Madame Chantal Jouanno, mais de qui et de quoi parlez-vous au nom de l'Etat français?
Madame Jouanno, j'ai écouté attentivement et plusieurs fois de suite l'interview que vous avez accordé à France 3 Sud ce 19 octobre 2009 au sujet de l'avenir de l'ours dans les Pyrénées. Il m'a paru très étonnant pour diverses raisons de fond que je n'aborderai pas pour l'instant. Elles le mériteraient cependant.
Je voudrais ici simplement réagir en tant que Pyrénéen non pas seulement de naissance depuis bientôt 63 ans, le 20 décembre précisément, mais par un choix de vie qui m'a conduit, une fois en âge de décider de mon avenir, de refuser certaines carrières supposées "brillantes" auxquelles mes maîtres universitaires de l'époque me voyaient destiné. J'ai préféré rester dans mes montagnes, exercer ma carrière d'enseignant auprès de jeunes Pyrénéens, et passer mes temps libres avec mes ami(e)s éleveurs et bergers, les aider à la fois concrètement, sur le terrain, et, cette fois intellectuellement, par mes travaux de recherche que je continuais néanmoins dans l'analyse de leur histoire, leurs savoirs, leur langue (gascon ou occitan), leur milieu, et par l'appui que ces travaux leur apportaient dans leur volonté de relance des races autochtones d'élevage.
C'est à partir de cette triple expérience, celle que confère l'âge, celle du terrain concret (elle se mesure souvent à des heures de marche en terrain difficile pour inspecter les brebis en montagne) et celle du savoir intellectuel sur ce terrain, que m'a particulièrement atterré, le mot est faible, cette partie de votre interview que je transcris ci-dessous:
"Quand on prend la population pyrénéenne qui vit en montagne il y a une adhésion, même ceux qui vivent en montagne, je mets en dehors les grandes villes, il y a une adhésion à l'ours; /.../ La population, les enquêtes mais vraiment sur la partie montagnarde donc là je mets de côté... montrent une adhésion à l'ours, c'est quand même un des symboles forts des Pyrénées ... L'ours, quand on pense Pyrénées on pense ours."
Vous peut être Madame, pas moi; moi je pense je pense mes filles et les premières fois où elles ont grimpé avec moi une crête sans que j'aie besoin de leur tenir la main; je pense
brebis de race castillonnaise, je pense Casabède, Eychelle, La Ségura, Pouilh, Aréou... autant d'estives, de cabanes, de bétail, d'amies et d'amis que j'aime beaucoup; je pense
Adrien, Armand, Vincent, Malvina, Marcel, Léonie, Jean Pierre, Gisèle, Damien, David, Magali... autant de noms qui ne vous disent rien, les uns sont morts, les autres jeunes; les
premiers ont en leur temps contribué à maintenir des Pyrénées vivantes, productives et belles, les autres, tous moins de 40 ans, le font aujourd'hui ou sont encore en formation
pour le faire à leur tour; brebis, vaches, montagnes, ils ne rêvent que de ça, "pensent " d'abord à ça quand ils "pensent Pyrénées", même les plus petits....
Pour ceux qui sont morts depuis, tous étaient scandalisés par les premières importations d'ours de 1996. Les autres bien vivants en 2009 le sont par ce qui se passe depuis et par
des propos comme ceux que vous tenez là. Quelle incommensurable distance entre eux et cette image que vous exhibez ainsi: "on pense ours".
Et quel aveu aussi! Image impudique, Mme Jouanno, qui vous dénude en cela que c'est VOTRE vision réductrice et lointaine qu'elle exhibe. Aveu étonnant de la part d'une Ministre
de notre République dont on attend quand même qu'elle ait de son pays, même si les Pyrénées c'est loin, autre chose qu'une vision réduite à des images. Image vexatoire aussi, de
même nature au fond que celle de l'une de vos prédécesseurs, Mme Olin, avec ses "ânes et imbéciles pyrénéens", dont pourtant, un peu plus loin dans l'interview, vous critiquez le
traitement médiatique, bling bling (c'est à la mode), du dossier ours.
