Dans le monde de l’écologie, la nomination de Robert Lion comme président de Greenpeace-France ne semble pas faire l’unanimité. Fabrice Nicolino, ex-journaliste de Politis et habitué des coulisses de la nébuleuse verte, s’interroge ainsi sur la pertinence de placer à la tête des «guerriers verts» cet ancien énarque. Il est vrai que la carrière de cet homme de soixante-quatorze ans, jadis chef de cabinet de Pierre Mauroy et directeur pendant dix ans de la très puissante Caisse des dépôts et consignations (CDD), tranche avec celle de Katia Kanas, qui l’a précédé chez Greenpeace. Alors qu’en 1977, M. Lion côtoyait déjà les allées du pouvoir, la jeune Katia, à peine âgée de quinze ans, participait aux campagnes contre la chasse à la baleine et contre l’énergie nucléaire. C’est dire qu’elle ne risquait pas de rencontrer Robert Lion, alors administrateur de la Banque européenne d’investissements, de la Compagnie internationale des Wagons-lits, du Club Méditerranée, d’Air France, d’Havas ou encore d’Eurotunnel!
Libéré de ses obligations à la CDD en 1992, l’ancien énarque s’est recyclé dans le business de l’environnement. Profitant de la Conférence de Rio, il a lancé Energy 21, une «ONG» qui défendait la même position qu’EDF lors de la conférence de Kyoto sur le climat, en 1997. «Des entreprises anticipent l’inéluctable succès des défenseurs du climat – à Kyoto et au long des décennies qui viennent. Ce succès leur ouvrira des marchés: nouvelles générations d’automobiles et d’appareils domestiques, nouvelles technologies énergétiques, produits et process industriels moins énergivores. Le champion mondial de ces attitudes intelligentes pourrait bien être... Shell, ou Toyota, ou Dupont de Nemours», écrivait alors Robert Lion [1]. Depuis, ce dernier s’est beaucoup investi dans l’association Agrisud International «et donne des conseils à tous ceux qui le souhaitent», comme le relate Fabrice Nicolino.
La dernière action de Robert Lion au sein d’Agrisud a été d’établir un partenariat avec le groupe boursier NYSE Euronext pour la création du «Low Carbon 100 Europe». Cet «indice vert» est destiné à coter un produit financier basé sur les émissions de carbone de cent entreprises sélectionnées par Agrisud, le WWF et l’association GoodPlanet de Yann-Arthus Bertrand. Adossé à cet indice, un fonds d’actions géré par BNP Asset Management donne aux particuliers comme aux professionnels la possibilité d’investir dans ces sociétés. Comme l’assure sans complexe le nouveau patron de Greenpeace au Figaro, «investir dans un paquet à travers ce fonds d’entreprises qui sont à la fois surperformantes par rapport aux indices moyens, et d’autre part qui contribuent à réduire les dégâts que nous faisons en général sur la planète, c’est un bon placement!» Et puis, «on a sa conscience avec soi», ajoute-t-il. On pourrait donc s’attendre à retrouver dans cet indice des entreprises comme France Eoliennes, une petite start-up spécialisée dans l’énergie verte, ou Odersun, une société allemande saluée comme l’entreprise verte la plus porteuse d’avenir par le jury 2008 de «Clean Tech 100». Curieusement, les heureux élus se nomment Royal Dutch Shell, Nestlé, Carrefour ou encore Bayer, pour n’en citer que quelques-uns. Même le géant du luxe et de la consommation PPR figure dans l’indice soutenu par le WWF et Goodplanet. N’y aurait-il pas un lien entre le financement du prochain film de Yann-Arthus Bertrand par Jean-François Pinault et la présence de son holding dans l’indice? La question mérite d’autant plus d’être posée que PPR n’est pas le seul partenaire financier de Yann-Arthus Bertrand à y figurer: Air France est aussi dans ce cas. Par ailleurs, on peut s’interroger sur la présence du deuxième plus grand cigarettier du monde, British American Tobacco (BAT), dans le «Low Carbon 100 Europe». A moins que ce choix ne s’explique par la participation de Richemont, un holding financier dirigé par le fils du richissime homme d’affaires sud-africain Anton Rupert (membre pendant plus de vingt ans du comité exécutif du WWF International), dans le capital de BAT. Johann Rupert, propriétaire d’une vaste étendue de terres transformée en réserve naturelle, serait d’autant moins mécontent de la bonne tenue de la cote de BAT qu’il a fait connaître le 19 novembre dernier son intention de vendre les 19,3% du capital qu’il possède encore...
