- L'ours est-il pour les 35 heures?
En Béarn, pour beaucoup de bergers, le retour annoncé du plantigrade est synonyme de régression sociale et d'aggravation des conditions de travail
A 85 printemps, Joseph Casassus-Lacouzatte porte le béret comme sur les cartes postales. Le vieil homme a grandi à Aste-Béon. Il n'en est jamais parti. Au fond de son regard, on croit même deviner toute l'histoire de la vallée d'Ossau. "Quand je suis monté pour la première fois, j'avais 12 ans. Oh! c'était pas pour se promener, mais pour garder le troupeau. J'avais passé mon certificat d'études dans les derniers jours de juin. Le 1er juillet, je me retrouvais là-haut, à la frontière espagnole."
C'était encore l'époque où les chasseurs d'ours étaient décorés par les préfets et célébrés pour avoir repoussé le danger et assuré l'avenir immédiat de la communauté. Joseph n'a jamais croisé celui que l'on a toujours appelé avec respect "lou mosseu". "Mais j'en connais plein qui l'ont vu et qui ne veulent plus le voir. Quelle connerie de vouloir le faire revenir!"
Le Haut Béarn a pourtant toujours vécu avec le plantigrade. Mais la cohabitation s'est effilochée à mesure que l'animal perdait du terrain. Il n'en reste plus qu'une douzaine sur
l'ensemble de la chaîne. La souche pyrénéenne est morte avec Cannelle le 1er novembre 2004. L'apport de deux nouvelles femelles et le triplement annoncé de la population en cinq
ans a rallumé les peurs, même si le plan a été ensuite revu à la baisse.
"Des gens pour garder partout, tout le temps, on n'en trouvera pas. Et le monde agricole n'en a pas les moyens", assure Jean-Marc Prim, membre de la FDSEA, le principal syndicat
paysan de la région. "Le ministère de l'Agriculture dit qu'il financera les emplois à créer à travers un plan de soutien. Pour trouver des fonds, nos politiques finiront par
baisser la prime à l'herbe et la compensation du handicap naturel. Pourquoi ne pas plutôt créer un corps d'Etat pour surveiller les ours?"
- Mémoire vive.
La société rurale du Haut Béarn n'a véritablement tourné le dos au XIXe siècle qu'à partir des années 50. Jusque-là, elle était organisée autour de la case, la maison et la terre ancestrale transmises de génération en génération. Au décès du père, tout revenait à l'aîné. Chez les bergers, l'éventuel retour des ours réveille la mémoire des cadets de famille et de "l'esclau", l'esclavage. Des souvenirs que l'on croyait enfouis dans les crevasses du passé. L'époque d'une vie sans vie. Sans femme et sans enfant. Sans le sou. Sans toit. Sans rien. Sauf ce troupeau à la tête duquel le cadet se retrouvait. Toute sa vie, il lui servait de guide, comme un mouton au milieu des moutons. Dès 12 ans, il devenait berger aux côtés de son oncle.
Début juin, c'était les estives basses. En juillet, les hautes. L'argent du fromage revenait à la belle-soeur, patronne de la case. Le cadet recevait seulement la pièce. A la Saint-Michel, le troupeau redescendait avant de partir à la Toussaint pour les Landes, le Gers ou le Bordelais. Pendant six mois, il était logé et nourri en échange du fumier des moutons. Il vendait le lait et les agneaux. Les sonnailles du 1er mai annonçaient l'heure du retour. Et le cycle pouvait reprendre. "Vieux, le cadet pouvait enfin rester à la maison où il était né. Il vivait dans la cuisine. Il aidait un peu. Mais il était maladroit. Après toutes ces années passées à traire le troupeau, il avait les mains blanches et fines. Alors, pour ne pas déranger, il se dépêchait de mourir", raconte avec émotion un ancien de la vallée d'Aspe, Jean-François Bayé-Pouey (1).
- Une vie normale.
Aujourd'hui, les bergers revendiquent le droit de vivre comme tout le monde. Avec leur part de liberté et de progrès social. "Si la société veut des ours, ce n'est pas à moi d'en supporter la charge", s'énerve Pierre, le fils de Joseph. Pris en tenaille entre l'Etat et les écologistes, les éleveurs désespèrent de se faire entendre. Entre la traite, la fabrication du fromage, l'entretien des bâtiments, la préparation des repas et la surveillance des troupeaux, un berger travaille déjà près de quinze heures par jour. L'hypothèse d'être réveillé la nuit ou dérangé les jours de brouillard par les grosses pattes d'un rôdeur mal intentionné ne les enchante guère.
