Le Monde des Pyrénées

Petite histoire de l'AOC mouton de Barèges-Gavarnie avec Sylvain et Joël

Depuis septembre 2003, l'AOC (1) a une existence officielle. Mais il aura fallu 10 ans pour obtenir cette reconnaissance de qualité et débuter en 2005 une véritable commercialisation. Vincent Lasseret des "Jeunes Agriculteurs" nous résume cette aventure en compagnie de Sylvain Broueilh et Joël Escaich.

- En route vers l'AOC Barèges-Gavarnie

Dans les Hautes-Pyrénées, les moutonniers du pays Toy se sont spécialisés dans la production de brebis et de doublons. Sous l'impulsion d'un jeune éleveur, Sylvain Broueilh, ils sont en passe d'obtenir la deuxième AOC attribuée à une viande en France.

"Mon attachement à la vallée de Barèges m'a motivé pour vivre au pays, explique Sylvain Broueilh, mais également pour m'investir dans son développement." Après un bac économique et un BPREA, ce jeune éleveur de 24 ans a repris l'exploitation familiale de Luz-Saint-Sauveur en janvier 2001. Dans cette haute vallée pyrénéenne, aussi appelée vallée du gave de Pau ou encore pays Toy, les 130 exploitations agricoles sont toutes spécialisées dans l'élevage. Pour preuve, les 1.800 ha de SAU que compte la vallée sont totalement consacrés à la production d'herbe, à l'exception de... 2 ha de maïs. Si une petite production bovine subsiste dans le canton - 180 vaches allaitantes - le mouton demeure le pilier de l'agriculture locale. Avec une dizaine de vaches limousines et 150 brebis barégeoise, l'exploitation de Sylvain Broueilh ne déroge pas à cette règle. "Mais attention, prévient-il, contrairement au système traditionnel agneau de boucherie/brebis de réforme, nous produisons essentiellement de jeunes adultes."
Car chez Sylvain, le système d'élevage est avant tout dicté par les contraintes géographiques et climatiques. De décembre à mars, les animaux passent l'hiver en bergerie, en fond de vallée, nourris avec du foin et du regain. "Toutefois, précise Sylvain, dès que le temps le permet, les bêtes sont lâchées sur les prairies." A partir du mois d'avril, le troupeau se déplace en moyenne montagne (1 300 m), sur un secteur de "granges foraines." Pendant 5 à 6 semaines, il pâture l'herbe de printemps sur des prairies de fauche et des parcours. En été, le troupeau transhume vers les hauts pâturages. Avec 25.000 ha de pâturages collectifs situés entre 1.600 et 2.600m d'altitude, ce territoire représente la partie la plus élevée, mais aussi la plus étendue, du terroir du pays Toy. En estive, les moutons sont en totale liberté. Sylvain leur rend visite une fois par semaine pour les regrouper, les soigner et les trier afin de sélectionner ceux qui seront commercialisés. Fin octobre, le cheptel redescend vers les "granges foraines" pour y pâturer les repousses d'automne pendant quelques semaines. Enfin, le mois de novembre arrivé, les bêtes réintègrent la bergerie. Tout au long de l'année, sous forme de foin, de regain ou de pâturage, l'herbe constitue le pivot de l'alimentation. Les apports complémentaires se résument à quelques pierres à lécher en hiver et à un mélange de sel et de son en été.

La plupart des moutonniers du pays Toy ont opté pour un système de production basé sur une race: la barégeoise. "Cette race locale et rustique se caractérise par une forte aptitude au désaisonnement, explique Sylvain. Les éleveurs ont recours à la lutte naturelle, en liberté, et les agnelages se déroulent essentiellement en automne, pour se poursuivre jusqu'au printemps."

