"Comprendre les origines intellectuelles des écologies"
«Alors que les idéologies politiques fortes, à l’exception des intégrismes, déclinent partout dans le monde, n’y a-t-il pas là de quoi ranimer les flammes d’un éternel militantisme? D’autant que la critique de la modernité peut recueillir le fervent soutien des grandes religions, toujours promptes à tancer l’orgueil des hommes, mais aussi l’approbation des néo-fascistes ou ex-staliniens dont les convictions anti-libérales passées ou présentes, refoulées par nécessité plus que par raison, ne demandent qu’à s’investir dans une nouvelle aventure de la politique scientifique.
«Ecologie ou barbarie»:
le siècle prochain risque bien de consacrer ce slogan. Autant repérer le faux débat qui menace et la vraie question qui nous attend encore. Le faux débat est simple, on le connaît
déjà: «le démocrate vigilant» traite l’écologie de «pétainiste», au motif que son amour de la nature sent beaucoup trop le terroir pour ne pas être quelque peu vert-de-gris. Autre
variante: le même démocrate vigilant décèle la réincarnation du gauchisme dans la critique de la civilisation occidentale et l’éloge de la vie frugale des Indiens d’Amérique ou des
paysans du Larzac. Soyons clair: le démocrate n’a pas tout à fait tort, loin de là. Il a même raison de nous inciter à réfléchir sur les deux penchants pervers de l’écologisme
contemporain, l’un et l’autre animés d’un même mépris de la social-démocratie formelle, l’un et l’autre adossés à une solide tradition dont l’apogée se situa sans doute à la fin
des années 30. Mais enfin, on ne saurait ainsi réduire à rien, c’est-à-dire aux seules illusions d’idéologies politiques catastrophistes et catastrophiques, le défi que lance
l’écologie à la tradition de l’humanisme moderne. D’autant que la sensibilité écologiste «moyenne», celle de tout un chacun, n’a rien d’extrémiste, ni même d’antidémocratique. Elle
relève plutôt de cette esthétique de l’authenticité, de ce souci de soi au nom desquels on revendique volontiers –et pourquoi pas?- une certaine «qualité de vie».
Et c’est là, justement, que réside la vraie question. Toute notre culture démocratique, toute notre histoire économique, industrielle, intellectuelle, artistique depuis la Révolution française est marquée, pour des raisons philosophiques de fond, par un éloge du déracinement, ou, ce qui revient au même, de l’innovation –éloge que le romantisme, puis le fascisme et le nazisme n’ont cessé de dénoncer comme fatal aux identités nationales, voire aux coutumes et aux particularités locales. Leur antihumanisme, explicite sur le plan culturel, s’est accompagné d’un souci de l’enracinement qui fut propice à l’éclosion d’un formidable attrait pour l’écologie. Pour parodier l’heureuse formule de Marcel Gauchet, «l’amour de la nature» dissimulait (mal) «la haine des hommes».
Nul hasard, en ce sens, si c’est au régime nazi et à la volonté personnelle d’Hitler que nous devons aujourd’hui encore les deux législations les plus élaborées que l’humanité ait connues en matière de protection de la nature et des animaux. Et pourtant, comment nier que «la haine des hommes», entendue en un autre sens du génitif, comme mépris cartésien de la nature, et singulièrement du vivant, ne soit elle aussi une véritable question? Comment ne pas reconnaître que l’humanisme métaphysique fut, en effet, à l’origine d’une entreprise de colonisation de la nature sans précédent, qu’il s’agit de territoires ou d’êtres vivants, animaux ou «naturels» comme on disait si bien pour désigner les «indigènes»?