Pierre s'occupe de la propriété familiale depuis l'âge de 21 ans, avec en poche un bac C, un BTS de production animale et l'espoir de lendemains meilleurs. Il aime son pays et son
métier. Mais, à 52 ans, c'est aussi un chef d'entreprise préoccupé par son bilan comptable. "On a plus le temps de tout faire. Qui est prêt, de nos jours, à travailler sept jours
sur sept pour un salaire de misère? A l'heure où la France profite des congés payés et des 35 heures, on veut une vie normale. Pas celle d'exclus, comme on nous la prépare avec
la multiplication des ours!"
"Quelle doit être la place de ceux qui permettent encore aujourd'hui à la montagne d'être belle?", demandent les éleveurs inquiets. L'époque où l'on passait tout son temps au cul
des brebis est révolue. En bas, à cause de la désertification des campagnes, le chef d'exploitation est de plus en plus souvent seul pour tout assumer. L'éclatement de la famille
traditionnelle ne lui permet plus de trouver des relais. "Pour vivre, il faut produire de plus en plus. C'est déjà pas simple aujourd'hui. Alors, demain!", ajoute Joseph Paroi,
quinquagénaire qui a choisi de devenir berger à 26 ans.
Il n'y a pas si longtemps encore, il défendait la cause de l'ours des Pyrénées. Aujourd'hui, il n'est plus sûr de rien. "Où est l'enjeu avec des ours de Slovénie? J'ai l'impression que tout se décide sans nous. Les ministres font des annonces sans essayer de comprendre. Sera-t-il toujours possible de faire vivre une famille sur une petite exploitation?"
- "Pas des Indiens".
Jusqu'à présent, le pastoralisme a survécu à l'exode rural à coups de subventions. Les pâturages béarnais sont les plus vivants de France loin devant l'Espagne où, en revanche,
l'ours se porte mieux. On y compte encore autour de 200 bergers. Le cheptel n'a guère évolué: environ 80.000 brebis et 20.000 vaches qui appartiennent à environ 800 éleveurs.
Tout s'organise autour de 150 estives, dont 120 équipées de cabanes. Les sites "sécurisés" ne dépassent pas la trentaine.
"Bien sûr, les brebis à traire sont rentrées le soir. Mais les autres, taries, restent en liberté. Les vaches et les chevaux aussi ne sont pas gardés. On ne peut pas tout protéger.
Car les attaques d'ours passeront de la nuit au jour. Ce phénomène de glissement des dégâts est connu. Et que l'on ne nous parle pas des ours de Slovénie. Là-bas, on leur donne à
manger pour mieux les chasser. Il n'est pas question de transformer les Pyrénées en réserve!", commente un éleveur, Philippe Lahourcade. Comme ses copains, il
n'envisage pas un développement basé sur l'ours et le tourisme en échange desquels l'agriculture de montagne serait sacrifiée: "On ne veut pas devenir des Indiens."
(1) Auteur d'un livre témoignage sur son hameau de la vallée d'Aspe, "Ayriré, pays du vent", édité par l'association Mémoire collective du Béarn.
"On ne peut pas tout protéger. Les attaques d'ours passeront de la nuit au jour"
Auteur: Patrice Sanchez
Source: Soud-Ouest du 27 octobre 2007
- Observations de Louis Dollo
- La présence des chiens de protection peut être une solution qui limite, sans le faire disparaître, le risque d'attaque. Mais un chien doit être nourri tous les jours ce qui n'est pas possible dans toutes les estives non desservies par une route ou une piste carrossable. En tout état de cause c'est une contrainte supplémentaire en temps de travail et en coût matériel (véhicule adapté) source de régression sociale.
- Le nourrissage des ours en Slovénie en vue des fixer pour la chasse et faciliter le travail des guides de chasse est bien une réalité qui n'est malheureusement que trop mise en évidence. De ce fait, les premiers temps de présence de ces ours dans les Pyrénées est un vrai de problème qui semble tendre à disparaître après une ou deux années de présence. La même situation existe au Canada pour attirer les ours vers des miradors d'observation pour les touristes.