Les sectes du sauvage proposent aux citoyens un argumentaire aux multiples facettes. L'une d'elles, ancienne et continue, est, dans la forme, moralement inacceptable, sur le fond tout autant malhonnête.
Le "raisonnement", si l'on peut dire, est le suivant: grassement arrosés par des subventions, produits de nos impôts, les éleveurs, ovins en particulier, doivent se plier à l'imposition des ours et des loups; on paye ces éleveurs, ils nous coûtent cher (la spéculation aussi en ce moment, mais ça n'a rien à voir n'est-ce pas?), ce n'est pas à eux de choisir ce que l'on veut pour cet argent, le nôtre.
Inquiétant discours, qui prostitue ainsi femmes et hommes: on paie, vous exécutez nos désirs. Le Code du Travail reconnaît un droit de retrait aux salariés en cas de danger grave et imminent, on n'est plus à l'époque où celui qui travaille était pieds et poings liés à celui qui payait son travail... qu'importe à nos talibans. Mais face au droit des ours, que pèsent les droits de l'homme: Ferus, dans le numéro de juin 2008 de sa "Gazette des grands prédateurs", parlait bien de "crime contre l'humanité" à propos de la mort de la dernière ourse pyrénéenne sous la balle d'un chasseur menacé par la bête.
Sur le fond c'est presque aussi grave.
Les documents statistiques que nous citons ci-dessous sont ennuyeux à lire: on peut, c'est vrai, tout à fait s'en passer, et continuer à dire n'importe quoi sans savoir de quoi
l'on parle. On peut aussi faire l'effort de se renseigner: ça reste quand même la base de l'exercice du droit de citoyen, le devoir de ce droit.
Ils montrent la réalité sociale, économique de ces "grassement subventionnés" qui devraient s'incliner devant les carnivores sauvages, à quatre pattes mais certains à deux pattes,
et ceux-là prouvent que, oui, certains hommes sont un loup pour l'homme.
Certains tableaux, très longs, ont été racourcis pour n'en conserver que ce qui concernait directement notre sujet: l'élevage ovin.
Mes commentaires. Mais, au delà, le discours sauvage des sectes du sauvage à l'égard des ces femmes et hommes qui résistent, et d'abord en continuant ce travail d'éleveur pour les fruits que nous allons voir, ce discours devrait interroger ceux qui, en toute bonne foi partisans des ours et des loups, savent encore raison garder, et ne pas tout mélanger.
Auteur: B.Besche-Commenge - ASPAP/ADDIP - 17 octobre 2008
Page 1 - "Les récoltes de céréales se réduisent pour la troisième année consécutive. Les prix s'envolent, tirés par le marché mondial sur lequel les stocks sont très bas. Dans ce contexte, le revenu des exploitations spécialisées en céréales, oléagineux et protéagineux double (+103,9 %). Celui des exploitations d'autres grandes cultures s'accroît moins fortement (+18,4 %), en raison des baisses de prix des pommes de terre et des betteraves. /.../
Exception faite des volailles et du lait, les productions animales connaissent une situation difficile. La légère augmentation du volume de la production de gros bovins et de porcins ne compense pas leurs baisses de prix. A l'inverse, la hausse des cours du veau ne permet pas de rattraper la baisse des volumes produits. De plus, la hausse sensible des prix de l'alimentation animale pèse fortement sur les charges d'approvisionnement. Le revenu s'inscrit donc en fort recul pour les exploitations d'élevage hors sol (- 38,4 %), ovins (-31,8 %) et bovins viande (-24,7 %)"
"Ovins et autres herbivores",
cette catégorie ne comprend pas les bovins, comptés à part. Ovins et caprins y sont très majoritaires à côté des équins.