Un humanisme non métaphysique, non tyrannique est-il pensable? Aurait-il quelque chose d’autre à dire que ce cartésianisme soucieux de faire enfin des hommes les «maîtres et possesseurs de la nature» -ou faut-il nous résoudre à ce retour à la «vraie vie», à la frugalité perdue, à cette Wilderness dont nous abreuvent aujourd’hui le cinéma américains et la philosophie allemande? Un tel retour signifierait pourtant l’abolition de tout ce que, artificiel en effet, et très dénaturé, nous pouvons aimer dans la culture moderne. La question s’impose donc: la civilisation du déracinement et de l’innovation est-elle, comme il le semble à première vue, tout à fait inconciliable avec la prise en compte du «souci naturel»? Et, par réciproque, ce dernier suppose-t-il un renoncement aux artifices? Je ne le crois pas. Encore faut-il, si l’on veut cerner les conditions d’une telle réconciliation, percevoir qu’il est désormais impossible de parler de l’écologie au singulier. Les philosophies qui animent, de façon secrète ou explicite, les diverses sensibilités aux questions d’environnement sont si différentes, voire si opposées, que leur variété même disqualifie les jugements globaux portés pour ou contre l’amour de la nature. Le temps est venu de prendre la mesure de cette complexité, de renoncer enfin aux adversaires fictifs qu’il est trop facile, mais aussi inutile de réfuter.(…)
(…)Dans le tiers-monde ou dans les pays de l’Est, les nécessités du développement économique relèguent au second plan les questions d’environnement. Il y a là une énigme. Car, loin d’être dominées par la seule logique de rentabilité capitaliste ou aveuglées par l’idéologie scientiste censée régir le monde de la technique, nos démocraties libérales suscitent d’elles-mêmes leur propre critique, y compris sous les formes les plus radicales. C’est en Occident que la dénonciation écologiste des méfaits de l’Occident acquiert droit de cité, élabore les arguments les plus sophistiqués, mobilise les sympathisants les plus nombreux. Et le paradoxe est d’autant plus remarquable que l’écologisme radical formule les critiques les plus négatives qui aient jamais été prononcées contre l’univers moderne: le nazisme lui-même, pour ne rien dire du stalinisme, conservait encore une attitude ambiguë face à une technoscience qu’il dénonçait d’un côté mais ne manquait pas de développer de l’autre, dans le contexte belliciste d’une «mobilisation totale» des forces de la nation. Comment comprendre ce phénomène?(…)
(…)L’écologie profonde peut allier dans un même mouvement des thèmes traditionnels de l’extrême droite comme des motifs futuristes de l’extrême gauche. L’essentiel, ce qui fournit sa cohérence à l’ensemble, c’est le cœur du diagnostic: la modernité anthropocentriste est un total désastre. Contre sa tendance à l’unidimensionnalité, déjà décrite par Marcuse ou Foucault, contre le «lobby politico-médiatique», l’uniformité, le consensus, les prétentions à l’universalité, il faut faire l’éloge de la diversité, de la singularité, de la particularité, dont tout aussi bien du «local» (version gauche de l’écologie profonde) que du «national» (version droite). Tout le problème, bien sûr, étant que les modèles de référence, le fascisme et le communisme, s’étant effondrés, la critique externe cherche désespérément les repères conceptuels qui lui permettraient de ne plus s’en tenir aux seuls réflexes. Il faudra donc comprendre comment les deux totalitarismes, qui en d’autres temps eussent constitué les pôles explicites de l’idéal, ne figurent plus qu’en pointillé, réduits qu’ils sont au statut de velléités ou, pour mieux dire, d’intentionnalités. Il reste que les deux penchants fondamentaux de ce tye d’écologie, ses deux interprétations possibles, n’en sont pas moins repérables au traves de la haine sans faille dont elle témoigne envers toute forme de culture humanistique –et en particulier, envers l’héritage honni des Lumières.
(...) Ethique et sciences: le retour des "morales objectives"
Existe-t-il des experts en matière de morale? La question prêterait à sourire si elle ne prenait chaque jour un caractère plus réel. Aux Etats-Unis, au Canada ou en Allemagne, elle est devenue un thème «académique» qui suscite colloques et publications universitaires. Mais dans le reste de la société tout aussi bien, les «conseils de sages» se multiplient, des «comités d’éthique» apparaissent où des scientifiques, des juristes, des philosophes ou des théologiens professionnels sont appelés à émettre des avis sur des questions touchant la vie intime des individus: procréations médicalement assistées, greffes d’organes, expériementation humaine, euthanasie, etc. On voit se développer l’idée selon laquelle la connaissance des secrets de l’univers ou des organismes biologiques doterait ceux qui la détiennent d’une nouvelle forme de sagesse, supérieure à celle du commun des mortels. Mais c’est sans nul doute dans le champ de l’écologie que semble s’imposer avec le sceau de l’évidence le sentiment que les sciences de la nature nous livreraient en tant que telles des enseignements applicables dans l’ordre de l’éthique et de la politique. Problème philosophique classique –comment passer de la théorie à la pratique?- mais qui retrouve, sous des formes nouvelles, une actualité qui mérite réellement réflexion. Car le danger est toujours grand, lorsqu’on prétend trouver des modèles de conduite «naturels» donc «objectifs», et décider more geometrico où se situent le bien et le mal, de voir ressurgir de nouveaux dogmatismes.
