- Extraits du débat de "discussion générale" à l'Assemblée Nationale du 1er décembre 2005
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Mme la présidente.
La parole est à M. Jean Lassalle.
M. Jean Lassalle.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux tout d'abord, de crainte de l'oublier
ensuite, rendre hommage à ceux qui, depuis très longtemps, travaillent à l'élaboration de ce texte. Patrick Ollier s'en souviendra, nous étions alors deux jeunes présidents de
parcs nationaux, les premiers élus locaux à présider un parc national.
M. Michel Bouvard.
Et Pierre Dumas?
M. Jean Lassalle.
Il ne l'est pas resté.
Nous étions confrontés à une situation difficile. Ce qui me revient aujourd'hui à la mémoire, madame la ministre, c'est la fureur des débats qui ont présidé à la création du Parc National des Pyrénées, dans les années 1965-1967. Encore en culottes courtes, je ne perdais néanmoins rien de ce qui se disait. Mon père et mes oncles, tous bergers, avaient choisi de soutenir cette idée nouvelle de créer un parc national sur un territoire où, vingt ans plus tôt, ils étaient résistants ou passeurs d'hommes. Ils avaient en effet une certaine idée du territoire sur lequel ils vivaient, et de l'humanité.
Malheureusement, lorsque le parc vit enfin le jour, mon père et mes oncles furent rangés du côté des traîtres car, dans l'esprit de l'immense majorité des gens, il n'aurait pas fallu créer ce parc. Le député qui en avait soutenu l'idée fut d'ailleurs battu aux élections législatives suivantes. Un certain trouble persista pendant des années. Des hommes que j'ai bien connus ne sont plus jamais retournés de leur vie sur le territoire du parc, ayant le sentiment que ces espaces n'étaient plus leurs, qu'ils leur avaient été arrachés. Certains de ces hommes, très âgés aujourd'hui, sont encore en vie.
Tout le monde a rendu hommage à Dédé le Rouge, notre collègue André Chassaigne, pour la qualité de son exposé. Ne voulant pas lui faire défaut, je le ferai à mon tour. Son intervention était effectivement très belle. Mais avec le tempérament et le caractère que je lui reconnais, il me semble que si un parc national avait été créé dans son Massif Central natal, il serait peut-être plus réservé sur la façon dont il convient d'appréhender ce texte. Cela étant, j'ai beaucoup aimé sa citation de Victor Hugo: "L'usage appartient au propriétaire, la beauté à tout le monde".
Il ne me viendrait jamais à l'idée de demander à M. le maire de Paris ou à M. le ministre de la culture ce qu'ils font pour entretenir l'Arc de Triomphe ou la Tour Eiffel. Dieu sait pourtant si j'en suis fier! Je vis donc toujours très mal que des voix s'élèvent de toutes parts et par milliers pour me demander ce que je fais, moi, et ce que font mes frères de la montagne, de moins en moins nombreux et de plus en plus dispersés, pour entretenir ce que nous aimons tant, nous aussi, et qui est si beau. Ces territoires immaculés ont été soigneusement entretenus, et même embellis, par la main de l'homme et par des siècles d'amour partagé. Cette longue chaîne de l'histoire des hommes, qu'aucune guerre ni aucune catastrophe - et elles n'épargnèrent jamais notre pays - n'avait réussi à rompre, s'est brisée depuis trente ou quarante ans.
Certes, ce n'est pas le parc national qui en est la cause. J'ai d'ailleurs appris à travailler avec lui. Mais notre société est plus sensible, et c'est sans doute naturel, à la beauté des espaces à léguer à nos enfants qu'à ceux qui les ont entretenus et enrichis pendant des siècles. Je le dis comme je le pense, et je sais que je ne suis pas le seul dans ce cas: ces territoires sont en danger. Ils sont superbement beaux mais ils sont en danger parce que l'une des espèces les plus répandues dans le monde, et c'est heureux, est précisément en train de disparaître dans cette zone, je veux parler de l'homme. Et avec lui, c'est le savoir-faire, le savoir-être, c'est l'identité à laquelle nous sommes tous si attachés et qui se conjuguait si heureusement avec un territoire, qui est en train de s'éteindre à son tour, brouillant un peu plus encore, dans ce monde perturbé, le peu de repères restant à nos concitoyens.