Les deux graphiques ci-dessous montrent que le revenu des éleveurs de cette catégorie est, depuis 1993, constamment inférieur au revenu moyen de l'ensemble des exploitations
agricoles, avec une dégradation de cette situation depuis 2003. Le second graphique montre plus particulièrement comment leur revenu est même en recul pour les trois années
2004-05-06 par rapport à ce qu'il était en ... 1991! Et c'était déjà alors un des deux revenus les plus faibles de toutes les activités agricoles
1) - pour comprendre les tableaux:
les années écrites entre guillemets (ci-dessus: "1991", "2006") correspondent à une moyenne calculée sur trois années, la date indiquée étant l'année centrale: "1991" signifie
donc qu'on a fait la moyenne des revenus des trois années: 1990 + 1991 (année centrale) + 1992. Cette "moyenne triennale centrée sur l'année indiquée" - c'est son nom - est un
procédé statistique qui permet d'atténuer les variations de nature conjoncturelle, celles d'une année un peu anormale, non caractéristique.
Le graphique ci-dessus compare donc la situation en 2005 + 06 + 07 ("2006" année centrale) à celle des années 1990 + 91 + 92 ("1991" année centrale)
Dans tous les tableaux, une date entre guillemets correspond à cette moyenne. Sans guillemets, il s'agit de la date indiquée.
On trouve les deux dans certains tableaux. Par exemple: l'année qu'on étudie est 2007, on l'écrit sans guillemets. On va alors la comparer non pas à la seule année précédente, qui
pouvait présenter des particularités exceptionnelles, mais, pour plus de sûreté, aux trois années précédentes: 2004 + 2005 (année centrale) + 2006. Comme 2005 est l'année centrale,
on va écrire: "2005".
Dans le tableau on aura alors: 2007 / "2005" = on compare l'année 2007 (pas de guillemets) à la moyenne des trois années précédentes: 2004 + 05 (année centrale avec guillemets) +
06.
2) - le contenu:
"Agreste - Primeur", la revue du Ministère de l'Agriculture consacrée à la statistique agricole, indiquait en juillet 2008 à propos des évolutions de l'année précédente: "Hausses
de revenu mais fortes disparités - Le revenu agricole moyen progresse de 17 % en 2007. L'envolée des prix des céréales et des oléoprotéagineux, favorise le revenu des producteurs
de grandes cultures mais pèse sur celui des éleveurs."
Page 2, elle publiait un tableau de l'évolution récente du revenu agricole, basé sur la comparaison des moyennes triennales centrées sur les années "2006" et "2003" (donc période 2002 à 2007), et sur celle des deux années calendaires 2007 et 2006. Pour les deux époques, l'évolution est catastrophique pour les éleveurs d'ovins, ce que la revue commente ainsi: "Fort recul du revenu pour les éleveurs ovins - Le revenu des exploitations ovines chute de 32 % en 2007. Les abattages sont moins nombreux et les prix se stabilisent. La non-reconduction des aides calamités sécheresse réduit aussi les ressources dans les zones concernées. En baisse annuelle moyenne de 5% depuis 2002, le revenu des exploitations ovines atteint un point historiquement bas en 2007. Il représentait 70% du revenu moyen agricole au début des années quatre-vingt-dix. Il en constitue désormais 50%."
Il faut bien noter que toutes ces données sont calculées hors inflation (dans les tableaux suivants, on parle de euros courants). La perte réelle est alors bien plus importante que ce que montrent ces statistiques.
Page 7-8 - "Elevage ovin et autres herbivores - Nouvelle baisse de la production
Le revenu par actif non salarié des exploitations d'élevage d'ovins et autres herbivores chute de 31,8% cette année, après une sensible augmentation en 2006.
Le volume de la production ovine et caprine est en baisse de 3,7%. Les abattages ont été moins nombreux, en particulier pour les ovins de réforme, et les exportations ont diminué.
Les prix se stabilisent sur l'ensemble de la campagne: après avoir baissé en début d'année, ils remontent depuis l'été en raison des restrictions à l'importation des viandes en
provenance du Royaume-Uni touché par la fièvre aphteuse.
Les hausses de prix de l'alimentation animale impactent les charges d'approvisionnement qui progressent sensiblement en valeur (+9,7%).
