- Arbas, pays de ceux qui veulent l'ours
- Malgré les tentatives d'intimidation, les habitants feront bon accueil aux ours slovènes
Ce matin, le brouillard coiffe le pic de Paloumère et le sommet de Cournudère. Des plaques de neige s'accrochent encore sur les pelouses en bordure de forêt. C'est là-haut, vers
1.500 mètres, sur la commune d'Arbas, Haute-Garonne, que dans quelques jours sera relâché le premier des cinq ours slovènes destinés à renforcer les populations pyrénéennes.
Une très large majorité des habitants de ce petit village de 250 âmes l'a souhaité et les menaces et les exactions des 200 opposants de
l'Aspap, (Association pour la sauvegarde du patrimoine d'Ariège-Pyrénées), qui, le 1er avril ont saccagé la mairie et brûlé la sculpture de l'ours trônant sur la place, n'y ont
rien changé. "Pas une seconde le principe du lâcher n'a été remis en cause. Au contraire, les gens ont aussitôt affirmé que ces actes de voyous ne faisaient que les renforcer dans
leur détermination", lance Alain Reynes, le directeur de l'association Pays de l'ours-Adet dont le siège est dans le village.
Si à Arbas, on est favorable à la présence de l'ours, c'est que depuis la réintroduction des premiers sujets slovènes en 1996, au lieu de vociférer, on a su aborder le sujet
intelligemment. François Arcangeli, le maire de la commune, un architecte de 40 ans, petit-fils d'un immigré italien devenu forestier dans ce massif, raconte comment tout s'est
noué. "Nous ne sommes qu'à 18 kilomètres de Melles où avaient eu lieu les lâchers de 1996. Ainsi, Mellba est venue rapidement s'installer dans notre montagne. Nous avons aussitôt
provoqué une réunion avec les éleveurs de la commune, présidés alors par Claude Cazes, pour délibérer sur la position à adopter. Au lieu de nous opposer stérilement à la présence
des ours, nous avons dit banco pour mettre en place les mesures de protection qui étaient proposées et financées."
- Des faux procès.
"Les résultats sont là pour démontrer que nous avions raison, poursuit François Arcangeli. Grâce à la mise en place de chiens patous et à l'embauche de bergers, il n' y a eu aucun
dégât d'ours en 2005 en Haute-Garonne, alors qu'une douzaine de plantigrades vit dans ce département, pendant que dans l'Ariège voisine où un ou deux spécimens seulement se sont
installés, il y a eu 120 brebis de tuées, car on refuse toutes les contraintes. Il faut en finir avec les faux procès. En dépit des réticences de certains à s'adapter à la présence
des ours dans les Pyrénées, la prédation diminue et j'attends celui qui viendra m'expliquer le contraire."
Les chiffres officiels sont là pour le démontrer. En moyenne, chaque année dans les Pyrénées, 150 à 200 brebis sont tuées par les ours et indemnisées deux à trois fois leur valeur,
alors que la mortalité globale des ovins sur la chaîne oscille entre 15 000 et 25 000 bêtes, entre les dégâts causés par les chiens errants, le froid, la foudre et les maladies.
"Il faut en finir avec la désinformation et le mensonge, lance François Arcangeli. A en croire les opposants, les ours slovènes vont s'installer dans nos jardins, dévorer les
enfants se rendant à l'école et les randonneurs s'aventurant en montagne. En Slovénie, avec 600 ours vivant dans un pays de
20.000 km2 (1), on ne dénombre que quelques collisions avec des véhicules, comme avec les cervidés chez nous. Non, les Pyrénées sont grandes et j'espère que d'ici
trois ans les ours y seront une trentaine. L'ours est pour nous l'image de la biodiversité préservée et le symbole d'un développement durable."
