Cet article de Marlène Dègremont, Doctorante en anthropologie, EHESS (Centre Norbert Elias) et Estenne Rodary, Chargé de recherches HDR à l’IRD (UMR GRED), entend questionner la stratégie de création d’aires marines protégées dans le cadre d’une «maritimisation» de la société et d’un processus général d’appropriation des espaces et des ressources océaniques. Une telle stratégie est à rapprocher de ce qui se passe sur le continent depuis plusieurs années. Où sont les prétendus défenseur de la nature dans ce processus d'appropriation des espaces?
"La conservation de la nature est généralement considérée comme une activité destinée à limiter ou réduire les atteintes portées à la biodiversité. Comme cela avait été le cas lors
de l’expansion coloniale, le nouveau rush pour les ressources océaniques a ainsi été accompagné d’un nouvel effort de protection de la nature, notamment matérialisé par la création
de grandes aires marines protégées. De la même manière que l’extraction minière et pétrolière est désormais majoritairement effectuée en mer, les politiques de conservation sont
aujourd’hui principalement tournées vers les espaces marins, un mouvement dual enclenché il y a moins de dix ans. Le Paciique est la région la plus touchée par le très récent
engouement pour les très grandes aires marines protégées. Il est également central dans le redéploiement des industries extractives en milieu marin.
"Cet article entend questionner la stratégie de création d’aires marines protégées dans le cadre d’une «maritimisation» de la société 1 et d’un processus général
d’appropriation des espaces et des ressources océaniques . L’analyse se place à deux niveaux. D’une part, dans une comparaison historique avec la diffusion des aires protégées en
milieux terrestres. Cette histoire, désormais bien connue, a montré les limites de politiques de conservation de la nature centrées sur les aires protégées. Celles-ci ont été
incapables de répondre aux enjeux de transformation des écosystèmes à l’échelle globale, comme le prouve l’érosion de la biodiversité qui persiste aujourd’hui malgré plus d’un
siècle de politiques de conservation.
"D’autre part, les espaces marins imposent de nouvelles contraintes en termes de gestion des aires protégées, articulées autour des enjeux liés à la très forte connectivité
(écologique et humaine) et aux dificultés de contrôle de ces espaces de très grande taille.
"La question de l’articulation des aires protégées avec leur environnement immédiat, régional voire global se pose aujourd’hui avec d’autant plus d’acuité que le monde
conservationniste est en train de se tourner vers le monde marin. La «maritimisation» de la conservation constitue un moment particulièrement propice de rélexion sur les
politiques de protection de la nature parce qu’elle est récente et qu’elle peut bénéicier à ce titre d’une comparaison avec la conservation des milieux terrestres pour laquelle
nous disposons aujourd’hui d’un véritable recul historique. En ce sens, elle informe sur les orientations et les normes qui sont véhiculées par la conservation. Notre hypothèse
est que la conservation de la nature, même si elle s’oppose formellement aux logiques étatiques ou capitalistiques de destruction de la nature, partage avec ces dernières une
dimension territoriale, au sens restreint d’un enclavement contrôlé, qui peut s’avérer extrêmement dificile à mettre en œuvre dans les milieux océaniques, du moins dans l’optique
restreinte d’une eficacité concernant les objectifs afichés de la conservation.
"L’Océanie occupe dans ces dynamiques récentes une place centrale, parce qu’elle est devenue en quelques années le «hotspot» des politiques de conservation alors qu’elle était
marginale quelques années auparavant. Elle est aussi particulièrement intéressante parce que face à ces logiques et ces normes étatiques, capitalistiques et conservationnistes, elle
représente un espace social et géographique réticulaire par lequel peuvent s’envisager d’autres formes de prise en compte des impératifs environnementaux."
Lire l'article complet (pdf)