Tendanciellement orienté à la baisse depuis 2002 (-5% en moyenne annuelle), le revenu des exploitations ovines atteint un point historiquement bas en 2007. Son niveau représentait 72% du revenu moyen des exploitations professionnelles au début des années 1990; il est légèrement supérieur à 50% de ce revenu moyen en 2007."
Dans le tableau 1 ci-dessus, dans la dernière colonne, pour chacune des deux périodes retenues, la moyenne du revenu de l'ensemble des productions agricoles est symbolisée par la
base 100. Déjà très en dessous de cette moyenne pour "1991" (ils n'atteignent que 72% de cette moyenne), les revenus de l'élevage ovin régressent encore énormément pour "2006" où
ils représentent à peine la moitié de ce revenu moyen (51%).
C'est ce qu'expliquent les colonnes précédentes du tableau: à l'inverse de l'ensemble, et notamment des grandes cultures, l'élevage ovin perd de sa rentabilité de façon continue, à
une seule exception les comparaisons entre années ou périodes sont toujours négatives.
Le tableau 3 suivant montre encore cette dégradation: le revenu agricole moyen, toutes productions confondues, augmente (pour une base 100 en 1990, il devient 136,2 en 2007) mais le coup de la vie augmente lui aussi et ces tableaux ne tiennent pas compte de l'inflation; or l'écart s'accroît entre cette moyenne et l'élevage ovin qui s'enfonce un peu plus, de parent pauvre il passe à parent très pauvre. Même les années où ça va un peu mieux, ça va toujours moins bien que la moyenne des productions, et c'est un autre monde que celui des céréaliers!
De 1990 à 2007, le constat est simple:
Données détaillées par catégorie d'exploitations
Le tableau ci-dessous résume la situation, rappelons qu'il s'agit d'évolutions hors inflation, ce qui rend encore plus déprimante la situation vécue par les éleveurs d'ovins. Sur la moyenne 2005+06+07, ils retrouvent leur résultat... 1990, alors que tout a augmenté lorsqu'on passe à la caisse. Je ne m'étends pas ici sur les drames humains et sociaux que tout cela implique: l'ASPAP y reviendra à partir de témoignages très concrets dans un travail d'enquêtes qu'elle est en train de mener.
Attaquer au nom des grands prédateurs, les éleveurs d'ovins au niveau de leur revenu et des subventions, est, et je reste poli, une belle " saloperie " de la part d'individus qui, même si globalement il y a une régression salariale, ont quand même vu leurs salaires évoluer à la hausse depuis cette même année 1990 (et les subventions ne sont jamais qu'une forme de salaire, mais plus qu'insuffisante puisque le revenu hors inflation, lui, est resté constant en 18 ans. Quel salarié accepterait cela? Le même SMIG en 2008 qu'en 1990?). Et je ne parle pas des profits délirants qui ont conduit à l'explosion actuelle de nos systèmes bancaires, et de l'économie réelle. Comme tous ceux qui n'ont pour vivre que leur travail, ces éleveurs aussi seront, bien involontairement, amenés à "contribuer" à résoudre cette crise: c'est ce que dans notre doux système on appelle la justice sociale et l'égalité.
Le 3 avril 2002, dans le cadre de la "mission commune d'information chargée de dresser un bilan de la politique de la montagne et en particulier de l'application de la loi du 9 janvier 1985, de son avenir, et de ses nécessaires adaptations" , le Sénat interrogeait M. Gilles Bazin, professeur de politique agricole à l'Institut national agronomique Paris-Grignon, rapporteur de l'évaluation de la politique de la montagne au Commissariat général du Plan. Il soulignait ceci:
"En ce qui concerne les exploitations agricoles de montagne, il est très difficile d'évaluer l'impact spécifique de la politique de compensation des handicaps naturels dans un cadre général où la Politique agricole commune (PAC) est déterminante. Sur les cinquante milliards de francs d'aides directes à l'agriculture fournis par la PAC, environ deux milliards et demi vont à l'agriculture de montagne. Il demeure donc délicat de bien évaluer cet impact quand il est noyé dans une politique générale, la PAC, qui n'est pas favorable à ces zones. /.../
Le budget de l'ICHN / = Indemnité Compensatoire des Handicaps Naturels / a crû de manière spectaculaire ces trois dernières années (+30% entre 1999 et 2002), sans que cela ne coûte à l'Etat, étant donné que ces mesures qui étaient éligibles à 25% le sont désormais à 50%.