M. André Chassaigne.
Les raisons sont ailleurs!
M. Jean Lassalle.
Certes, mais puisque nous avons l'occasion ce soir de parler des parcs nationaux, faisons-le sérieusement.
Le Parc National des Pyrénées, comme les autres, a été une réussite pour ce qui est de la préservation de la biodiversité, de la faune et de la flore. Nous pouvons être fiers de ces sept formidables joyaux pour notre pays. Les parcs nationaux ont suscité de nouvelles façons d'être et ont permis aux populations citadines de retrouver la nature. à un moment où nous nous sentions abandonnés par la société tout entière, ils ont été un prélude d'espoir.
Mais sur le plan humain, le compte n'y est pas. Leur réussite n'est pas aussi évidente. Comme je l'ai indiqué en commission, si nous avions recensé les populations lors de la mise en place des parcs nationaux - que les hommes vivent sur leur périmètre, comme dans les Cévennes, ou en périphérie - nous aurions aujourd'hui la désagréable surprise de voir à quel point ils se sont vidés de leurs populations.
Aussi aimerais-je trouver les mots justes, madame la ministre, pour vous dire combien je souhaite que ce toilettage de la loi fondatrice de juillet 1960 permette d'engager une nouvelle dynamique. Je vous l'assure, nos territoires ne sont pas en danger. S'ils ont pu être menacés dans le passé, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Mais nous devons relancer une nouvelle dynamique pour que les hommes et les femmes qui sont nés dans ces territoires, qui parfois aiment tant ces pays qu'ils ont fait le choix d'y vivre, puissent le faire dignement et encouragent leurs amis, leurs frères, leurs cousins à faire de même.
Notre pays ne retrouvera pas son équilibre s'il ne retrouve pas l'équilibre de ses territoires. Je préside l'Association des populations de montagne du monde, et je constate que ce phénomène est général. Dans le monde entier, un immense torrent dévale les montagnes, traverse les campagnes, décramponnant les hommes pour les précipiter dans ces banlieues inhumaines où, vous le savez bien, les attendent des barbus, des nationalistes, des gens sans espoir.
Si John Steinbeck devait réécrire aujourd'hui "Les raisins de la colère", ce merveilleux roman, pour mettre en scène ce qui se passera dans les quinze prochaines années, 450 pages ne suffiraient pas: quinze, voire vingt volumes seraient nécessaires pour décrire les tragédies qui nous attendent mais que nous ne soupçonnons pas.
Nous avons recensé un certain nombre de problèmes particulièrement difficiles, mais il en est un dont nous ne nous soucions pas assez, c'est la relation de l'homme à son territoire. Nous ne pouvons plus laisser les banlieues s'enfler d'hommes venus des montagnes d'Asie, d'Afrique ou des Andes. Ne trouvant pas leur place au coeur des villes, ils s'entassent dans les banlieues. Il ne faudrait pas qu'après les banlieues, les campagnes brûlent à leur tour, abandonnées aux ravages des feux de forêt, dévastées par les torrents parce que l'homme n'est plus là pour les entretenir.
Notre civilisation est suffisamment intelligente, compétente et soucieuse de démocratie pour, à l'occasion d'un débat comme celui-ci, se poser les véritables questions: comment faire en sorte que les hommes - pourquoi pas avec un peu de bonheur - vivent de nouveau sur tout le territoire? Comment les y encourager?
Vous avez cité quelques pistes...
M. Jean Launay.
Quelles sont les vôtres, monsieur Lassalle?
M. Jean Lassalle.
Je ferai simplement une restriction: il ne faudrait pas que la zone d'adhésion devienne une auberge espagnole où les plus éloignés de la zone coeur, qui souffrent
le moins du contexte géopolitique, contrairement par exemple aux maires de ces territoires, viennent brouiller les cartes.
M. Jean Launay.
C'est beau la poésie, mais avez-vous des solutions à nous proposer?
