"Aujourd’hui, le principe de la compensation écologique rencontre deux écueils. Le premier est d’envisager la compensation comme la solution technique qui va permettre de concilier enjeux de développement et enjeux de conservation de la biodiversité. Il s’agit là d’une vision «naïve» du mécanisme car, en pratique, l’efficacité des mesures compensatoires reste aujourd’hui très discutable dans la plupart des pays et la compensation ne résout évidemment pas les tensions de fond qui existent entre notre modèle de développement et la préservation de la biodiversité. Le second écueil est de considérer la compensation comme un simple droit à détruire auquel il faudrait systématiquement s’opposer par principe" - Harold Levrel (1)
Biodiv'2050 - Mission économie de la biodiversité
Tribune - La compensation écologique: risques, opportunités et apport de l'ingénérie écologique. Le point de vue de deux scientifiques. p.4
Comprendre - Etat des lieux de la compensation écologique à l'international: diversité du mécanisme et de sa mise en oeuvre. p. 8
Inventer - La prise en compte du temps dans le dimensionnement des mesures compensatoires: enjeux et perspectives. p. 13
International - p. 15
Initiatives - p. 18
Ci-dessous quelques extraits du rapport Biodiv'2050 - Mission économie de la biodiversité
La compensation écologique est parfois considérée comme une marchandisation de la nature. Cependant, il convient de préciser que ce n’est pas l’écosystème qui est acheté et vendu, mais sa restauration ou réhabilitation. Harold Levrel nous donne son point de vue sur le système des banques de compensation aux Etats-Unis.
"Le marché des banques de compensation est très éloigné du marché du carbone. il s’agit en fait d’une forme hybride croisant certaines caractéristiques marchandes (existence d’une offre et d’une demande, de prix, d’échanges) et d’autres de nature réglementaire, comme par exemple la limitation de la taille des marchés à des zones hydrographiques précises ou l’obligation de créer un fonds garantissant la gestion à long-terme du site. Le fait que l’Etat suspecte (à juste raison) les propriétaires de banque de compensation de vouloir, avant tout, faire du profit à partir des actions de restauration a conduit à mettre en place une régulation très stricte. Cela a eu pour conséquence de limiter les zones d’incertitude dans le système et d’accroître les interactions entre le régulateur et les propriétaires des banques de compensation, ce qui a réduit la possibilité de comportements opportunistes. Or, le système de permis individuel standard, qui s’inscrit finalement tout autant dans un contexte «marchand», n’est pas autant régulé et laisse ainsi la place à beaucoup de comportements opportunistes.
"Un autre constat est que l’on ne peut pas parler d’une privatisation du vivant à partir des banques de compensation et cela pour plusieurs raisons. la première est que les terres sur lesquelles ont lieu les impacts et les compensations sont la plupart du temps déjà privées. la seconde est que la mise en place d’une banque de compensation oblige à créer une servitude environnementale sur la zone foncière qui a été acquise, ce qui supprime la grande majorité des droits d’usage sur la parcelle de manière définitive. En résumé, on remet dans le domaine public une partie des droits privés associés à la propriété. D’un «bien privé», la plupart des parcelles compensées passent au statut de «bien club» voire même de «bien public» pour certaines catégories de services, et non pas l’inverse".
Dix-huit ans après l’adoption de la Convention sur la diversité biologique, les 193 Parties adoptent en 2010 un Plan Stratégique pour la biodiversité qui comprend les Objectifs d’Aichi 2011-2020.
Afin de financer ce Plan Stratégique, de nombreux pays souhaitent faire contribuer les principaux moteurs de la perte de la biodiversité: en première ligne, les activités industrielles et les projets d’aménagement, y compris l’expansion urbaine et agricole, particulièrement impactants pour les milieux naturels. La compensation écologique a ainsi été identifiée comme l’un des principaux outils pour enrayer la perte de biodiversité d’ici 2020. Déclinaison du principe pollueur-payeur pour la biodiversité, elle est apparue aux Etats Unis, en Allemagne et en France en 1976 et s’est développée dans de nombreux pays depuis ces vingt dernières années.
Elle a pris diverses formes selon les pays et les états considérés, en accord avec leurs réglementations respectives.
Si l’on considère l’ensemble des formes de compensation des atteintes à la biodiversité, la compensation écologique est, à ce jour, mise en œuvre dans 70 pays
Le terme de «compensation» ne fait pas l’unanimité. Certains pays comme la suisse, l’Etat d’Alberta au Canada ou l’Afrique du Sud préfèrent parler de «remplacement» ou de «remédiation» (1, 7). De son côté, le Paraguay utilise le terme «paiements pour services environnementaux» (qui découle du principe bénéficiaire-payeur) pour des financements correspondant au système de compensation (qui découle du principe pollueur-payeur). en chine, l’«éco-compensation» associe d’ailleurs ces deux concepts en se basant sur un principe pollueur-bénéficiaire-payeur
Les ONG et les associations de protection de l’environnement ont un rôle primordial dans le contrôle du bon respect des obligations de compensation, en particulier en Suisse, aux Pays-Bas, en inde ou encore au brésil (1). Dans la pratique, la mise en œuvre par les pouvoirs publics des obligations de compensation inscrites dans la réglementation a souvent été obtenue par les ONG ou les associations environnementalistes. Dans les pays en développement où le respect de la séquence ERC n’est pas requis, la pression qu’elles exercent sur les entreprises peut parfois les pousser à mettre en œuvre une compensation volontaire.