L’argument développé dès le XVII° siècle par le philosophe écossais David Hume est pourtant bien connu: de la simple considération de ce qui est, il est impossible d’inférer ce qui doit être. En clair, une théorie scientifique peut bien nous décrire aussi adéquatement que possible la réalité, et anticiper de façon aussi plausible qu’on voudra sur les conséquences éventuelles de nos actions, nous ne pourrons pour autant rien en tirer directement pour la pratique. Même si les services de médecine ont déterminé de façon tout à fait convaincante que la consommation de tabac était toujours nuisible pour notre santé, il convient d’ajouter un maillon intermédiaire pour en tirer une quelconque conclusion éthique: il faut en effet que nous fassions au préalable de notre bonne condition physique une valeur, pour que les résultats du travail scientifique prennent la forme d’un «il ne faut pas!». C’est donc toujours la subjectivité (un «je» ou un «nous») qui décice en dernière instance de valoriser ou de dévaloriser telle ou telle attitude. Faute d’une décision, les impératifs qu’on prétend tirer des sciences demeurent toujours «hypothétiques», puisqu’ils ne peuvent dépasser le cadre d’une formulation du type: «Si tu ne veux pas porter atteinte à ta santé, alors cesse de fumer.». Mais après tout, il reste possible, du moins dans ce genre de situation touchant le bien-être individuel, d’avoir d’autres valeurs que celles de la conservation de soi, de préférer par exemple une vie courte, mais bonne, à une existence longue et ennuyeuse.
Si l’argument de Hume fait foi, force est de convenir que la morale ne saurait, en tant que telle, être une affaire d’experts. Certes, les savants peuvent avoir un rôle à jouer dans la détermination de nos choix, lorsqu’il importe de prendre en compte les conséquences de nos actes et que celles-ci sont difficilement prévisibles.(…) La limite entre l’ignorance admissible et celle que l’on jugera coupable est difficile à fixer: de là les efforts de la philosophie contemporaine pour reformuler les termes d’une éthique de la responsabilité. Il n’en reste pas moins que, une fois admise et située l’importance de son intervention, ce n’est pas l’expert en tant que tel qui détermine le choix des valeurs. Voilà une leçon qu’on aurait intérêt à ne pas oublier: car de Lénine à Hitler, la prétention à fonder la pratique dans l’objectivité d’une science de la nature ou de l’histoire s’est toujours soldée par des catastrophes humaines.
(…)Le danger d’une prétendue fondation de l’éthique sur la science resurgit: partant de l’idée qu’il existe en principe une nature humaine «saine et identique» en chaque individu, nous sommes de proche en proche conduits à identifier toute pratique supposée déviante à une attitude pathologique. A la limite, le mal se confond avec l’anormalité: il faut être fou pour fumer, pour ne pas aimer la nature comme il convient, etc. –ce pour quoi Callicott n’hésite pas à dire qu’il «faudrait prescrire le recours à un conseiller psychologique» à celui qui nierait la validité du syllogisme écologiste, renouant ainsi, sans doute involontairement, avec un des pires aspects du projet marxien d’une déduction de l’éthique à partir de la science.
Etrange type idéal: cohérent, mais difficile, voire impossible, à classer tant le brun et le rouge ne cessent de s’y mêler –l’amour du terroir, la nostalgie de la pureté perdue, la haine du cosmopolitisme, du déracinement moderne, de l’universalisme et des droits de l’homme d’un côté ; mais de l’autre, le rêve autogestionnaire, le mythe de la croissance zéro (ou, comme on dit maintenant, «tenable»), la lutte contre le capitalisme, pour les pouvoir locaux, les référendums d’initiative populaire, contre le racisme, le néo-colonialisme, pour el droit à la différence… Le point commun entre ces thèmes, en apparence éclatés, parfois à la limite de l’inconciliable, ne manque pourtant pas de profondeur. Dès qu’on en saisit le principe, le type idéal retrouve la cohérence (sinon la vérité, ce qui est une autre affaire) que nous aurions pu être enclins à lui refuser: c’est que dans tous les cas de figure, l’écologiste profond est guidé par la haine de la modernité, l’hostilité au temps présent. Comme l’écrit Bill Devall, dans un passage qui trahit, en négatif, le fond de sa pensée: la civilisation moderne est celle dans laquelle «le nouveau est valorisé davantage que les générations futures». L’idéal de l’écologie profonde serait un monde où les époques perdues et les horizons lointains auraient la préséance sur le présent. Nul hasard, dès lors, si elle ne cesse d’hésiter entre les motifs romantiques de la révolution conservatrice, et ceux, «progressistes», de la révolution anticapitaliste. Dans les deux cas, c’est la même hantise d’en finir avec l’humanisme qui s’affirme de façon parfois névrotique, au point que l’on peut dire de l’écologie profonde qu’elle plonge certaines de ses racines dans le nazisme et pousse ses branches jusque dans les sphères les plus extrêmes du gauchisme culturel.(...)