On comprend les suspicions de Fabrice Nicolino concernant la «reconversion verte» de l’ancien directeur de la Caisse des dépôts et consignations, visiblement toujours sensible aux sirènes de l’économie financière. A moins que Greenpeace ne se lance désormais ouvertement dans le greenwashing et qu’elle n’ait besoin de l’expérience d’un fin connaisseur du monde de l’entreprise? Une hypothèse pas si farfelue, à en croire Pascal Husting, directeur général de Greenpeace France, qui déclare que «face à l’ampleur et à l’urgence des défis environnementaux auxquels nous faisons face, l’expérience de Robert Lion, sa grande connaissance des institutions et des entreprises et son choix de servir une cause militante seront d’une grande valeur ajoutée dans le combat de Greenpeace pour trouver des réponses à la crise écologique». «Dieu du ciel, quel ton entrepreneurial! Une grande valeur ajoutée. On croirait un communiqué de Nestlé. Ou de Nissan», lui rétorque Fabrice Nicolino. Le journaliste ne croit pas si bien dire. L’arrivée en 2005 de Pascal Husting à Greenpeace-France a créé un remue-ménage digne des pires fusions d’entreprises, à tel point que cent quarante militants de la direction parisienne et des trente-huit antennes régionales ont signé une pétition commune dénonçant les «comportements inacceptables des directeurs». Le texte faisait état «de mépris et d’humiliations subies en public, de non respect des protocoles d’action, d’inconstance et d’entêtement irraisonnés dans la prise de décision, d’absence de solidarité avec les activistes ou militants, d’incompétence professionnelle, de non respect des valeurs morales de l’association, de favoritisme avéré envers certains salariés ou collaborateurs, et de mensonges» [3] . Rien que cela! Pascal Husting avait alors tenté de minimiser le conflit en prétextant «un manque de communication» [4]. Il est vrai que cet ancien «golden boy» du géant de l’audit et du conseil d’entreprises Grant Thornton n’était pas vraiment formé pour comprendre les pratiques du monde associatif.
Si Greenpeace n’hésite pas à recruter des personnalités du big business, de nombreux «anciens» de l’association verte se reconvertissent inversement dans les affaires. Ainsi, Paul Gilding, ancien directeur de Greenpeace International, a fondé Ecos, un cabinet de conseil qui compte parmi ses clients Du Pont, Placer Dome Mining, BP Australia et... Monsanto! Blair Palese, lui, «[a quitté] Greenpeace pour prendre la direction du service de relations publiques de Body Shop International, une société de cosmétiques», rappelle le journaliste-chroniqueur Pierre Kohler. Les dirigeants français de Greenpeace ne sont pas en reste. Après un passage comme consultant de Ségolène Royal, Bruno Rebelle a créé Bruno Rebelle Conseil. «Je valorise mon expérience et mes réseaux en aidant des collectivités locales et des entreprises sur leur stratégie de développement durable», explique l’ancien salarié de Greenpeace [5]. Parmi les clients actuels de la jeune entreprise figurent déjà Veolia Environnement, Carrefour et MacDonald’s. La liste pourrait s’allonger rapidement, puisque Bruno Rebelle n’hésite pas à offrir ses services à d’anciennes cibles de Greenpeace. «Bruno Rebelle nous a effectivement contactés pour nous proposer d’améliorer notre communication», admet en privé un dirigeant français de Syngenta, qui affirme toutefois avoir décliné l’offre. Ce qui n’empêche pas le chimiste suisse de figurer dans le nouvel indice «Low Carbon»...
[1] Kyoto: regards rapides sur quelques affrontements, Transversales, N°48, 1997.
[3] Confidences d’un ancien responsable de Greenpeace France, cité dans Greenpeace, le vrai visage des guerriers verts, Pierre Kohler, Presses de la Cité, février 2008.
[4] Le Canard Enchaîné, 27 septembre 2006.
[5] Lyoncapital.fr, Entretien avec Raphaël Ruffier-Fossoul, 5 octobre 2007.
Auteur: Gil Rivière-Wekstein
Source: Agriculture et Environnement du 19 décembre 2008
Version imprimable (pdf)