M. Jean Lassalle.
Pour le reste, il importe d'inventer de nouveaux métiers et de donner un nouveau souffle à notre action. Oui, nos jeunes aiment la nature, mais cela ne doit pas
être sous la contrainte. Celle-ci ne règle pas les problèmes, nous l'avons appris avec la question de l'ours, qui pourtant nous préoccupait tous depuis vingt ou trente ans. Il faut
gagner l'adhésion des hommes et faire appel à leur sens des responsabilités. Pour cela, il nous faut entreprendre un grand chantier de conscientisation pour réconcilier les hommes
avec la nature, et, demain, ils seront fiers d'occuper à nouveau leurs campagnes, leurs montagnes, leurs territoires. Alors, les hommes des villes, réconciliés avec eux-mêmes,
sauveront les ours et ouvriront des perspectives à notre jeunesse.
à ce stade du débat, même si je sais que je vais déplaire à tout le monde, je me dois de redire mon opposition à la directive habitat. Ce n'est pas un décret de Bruxelles, fût-il accepté par les chefs d'Etat de toutes les nations, qui va sauver la situation. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé un amendement - qui n'a aucune chance d'aboutir mais soulagera ma conscience - pour demander un moratoire pour l'application de Natura 2000 (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Je souhaite que le dispositif Natura 2000 ne soit pas mis en oeuvre avant plusieurs années, afin de permettre à la France de renégocier avec la Communauté européenne.
M. Yves Cochet.
C'est pourtant une ministre UDF qui l'a présenté!
Mme la présidente.
Monsieur Cochet, seul M. Lassalle a la parole, et pour quelques minutes!
M. Jean Lassalle.
Monsieur Cochet, je ne vous interromprai pas, alors laissez-moi conclure!
Je veux que la question soit tranchée par le suffrage universel, car dans certains villages, 80 % des habitants ont voté non à la Constitution européenne à cause de Natura 2000. Nous pouvons continuer dans cette voie, mais cela ne me plaît pas et je ne pense pas que ce soit la bonne voie.
Madame la ministre, le groupe UDF votera ce projet de loi. A titre personnel, je ne pourrai le faire (Rires sur divers bancs), non pour ce que représente ce texte mais parce que
mon vote est intimement lié au sort de mon amendement sur Natura 2000 qui, je le crains, ne sera pas accepté. Je m'abstiendrai donc.
J'espère qu'un jour, les hommes et les femmes des villes, réconciliés avec eux-mêmes, feront progresser les parcs nationaux et ouvriront des perspectives à la jeunesse.
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Mme Chantal Robin-Rodrigo.
Pour le moins, donnons-nous du temps, ne prenons pas le risque de détruire ce qui a mis quarante ans à se construire.
Car, vous le savez plus que quiconque, madame la ministre, votre volonté de réintroduire des ourses dans notre massif pyrénéen, contre la volonté de tous les élus du Comité de massif, avec une opposition farouche des éleveurs pyrénéens, des chasseurs, des maires, va sans nul doute focaliser colère, amertume, incompréhension, ce qui peut être préjudiciable au devenir du parc national des Pyrénées. Je pense au mitage dont je viens de faire état.
C'est la raison pour laquelle je défendrai au cours de la discussion un amendement visant à ouvrir un délai suffisant pour revoir éventuellement le périmètre des parcs existants
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M. Michel Bouvard.
Il faut aussi que la parole donnée soit respectée et que l'on ne remette pas en cause les compensations qui, à l'origine, ont été accordées aux propriétaires
des terrains. La parole de l'Etat doit s'inscrire dans la durée. C'est la seule façon de rétablir la confiance, d'en finir avec cette logique de défiance qui prévaut trop souvent
aujourd'hui. De ce point de vue, ce texte ne peut qu'être utile. J'ai la conviction profonde que nul ne saura protéger l'environnement plus durablement que ceux qui vivent sur
place, car ils en ont été les meilleurs garants pendant des générations. Si nous travaillons en confiance, il n'y a pas de raison qu'ils ne le demeurent pas. (Applaudissements sur
les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
M. Yves Cochet.
Ce n'est pas si simple: il y a eu aussi des bétonneurs! Songez à la vallée d'Aspe!