Du point de vue des revenus et de la parité des conditions de vie des montagnards par rapport au reste de la nation, le bilan reste assez négatif. La montagne, qui était la zone
bénéficiant le plus d'aides en 1990, est aujourd'hui celle qui est la plus dépourvue en aides directes. Pour les zones défavorisées, notamment celles périphériques à la montagne,
l'ensemble du revenu des exploitants est égal au soutien qu'ils perçoivent réellement. En effet, la réforme de la PAC a particulièrement favorisé ces zones. En revanche, la
montagne est la zone où les revenus sont les moins élevés et les soutiens publics à l'agriculture les plus faibles. Contradictoirement, la PAC aide donc davantage les régions
les plus riches.
Le revenu des exploitants de montagne reste inférieur de 30% à la moyenne nationale. L'ICHN en montagne représente aujourd'hui le tiers des aides et environ 20 à 25% du revenu."
Je rassure les excités des sectes du sauvage: M. Bazin n'est pas adhérent de l'ASPAP.
Assez bornés sur leur marotte pour ne même pas se rendre compte de cette contradiction: pour le changement climatique, il vaut mieux sans aucun doute promouvoir ours et loups et
continuer à importer aliments de bétail et ovins au lieu de relancer un élevage extensif important et viable dans les zones où il a sa place "naturelle" et peut irriguer, sans
grands déplacements, les bassins de consommation voisins ... Cargos sur les océans, noria de poids lourds sur les routes européennes, pollution et tout le reste, ils s'en foutent
au fond pourvu qu'ils aient nounours et petit loup!
Il faut effectivement choisir sa "nature", naturelle culturelle, comme l'écrivent de nombreux spécialistes espagnols ("naturaleza culta") et comme le sont les Pyrénées depuis le néolithique, ou reconstruction artificielle d'une nature sauvage comme certains le souhaitent? C'est un choix de société, d'avenir, et l'on peut se poser des questions lorsqu'on met face à face ces deux faits:
- 1997, le WWF finance un travail de recherche de "l'Initiative Européenne pour la Conservation des Grands Carnivores", qui dépend de l'UICN (Union Internationale de la Conservation de la Nature). Cette étude, (Résumé en français) porte sur la façon dont la PAC (Politique Agricole Commune) devrait être modifiée pour aller "dans un sens favorable aux grands carnivores". On y découvre que tout ce qui caractérisera la "nouvelle PAC" votée en 2003, est déjà contenu dans cette étude (voir le Bilan ADDIP 2008 à propos du plan-ours, pages 24-29)
- 2006, étude du service statistique du Ministère de l'Agriculture: "Premiers effets de la nouvelle PAC sur les élevages bovins et ovins en 2006 - Quelle reprise possible pour la production de viande ovine?"
" En déclin depuis le début des années 80, le cheptel ovin et la production de viande ovine ne seront pas encouragés par l'application de l'accord de Luxembourg en France qui se
traduit par un découplage important des aides directes ovines. En l'absence de données objectives disponibles sur le niveau du cheptel ovin en 2006, les résultats connus d'abattage
et de production font craindre un nouveau recul du potentiel de production. Globalement, la production ovine est en repli de 1,5%, en cumul de janvier à août 2006, par rapport à la
même période de 2005.
La baisse du nombre de femelles saillies, à l'enquête de novembre 2005, laissait présager d'une nouvelle réduction de la production d'agneaux, d'une ampleur cohérente avec le recul
des abattages de 2% en cumul de janvier à août, par rapport à 2005. En revanche, les abattages d'ovins de réforme (+6,3 % en têtes) sont soutenus par rapport à 2005 et laissent
augurer d'une nouvelle diminution du cheptel de brebis à l'enquête de novembre 2006."
