens. Mais je pense également que lorsqu'on a pas de moyens on s'abstient de prendre l'initiative d'importer des ours. Encore un élément d'incompréhension mais je suis sans doute un vieil imbécile... et un âne.
Dans la matinée, des éleveurs nous ont rejoint. Ils étaient allés rechercher leur troupeau anormalement disséminé. A cette occasion ils nous disent avoir trouvé deux brebis mortes "entre l'antenne et les cabanes d'Ordincède sur le versant Campan". Et ils précisent "c'est récent mais les vautours arrivent." Par téléphone, les éleveurs de ce secteur sont prévenus et les "experts" décident de s'y rendre. Mais avant tout finalisons le côté administratif de ces quatre brebis mortes.
L'agent de l'ONCFS demande une signature à chacun des éleveurs. Mais signer quoi? Nous pensions tous qu'il serait remis un dossier d'expertise complet. Et bien non! Nous n'aurons qu'un imprimé intitulé "constat de dommages sur troupeaux domestiques - Attestation de réalisation de constat." Mais le plus surprenant c'est qu'au niveau de la signature il est mentionné "Je soussigné, déclare la découverte d'un dommage. Je considère que ces bêtes ont pu être victimes d'un grand prédateur et demande la réalisation d'un constat". Difficile de ne pas signer une demande de constat, mais s'agit-il d'un constat comme l'indique le titre ou d'une demande de constat? Le saurons nous un jour? D'autant que l'imprimé indique la "date de la visite" mais mieux encore "le code barème" ce qui laisse entendre que les jeux sont faits. Mais non... le questionnaire "code de la route" va à la DDA qui décidera. Comment la décision est prise? Le saurons-nous un jour?
L'agent de l'ONCFS accepte de me faire parvenir un questionnaire vierge. Au moins nous saurons ce qu'il y a dedans. Mais pourquoi donc ne pas nous donner un exemplaire? Qui nous dit que son contenu ne sera pas modifié? Il n'existe aucune garantie pour l'éleveur. Alors on nous explique "c'est parce que des éleveurs de l'Ariège ont fait pression sur des agents. On ne donne rien mais les éleveurs recevront un compte rendu"
"Les éleveurs de l'Ariège..." ils ont bien eu raison de se manifester. Et nous avons raison d'être inquiet. C'est bien en Ariège que des dates de constats ont été modifiées? Et si nous parlions de ce qui s'est passé dans l'Ouzoum dans les Pyrénées-Atlantiques... constat fait au cours de la dernière commission d'indemnisation?
Agent assermenté de l'administration ne signifie pas agent sans faille. Ce sont des hommes... Et des dérapages sont toujours possibles. Quand il s'agit de l'ours, il arrive que la passion l'emporte sur le professionnalisme. Moins il y a de transparence dans la procédure, plus il existe de risques conflictuels. Il serait tellement plus simple de tout dire et tout montrer... "Pour ne laisser planer aucune ambiguïté" comme le précise le Préfet des Hautes-Pyrénées dans sa lettre à l'ASPP 65 du 12 avril dernier. Tout le monde a le droit de savoir. Au final, c'est de l'argent public dont il est question. Dans l'immédiat, ce n'est pas à l'ordre du jour.
Nous poursuivons notre descente et croisons un groupe de randonneurs qui montent au casque du Lhéris. Curieusement, ils sont au courant des problèmes des éleveurs et de la présence de Franska dans le secteur. Eux aussi se posent la question: "pourquoi des ours?" et puis "ça sert à quoi?" Ils comprennent vite, en voyant l'état de l'estive avec peu de brebis que sans brebis du fait de l'ours, nos paysages perdraient vite de l'attrait.
Nous en resterons là. Il nous fallait être à midi aux Paloumères et c'est déjà midi.
Demain y aura-t-il d'autres prédations?
Qui sait?
Texte et photos: Louis Dollo, le 28 mai 2007
Dénouement:
Le 1er juin, les deux éleveurs ont été indemnisés sur la base du tarif de 2006. Le chèque reçu émane du CPIE de Bagnères de Bigorre dont le Président est Roland Castells, Maire de
Bagnères de Bigorre à l'origine de l'introduction de l'ourse Franska auteur des sinistres
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