[Ndr: Yves Cochet nous montre qu'il n'est manifestement pas au courant de ce qui se passe dans les Pyrénées et dans la vallée d'Aspe en particulier car s'il fait allusion au tunnel du Somport, celui-ci est situé hors Parc National des Pyrénées et permet aux véhicules de passer hors de la zone centrale du Parc. Par ailleurs, les ministres "Verts" tel que lui ne se sont jamais opposés au tunnel dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions pas plus qu'ils n'ont apporté une quelconque solution ou protestation pour le maintein et le développement de la population d'ours dans le Béarn. En fait, comme Madame Voynet, il tient un discours de curé: "faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais."]
M. Jean Lassalle.
Cela n'a rien à voir!
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Mme Christiane Taubira.
Associer les populations, c'est s'interroger sur les procédures de délibération collective. Il est nécessaire de réfléchir aux moyens d'organiser des procédures qui tiennent compte
de la dispersion des populations sur le territoire et des disparités culturelles, ce qui implique un rapport différent à l'enquête publique et à l'expression collective. Il faut là
encore innover pour permettre à la population de s'approprier ce projet, de le patrimonialiser, c'est-à-dire d'en faire un bien collectif.
M. Jean Lassalle.
Remarquable!
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M. Yves Cochet.
Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, le projet de loi relatif aux parcs nationaux et aux parcs naturels marins nous semble aussi imprécis qu'inquiétant.
Beaucoup plus long à l'origine, voilà deux ans et demi, il est désormais réduit à une quinzaine d'articles, la portée de certaines dispositions restant souvent vague.
Ainsi, la philosophie du contrat - celui par lequel une commune située en zone périphérique choisit d'adhérer ou non - qui imprègne le projet peut porter atteinte à l'intégrité territoriale et écologique de parcs qui existent depuis quarante ans. Ils seraient alors fragilisés au regard des standards internationaux de protection. Le choix d'une commune d'adhérer ou non au parc peut également entraîner le mitage ou le grignotage de la zone périphérique, au risque d'entamer l'autorité des agents d'Etat des parcs vis-à-vis des maires. Des zones amputées briseraient la continuité naturelle et menaceraient la biodiversité.
La biodiversité, certains l'ont évoquée au nom même d'une stratégie nationale, tandis que d'autres, sur les bancs de l'opposition, à laquelle j'appartiens, employaient le mot "prédateurs". Il faut faire très attention. Reconnaître la biodiversité, c'est aussi admettre que nous, en tant qu'espèce, devons partager les territoires avec d'autres espèces. Et il faut mesurer la prédation de l'espèce humaine vis-à-vis des territoires qu'elle occupe - Dieu sait qu'ils sont étendus! - et des autres espèces: pour dire les choses très clairement, les ours ou les loups, qui sont plutôt, hélas, en voie de disparition.
Mme Chantal Robin-Rodrigo.
C'est un discours de Parisien!
M. Jean Lassalle.
Chez nous, les hommes aussi disparaissent!
M. Yves Cochet.
Mais non, monsieur Lassalle.
Mme Chantal Robin-Rodrigo.
Si!
M. Yves Cochet.
Allons donc! N'y a-t-il pas d'ailleurs une contradiction entre le souci de protection d'un espace et la détermination de limites géographiques du parc selon le bon vouloir des
communes concernées? Certaines d'entre elles pourraient même se comporter en passager clandestin, en refusant d'adhérer ou en se retirant d'un parc national tout en se prévalant de
son image du fait de sa proximité.
L'idée de contractualisation est en fait issue, certains l'ont souligné, des parcs naturels régionaux, lesquels ont en vérité peu à voir avec les parcs nationaux, même en tant que "territoires de projet". Ils sont certes fondés sur une charte, dénommée dans le projet de loi "plan de préservation et d'aménagement du parc national", et je ne peux qu'être d'accord avec une meilleure implication des élus locaux, des socioprofessionnels, et surtout des associations de protection de l'environnement et de tous les acteurs locaux, comme cela se fait dans les PNR, dans les communautés d'agglomération et dans les pays de Mme Voynet et de M. Pasqua,...