On peut continuer ainsi ... transformer les estives en déserts humains peuplés d'ours et de loups, continuer à faire circuler cargos et camions chargés de bétail importé... C'est un choix... il y en a d'autres... On n'est plus du tout dans un problème de bê-bêtes à poil, c'est un choix de fond, un choix politique. Il ne serait pas inintéressant que, de temps en temps, les "Politiques" justement, locaux et nationaux, s'expriment clairement sur ce problème de fond. Des fois, ils sont quand même élus pour ça non?
B. Besche-Commenge - ASPAP/ADDIP - 17 octobre 2008
Ce berger là n'est pas des Pyrénées, ni des Alpes. Il est du Limousin. Et pourtant, ses revenus ne sont pas meilleurs que ceux des Pyrénées. Il vit des mêmes aides parce que le
Limousin est en "zone Piémont" (moyenne montagne). Néanmoins, il a un avantage: pas de grand prédateurs tel ours et loups. Mieux encore, un récent rapport de l'Inspection générale
de l'Agriculture et de l'Environnement dit que dans le Massif Central les grands prédateurs sont incompatibles avec l'élevage extensif contrairement aux Alpes et aux Pyrénées.
Curieuses visions de la réalité... Incompétence des rapporteurs? Ignorance? Où encore propagateurs d'une idéologie du "tout sauvage"?
Mais grands prédateurs ou non, la vie de berger en Limousin n'est guère meilleure que celle dans les Pyrénées comme nous le raconte Sophie Verney-Caillat pour Rue89 que nous
reproduisons ci-dessous.
Ce récit, devrait faire réfléchir tous ces biens pensants de l'écologie qui, au travers de forums, notamment celui de l'ADET-Pays de l'ours, bien installés devant un écran
d'ordinateur, propagent leur haine et leurs insultes à l'égard des bergers pyrénéens qui sont dans la même situation que ceux du limousin.
Louis Dollo, le 26 octobre 2008
La baisse du pouvoir d'achat est depuis quelques temps l'un des soucis principaux des Français. Eco89 a décidé de s'y pencher en inaugurant une nouvelle rubrique: "Votre porte-monnaie au rayon X", qui propose une radiographie des revenus d'une profession, à travers un exemple concret. Aujourd'hui, Philippe, 54 ans, berger dans le Limousin.
Philippe est éleveur de moutons dans le Limousin, à une vingtaine de kilomètres de Brive-la-Gaillarde. Sur sa petite exploitation de 24 hectares, il élève 170 moutons. Il a commencé comme berger à l'âge de 22 ans "appelé par le goût de la liberté", mais si c'était à refaire, il renoncerait: "Je ne pourrais pas manger."
A 54 ans, il est toujours animé par la même passion, mais a appris à n'avoir besoin de rien. "Le seul luxe qui me reste, c'est le bonheur d'être dans mes prés", et ce même si c'est dès 7h30 du matin, et jusqu'à 20 heures le soir, voire la nuit en période d'agnelage. Pour ce père de trois enfants.
"Le samedi et le dimanche ça n'existe pas et les vacances, c'est quand, par chance, un de mes enfants accepte de venir garder l'exploitation pendant une semaine."
S'il vit à peu près, c'est grâce à la pension militaire de son épouse. Car son exploitation lui rapporte la somme "ridicule" de 200 euros par mois.
Recettes: 1.941 euros par mois
Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, la vente des animaux lui rapporte 1.152 euros par mois, loin des 1941 euros qui composent l'ensemble de ses revenus. Il cède 150
agneaux dans l'année à sa coopérative, au prix de 82 euros par animal, à quoi on peut ajouter également des ventes occasionnelles à des particuliers, pour 90 euros par bête. Les
primes représentent donc plus de la moitié de ses revenus: "Enlevez-les et il n'y a plus d'éleveurs en France." Ces primes, aussi diverses que complexes, s'élèvent à 789 euros
par mois au total.