Une image valorisante. David Cheuzeville, 35 ans, un éleveur ayant repris l'exploitation de son beau-père à Arbas, ne dit pas le contraire. "Il y a soixante ans il y avait
davantage d'ours dans les Pyrénées et autant de brebis mais les troupeaux étaient plus petits et gardés. Aujourd'hui, on lâche sur les estives d'énormes troupeaux de 2 000 à 3.000
brebis sans le moindre berger. C'est comme si on ouvrait la porte du frigo en grand sous le nez de l'ours. Nous, les éleveurs d'Arbas, nous avons mis en place sept patous pour
surveiller nos bêtes en montagne et embauché un berger financé pour moitié par des aides et tout se passe bien. Mieux, l'ours donne une image de marque qui valorise nos produits et
permet de développer un tourisme intéressant."
David vend des broutards "pays de l'ours" à une clientèle de particuliers et s'amuse des énormités avancées par les opposants. "Même mon beau-père qui est chasseur de sangliers
n'est pas contre l'ours. Il sait bien qu'avec un peu d'organisation, la chasse sera toujours possible. Et puis les ours ne vont pas manger les touristes, ils vont les faire venir
et c'est bon pour Arbas. Nous sommes plus nombreux qu'on ne pense à être favorables à la réintroduction."
Si l'on en croit les divers sondages réalisés sur l'ensemble des
départements de la chaîne, (Pyrénées-Atlantiques comprises), plus de 62 % des personnes interrogées en moyenne, et jusqu'à 80 % en Haute-Garonne sont favorables au renforcement des
populations ursines pyrénéennes. Dans son bureau de l'association Pays de l'ours-Adet, véritable locomotive régionale pour la réintroduction, Alain Reynes aligne des chiffres qui
ont leur poids. "Notre structure représente 11 communes, 25 associations, 150 professionnels travaillant dans la zone à ours et 1.200 adhérents particuliers. Nous sommes 5 salariés,
payés grâce à des subventions de l'Europe et de l'Etat, des Conseils régionaux et généraux mais aussi grâce aux dons et aux ventes de posters, livres et autres ours en peluche."
"Et qu'on ne vienne pas nous dire que d'une façon générale les ours coûtent cher aux contribuables. En 2006, en comptant les aides au pastoralisme, l'équipe de suivi et les frais spéciaux engagés pour aller chercher les ours en Slovénie (2), le budget total du programme ours assuré par le ministère de l'Ecologie, ne devrait pas dépasser les 2 millions d'euros. Soit l'équivalent de trois ronds-points sur une nationale. A l'inverse, dans les seules Pyrénées centrales, les emplois liés au programme de réintroduction et des mesures d'accompagnement concernent 100 personnes. De plus, l'ours commence à profiter à tous ceux qui savent tirer parti de son image."
En premier lieu aux accompagnateurs de montagne de plus en plus nombreux à proposer des randonnées sur le thème de l'ours dans les Pyrénées centrales, mais aussi à des artisans et des commerçants. Là-haut, au-dessus d'Arbas à l'auberge de l'Escalette, Christian et Christiane Vallée, fraîchement arrivés de Colomiers, pour "oublier le béton et les cadences infernales", commencent à comprendre l'impact du phénomène. "On a même vu venir des Bretons, spécialement pour l'ours. Les gens nous demandent si ils ont une chance de le voir et s'il n'est pas dangereux. Incontestablement cela nous amène du monde."
(1) La superficie de l'ensemble de la chaîne pyrénéenne est de 55.000 km2.
(2) L'Etat slovène offre les cinq ours à la France.
"Les ours ne vont pas manger les touristes, ils vont les faire venir et c'est bon pour Arbas. Nous sommes plus nombreux qu'on ne pense à être favorables à la réintroduction"
"Aujourd'hui, on lâche sur les estives d'énormes troupeaux de 2 000 à 3 000 brebis sans le moindre berger. C'est comme si on ouvrait la porte du frigo en grand sous le nez de l'ours"
Auteur: Pierre Verdet
Source: Sud-Ouest Dimanche du 16 avril 2006