Avec une prolificité moyenne de 114 % et une productivité numérique de 0,77, la production d'agneau engraissé ne constitue pas une priorité. Au contraire, le système barégeois s'appuie sur deux produits: la brebis de boucherie et le doublon. Cette brebis est une jeune femelle (2 à 6 ans), ayant estivé au moins deux fois et agnelé cinq fois au maximum. Le doublon est un jeune mâle castré de plus de 18 mois, ayant estivé au moins deux fois.
Ce mode de production, qui entraîne un taux de renouvellement assez élevé (de l'ordre de 30 à 40 %), conduit à un produit fini de grande qualité. Juteuse et tendre, fondante en bouche, aux saveurs de bois, de prairies, d'alpage... selon une étude du Centre régional d'innovation et de transfert de technologie (Critt) de Midi-Pyrénées, la viande de mouton du pays Toy "se distingue incontestablement des autres viandes". "De tout temps, notre viande a eu bonne réputation, précise Sylvain. Dans les années cinquante, sa notoriété remontait jusqu'à Bordeaux et même Paris. Aujourd'hui, cette notoriété s'est un peu circonscrite, mais toujours avec une très bonne image. "De cette qualité découle un prix de vente assez satisfaisant: 22 à 25 F/kg de carcasse pour les brebis, et jusqu'à 26,50 F/kg pour les doublons." A partir de là, explique Sylvain, on aurait pu se contenter de vanter la qualité de notre produit et continuer à le vendre comme ça. Le problème, c'est que certains bouchers utilisaient l'image de notre viande, tout en s'approvisionnant dans d'autres vallées."

Les moutonniers du pays Toy prennent alors conscience qu'ils doivent franchir une étape pour préserver leur valeur ajoutée. En 1996, alors que Sylvain est encore aide familial, le directeur régional de l'Inao laisse entendre qu'au vu des techniques et de la zone de production, le mouton du pays Toy pourrait prétendre à une appellation d'origine contrôlée (AOC). Dès lors, les éleveurs engagent une réflexion sur la race, la conduite alimentaire et le système d'exploitation. Ils aboutissent à un cahier des charges correspondant aux techniques de production traditionnelles. Selon les premières estimations, un quart des exploitations du pays Toy et un tiers du cheptel pourraient y prétendre.

Avec l'appui des collectivités, de la chambre d'agriculture et de l'Inao, une demande officielle est déposée en 1997 pour la reconnaissance de cette appellation "Barèges-Gavarnie" Mais si certains soutiennent le projet, d'autres s'en inquiètent. Un boucher refuse même d'acheter les animaux de Sylvain. Heureusement, dans le même temps, Joël et Gaby Escaich, qui produisent du mouton "Barèges-Gavarnie" à Betpouey, recherchent un partenaire pour approvisionner leur boucherie artisanale et des restaurateurs de la région. "Notre collaboration, explique Joël Escaich, permet de satisfaire la demande tout au long de l'année. Entre le magasin, les bouchers et les restaurateurs de Luz, de Pau et de Tarbes, nous écoulons jusqu'à quatre carcasses par semaine."

Entre temps, la demande AOC a très vite avancé. Si certains dossiers mettent huit à dix ans pour aboutir, l'AOC "Barèges-Gavarnie" a obtenu son principe de reconnaissance en mars 2000. Le décret d'application, qui signera la naissance officielle de l'AOC, est aujourd'hui suspendu à la réouverture de l'abattoir de Luz, actuellement en cours de rénovation. Selon certaines sources, le décret sera adopté au plus tard au printemps 2002. "Mais attention, prévient Joël Escaich, lorsque nous aurons obtenu l'AOC, la demande va augmenter et nous devrons être capables de proposer notre viande tout au long de l'année. Certains éleveurs devront modifier leurs pratiques pour répondre au marché. Il faut s'y préparer dès maintenant."
"En tout cas, l'obtention de l'AOC va apporter du poids à nos revendications, poursuit Sylvain. Avec le thermalisme et le tourisme, la pression foncière est très forte. Nous espérons que l'AOC contribuera à installer des jeunes et à maintenir une vie locale dans la vallée."

Auteur: Vincent Lasseret
Source: "Jeunes Agriculteurs" n° 566 de novembre 2001

(1) L'AOC est devenu AOP (Appellation d'Origine Protégée) en 2010, label de qualité européen