A terme, ces compensations volontaires peuvent être la base d’une réglementation nationale sur la gestion des impacts environnementaux des projets.
Dès lors qu’un projet d’aménagement a fait l’objet de mesures d’évitement et de réduction de ses impacts sur la biodiversité, arrive alors l’étape de dimensionnement des mesures compensatoires. Pour atteindre l’objectif: pas de perte nette de biodiversité, suite aux impacts d’un projet, le dimensionnement doit impérativement être étudié sur plusieurs axes: composantes de la biodiversité, spatialisation de l’impact, mais aussi temporalité de cet impact. En effet, la durée de l’engagement du porteur de projet est dépendante de la durée des impacts sur la biodiversité causés par son projet.
Si elle paraît simple de prime abord, la prise en compte du temps dans ce dimensionnement est une étape cruciale pouvant être à la fois une opportunité forte pour la compensation et une source de risques importants.
…//….
Les mesures compensatoires peuvent, pour des raisons écologiques, devoir être menées sur plusieurs dizaines d’années. La mise en œuvre effective des mesures compensatoires est
parfois externalisée, ce qui nécessite de prévoir et d’objectiver, dès leur initiation, les opérations écologiques à mettre en œuvre, leur planification, et leur coût. Or, prévoir
des mesures compensatoires sur un temps long introduit des incertitudes qui surenchérissent leur coût de mise en œuvre.
Parmi ces incertitudes, on peut en citer quatre majeures.
La méthode de sécurisation foncière des terrains sur lesquels les mesures compensatoires sont mises en œuvre. Pour cela, deux méthodes sont utilisées: l’acquisition foncière, qui
implique des dépenses importantes, et le conventionnement avec les propriétaires. Le renouvellement de ces conventions est un facteur de risque non négligeable: l’un des
contractants peut décider de mettre un terme à son engagement.
Dans ce cas, les conséquences financières potentielles sont multiples: relancer des recherches foncières, élaborer de nouveaux plans de gestion (lourds en temps humain) ou encore le renchérissement potentiel des conditions financières de la convention.
Les mesures compensatoires prennent parfois la forme d’indemnités agricoles liées à des changements de pratiques. Certaines indemnités agricoles présentent peu de risque sur le long terme, comme le passage de pratiques intensives à des pratiques moyennement intensives sur l’exploitation d’une prairie. Cependant, certaines indemnités agricoles peuvent représenter des risques financiers élevés lorsqu’elles sont tributaires des cours internationaux de matières premières, comme les céréales. Par exemple, la transformation des cultures de maïs en prairies donne lieu à des indemnités financières liées au prix du maïs sur les marchés. Or, il est complexe de prévoir le coût du maïs dans 50 ans, puisqu’il est fonction, par exemple, de l’augmentation de la population mondiale, du coût du pétrole et des engrais.
Même si le lien entre le prix du pétrole et le coût de mise en œuvre d’une mesure compensatoire ne semble pas évident, c’est un risque significatif.
En effet, les opérations de restauration écologique demandent souvent l’utilisation d’engins consommateurs de pétrole. Le coût de leur utilisation est donc corrélé à son prix. De
même, le suivi des mesures et de leur efficacité nécessite évidemment des déplacements entre les sites concernés. Là encore, le coût de ces déplacements est directement relié au
prix du pétrole.
L’évolution des salaires. Toutes les activités de reporting, contrôle, suivi de chantier… sont menées par des salariés. L’évolution des coûts salariaux sur le long terme est
difficile à prévoir, mais est donc une variable primordiale.
En résumé, même si les coûts de gestion sont plus faibles que les coûts des travaux écologiques initiaux, le cumul sur plusieurs années de ces opérations de gestion, l’éventuelle
réévaluation de leur coût chaque année ainsi que l’inflation de ces coûts, conduisent à ce que leur somme sur le long terme devienne élevée.
La prise en compte de ces incertitudes n’est pas uniquement une question de coût pour les maîtres d’ouvrage ou de risque pour un éventuel opérateur de compensation. Tout risque
financier non anticipé peut remettre en cause la faisabilité des mesures compensatoires et avoir des conséquences écologiques importantes.
Par conséquent, il est primordial d’étudier les moyens de limiter ces risques dès la définition des mesures compensatoires. Pour cela, il est notamment possible de convertir les
actions de long terme en actions plus importantes sur le court terme.
A l’heure actuelle en France, peu de maîtres d’ouvrage ou d’opérateurs de compensation ont mis en place les mécanismes et les garanties nécessaires pour prendre en compte les risques financiers liés au temps. C’est donc un problème potentiel important pour l’efficacité de la compensation écologique sur le long terme, et ce sujet, bien que non directement naturaliste, devrait être étudié par les acteurs de la compensation écologique en France.
(1) Harold Levrel, chercheur à l’IFREMER, économiste de l’environnement au sein de l’UMR AMURE (IFREMER - Université de Bretagne occidentale), partage avec nous sa vision de la compensation écologique. Ses travaux de recherche concernent les indicateurs d’interactions société-nature, l’évaluation des services écosystémiques, les mesures compensatoires et les usages récréatifs de la biodiversité.