Comme il vit en "zone Piémont" (moyenne montagne), il reçoit une indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) de 114 euros par mois. S'il était en haute montagne, il toucherait plus, car les conditions de vie sont encore plus difficiles.
Vient ensuite la prime à la brebis, fixée par Bruxelles qui lui permet de toucher 14 euros par an pour chaque brebis du troupeau: 198 euros par mois.
Il touche également le droit à paiement unique (DPU), une aide européenne versée en fonction de la surface et de l'historique de l'exploitation et qui s'élève dans son cas à 1.300 euros par an, ce qui fait 108 euros par mois. "A Bruxelles, ils ont trouvé ce truc là pour encore compenser le manque à gagner des autres primes qui ont baissé."
Pour "tenir debout", Philippe a également entamé il y a deux ans un contrat d'agriculture durable (CAD), qui lui permet de gagner 3.559€ par an, soit 297€ par mois, pendant cinq ans. Pour cela, il s'engage à entretenir des lisières de bois, à limiter le nombre d'animaux par hectare et le recours aux engrais: "Ca n'apporte pas de label, comme le bio mais ça me permet de vivre, tout simplement."
Dépenses: 1.740 euros par mois
Les dépenses sont élevées, et certaines se sont accrues dernièrement. Alors Philippe gère tout ce qu'il peut lui-même, avec l'aide de sa femme. Nourrir les animaux, les soigner,
entretenir les prés, faucher, emballer le foin... Le berger doit acheter des céréales pour compléter l'alimentation au foin, ce qui a un coût mensuel de 373 euros:
"Avec la flambée du prix des matières premières, les céréales, la base alimentaire pour mon troupeau, ont cru de 100 euros par mois en une seule année."
De plus, n'étant pas propriétaire d'assez de terres pour nourrir son troupeau toute l'année, il lui faut en louer. Ce qui lui coûte 83€ par mois. Il est aussi obligé de faire appel à un vétérinaire pour soigner son troupeau, réaliser les vaccins, les visites de contrôle obligatoire et autres traitements... ce qui lui alourdit encore ses charges de 70€ par mois.
Philippe doit également rembourser les emprunts pour la bergerie et le tracteur, et payer une partie des terres de l'exploitation: au total, cela fait 516 euros chaque mois. Le montant des factures d'électricité et d'eau s'élève à 83 euros. Les diverses assurances pour les terres, les bâtiments, les deux tracteurs et le troupeau se chiffrent à 175 euros par mois pour toute l'exploitation. Le gasoil lui coûte 83 euros par mois en ce moment, une hausse de 40% en un an.
En tant qu'exploitant agricole, il est affilié à la sécurité sociale du régime agricole et rural, la Mutualité sociale agricole MSA, pour 237 euros par mois.
Gains: 200 euros
Comment élever ses gains mensuels, qui plafonnent désespérément à 200 euros? Philippe ne voit pas de solution. S'il avait une plus grosse exploitation, de 1.000 moutons par
exemple, il devrait aussi avoir un salarié, des bâtiments... "Et beaucoup de soucis en plus. Ce n'est plus du tout la même agriculture... ni la même vie." Si son métier et son
cadre de vie lui plaisent, il a la triste impression de travailler pour "entretenir le paysage". La coopérative à qui il vend ses moutons à 5,5 euros le kilo revend la viande 8 à
10 euros le kilo à la grande surface, où elle se retrouve entre 15 et 25 euros:
"C'est tellement facile de remplir son caddie. Le consommateur ne pense pas aux agriculteurs qui travaillent pour remplir leurs assiettes. Il ne pense pas à tout le carbone rejeté dans l'atmosphère, ni au fait que si on supprimait les subventions, dans dix ans il n'y aurait plus d'élevage ovin en France."
Il rêve aujourd'hui à ce que l'agriculture soit déclarée "d'utilité publique": "On fait manger les Français!"
Auteur: Sophie Verney-Caillat
Source: Rue89 du 26/10/2008