(…)La deep ecology, malgré ses effets séducteurs, malgré l’attrait médiatique exercé par des organisations radicales telles que Greenpeace, n’en est pas moins marginale par rapport à l’engouement dont bénéficie aujourd’hui, dans tous les pays industrialisés, le souci de l’environnement. Pour l’essentiel, l’amour de la nature me semble être composé de passions démocratiques, partagées par l’immense majorité des individus qui souhaitent éviter une dégradation de leur qualité de vie ; mais ces passions se trouvent sans cesse récupérées par les deux versants extrémistes, néo-conservateur ou néo-progressiste, de l’écologie profonde. C’est là une des fonctions des partis Verts, dans leur combat contre le réformisme. On aurait donc tort de dénoncer l’écologie en général comme «pétainiste» ou «gauchiste»: ce serait passer à côté du phénomène majeur, manquer le sens de la lame de fond qui s’empare aujourd’hui des sociétés démocratiques, et qui n’est pas nécessairement liée à la renaissance des nostalgies romantiques ou des messiaismes utopiques».
Luc Ferry in Le nouvel Ordre écologique. L’arbre, l’animal et l’homme (Grasset, 1992).
En ce début de week end Pascal, profitant du beau temps et d’un accueillant transat, j’ai relu Le nouvel Ordre écologique. L’arbre, l’animal et l’homme, l’essai de Luc Ferry édité chez Grasset en 1992 (réédité en Poche essais).
«Dans ce climat religieux, cette atmosphère d’inquisition» pour reprendre les mots de Serge Galam dans son article «Des scientifiques demandent une «police» de la science» (Causeur, 3 avril 2010), je m’aperçois que ce texte avait tout simplement vingt ans d’avance. Un livre couronné du Prix Médicis de l’essai que tout le monde ou presque semble avoir oublié (moi y compris, mea culpa…) en dépit de l’hypermédiatisation à laquelle il avait eu droit à l’époque.
Dans son livre, Luc Ferry s’attache à défendre l’humanisme contre le naturalisme mais, en aucun cas, il ne plaide contre l’écologie (ça, c’est la thèse de ses détracteurs); il réclame une écologie respectueuse de la démocratie. Et, sans cautionner en bloc le discours de Luc Ferry, certains mots résonnent en écho au combat mené par les climato-sceptiques d’aujourd’hui (scientifiques ou simples citoyens, dont beaucoup sont écologistes) contre une «éco-religion punitive» non seulement dangereuse mais contre nature…
La France, notamment, s'enfonce dans le sectarisme et la haine de l'autre dans le débat politique et "climatique". Depuis que le monde -avec la chute du Mur- a perdu ses repères (comprendre: un ennemi bien identifié) en même temps que ses illusions, il a fallu trouver d'autres combats. Et si un combat en remplace un autre, quand les extrêmes s'affrontent, ce sont toujours les mêmes forces qui s'opposent en vérité: d'un côté l'anti-occidentalisme par des nantis au ventre plein, chantres de la décroissance économique et de l'anti-capitalisme prônant le fondamentalisme écologique et, de l'autre, la démocratie, la liberté, l'écologie responsable et l'humanisme.
Docteur en sciences politiques, membre du Comité consultatif national d’éthique depuis 2009, Luc Ferry est philosophe et ancien ministre français de l’Education nationale (gouvernement Raffarin de 2002 à 2004). Il a publié une trentaine de livres, dont: Familles je vous aime! (XO éditions, 2007), L’homme-Dieu ou le sens de la vie? (Grasset, 1996. Prix littéraire des Droits de l’Homme), Qu’est-ce qu’une vie réussie? (Grasset, 2002) ou Combattre l’illettrisme (Odile Jacob, 2009), etc.
Auteur: Véronique Anger, samedi 3 avril 2010
À sa sortie en librairie, j'avais beaucoup apprécié le livre de M. Luc Ferry. Entre autre, lorsqu'il aborde les lois nazis dites de "Protection de la Nature et de la Faune sauvage allemande" (Die Reichstiergesetz, il me semble… mais je peux me tromper: mon allemand scolaire est très loin…)
L'histoire nous a enseigné que cette louable intention ne les avait pas retenu dans leur entreprise d'extermination des êtres humains - les juifs en particulier. Écologisme, mot employé par M. Ferry, était nouveau pour moi. Je l'ai tout de suite compris comme dépourvu de la moindre valeur éthique.