"On pense ours...", pas femmes, hommes, bétail, paysages, noms de sommets, trajets, beauté ...Nous n'avons Madame ni les mêmes images, ni les mêmes visions d'avenir pour ce
massif. Vos Pyrénées ne sont pas les miennes, pas du tout.
Pas davantage au demeurant celles des autres Pyrénéens. Parce que dans ce sondage auquel vous faites référence en disant qu'il y a chez eux adhésion à l'ours, vous "oubliez" (quel
hasard) de citer leur réponse à une question essentielle pour mesurer vraiment le poids de cette adhésion.
La question est posée de façon subtile, suffisamment dramatique et très personnalisée ("vous personnellement") pour tenter d'induire une réponse favorable: "Si la vingtaine d'ours
présente actuellement dans les Pyrénées est insuffisante pour assurer la survie de l'espèce, vous personnellement, êtes-vous favorable ou opposé à l'introduction d'ours
supplémentaires dans les Pyrénées?".
Pour la réponse, je fais comme vous Madame, je prends "ceux qui vivent en montagne, je mets en dehors les grandes villes". Total des opposants: 60%, avec un pic de 71% en Ariège,
le département le plus exposé en continu aux prédation de ces ours auxquels "on" pense paraît-il quand "on" pense Pyrénées...
Mais je ne suis pas vraiment sûr que cette vérité là du sondage, vous la connaissiez madame; et je vais vous dire ma pensée réelle, elle vous dédouane en partie de cette image
ridicule et indigne de vous, comme de nous Pyrénéens: "quand on pense Pyrénées on pense ours."
Je crois que pour ce sondage, comme sur tous les points que vous abordez dans cette interview, votre connaissance du dossier est totalement biaisée par le fait suivant: vous
n'avez sans doute pour vous informer qu'un conglomérat fait conjointement:
- dans vos services, nationaux et régionaux, de militants favorables à l'ensauvagement des massifs que supposent ours et loups (ils sont inséparables),
- sur le terrain, d'associations satellites créées pour porter ce militantisme, subventionnées à cet effet. Et nous avons récemment encore démontré comment ce conglomérat n'hésitait pas à mentir, déformer les données en un sens favorable à son idéologie.
Sur ce point de confusion entre militantisme et rôle impartial de l'Etat, votre collègue Ministre, M. Estrosi, dans une vie antérieure fut Président d'une Commission
Parlementaire qui à propos d'ours et de loups conclut de façon fort argumentée sur "l'insuffisante étanchéité entre l'administration et les associations de protection de la
nature". Porosité dans les deux sens: de l'une vers les autres et vice versa. Son rapport ne remonte pas au Moyen-Age, mais en 2003 simplement.
Entre deux portes au moins, après une réunion ministérielle, peut-être pourriez vous en parler avec lui sous le parapluie que "on" vous tient lorsqu'il pleut?
Quant aux informations qui vous sont si mal transmises, militantes et souvent mensongères, l'ONCFS et son équipe ours occupent une place de choix dans ces travestissements depuis avant même les premières importations d'ours en 1996, j'ai pas mal contribué aux niveau de l'ASPAP09 et de l'ADDIP Coordination pyrénéenne, à en enrichir le dossier. Si vous souhaitez en profiter, ne plus être abreuvé que par des biais, et d'abord respecter l'article 7 de la Charte de l'environnement qui fait à présent partie de notre Constitution: "Toute personne a le droit dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.", je suis Madame à votre disposition pour vous exposer cet assez lourd dossier.
Peut être vous évitera-t-il à l'avenir cette malencontreuse image non seulement blessante, mais très ignorante: "quand on pense Pyrénées on pense ours."
Avec tout mon respect pour votre personne et votre fonction,
B.Besche-Commenge - 22 octobre 2009