Pour répondre à une question de mon fils, alors en seconde de lycée, je lui avais expliqué la différence entre "écologie" (une branche de la science) et écologisme" (une idéologie parmi d'autres).
En classe, donnant son point de vue et mentionnant cette distinction, le professeur lui avait "claqué le bec" en lui assénant, sévèrement: "L'écologisme, ça n'existe pas!"
Déjà, à cette époque (voire même avant), une sorte d'enseignement "idéologisée" de cette matière se mettait en place.
Excellente anecdote!
Quand j'étais enfant, mes parents m'apprenaient à éteindre la lumière en sortant d'une pièce, à ne pas jeter mes papiers de bonbons par terre ou à ne pas laisser couler l'eau du robinet pour rien, à ne pas acheter n'importe quoi etc, etc. On n'appelait pas cela écologie en effet, on appelait cela du civisme et le respect d'autrui et de la nature... L'écologisme est le "bon" mot en effet, et il s'est produit le même sabotage de vocabulaire entre écologie et écologisme qu'entre égalité et égalitarisme... Merci pour cette contribution très intéressante.
Dans cet ouvrage de 1992, Luc Ferry dénonce une certaine forme d’écologie, l’écologie profonde américaine...
Article de Philo-Lyon (Académie de Lyon)
Les penseurs relevant de l'écologie profonde défendent l’existence de droits des animaux et même de tous les éléments de la nature. Ils luttent contre ce qu’ils considèrent comme de l’anthropocentrisme (une conception du monde centrée sur l’être humain). Ils détestent Descartes, compris comme celui qui distingue radicalement l’homme, conscient et libre, de l’animal, machine soumise à l’instinct. Ils appellent à une révolution écologique: Il faudrait en finir avec le capitalisme libéral pour sauver le monde.
Ferry cherche à montrer comment cette écologie-là conduit finalement à une haine de l’homme et à un rejet de la démocratie: seul un régime autoritaire pourrait imposer aux hommes, êtres malfaisants et destructeurs les mesures nécessaires à la sauvegarde de la nature. L’auteur défend, quant à lui, une écologie environnementaliste qui reconnaît des devoirs de l’homme envers la nature et prône des changements progressifs dans le cadre de la démocratie libérale respectueuse des droits de l’homme.
L’un des intérêts de l’ouvrage est de nous rappeler que les animaux avaient des droits au moyen âge, qu’ils gagnaient même des procès contre des paysans, et de nous présenter la législation nazie sur la nature: une législation très protectrice de la nature sauvage. L’auteur ne veut pas dire que les tenants de l’écologie profonde sont des superstitieux ou des fascistes, mais ce ne serait pas un hasard non plus si les thèses d’une écologie radicale centrée sur la nature et anti-libérale rejoignent, sur certains points, celles du nazisme.
Ferry cherche davantage à montrer les dangers de l’écologie profonde qu’à défendre l’écologie environnementaliste. Ses thèses mériteraient d’être précisées. Reste qu’il pose une question essentielle: Ne serait-il pas possible de refuser à la fois le capitalisme «sauvage» et l’écologisme «profond» afin de permettre à l’humanité de se réconcilier avec la nature sans renoncer à elle-même? L’ouvrage a le mérite de montrer l’importance des enjeux philosophiques et politiques du problème écologique.
Auteur: Benoît Urgelli
Source: Institut Français de l'Education du 31 octobre 2009
Le livre de Luc Ferry "Le nouvel ordre écologique" sert de base au débat qui réunit, outre l'auteur, Alain Lipietz, responsable "vert" et Patrice Miran, conseiller régional PACA. Ferry définit les deux conceptions qu'il distingue dans l'écologie, plaide pour une écologie réformiste et redoute l'intégrisme de certains écologistes. Lipietz ne reconnait pas cette distinction au sein du mouvement écologiste en France et prône une écologie politique qui assumerait la responsabilité des générations futures. Après un extrait d'un document du cinéaste soviétique Vladimir Tcerchenko sur la centrale nucléaire de Tchernobyl (premières images tournées après la catastrophe), Patrice Miran livre une anecdote sur la région de Tchernobyl et évoque la catastrophe de Vaison la Romaine.