Les problèmes liés à la protection de la montagne ne sont pas uniquement français. L'Espagne comme la Suisse sont également victimes de la "massification" des pratiques et de la publicité, parfois irresponsable, des offices de tourisme et autres acteurs des loisirs en milieu naturel. Le Journal du Jura (Suisse) nous autorise à publier cet excellent éditorial de David Gaffino qui devrait nous amener à nous interroger sur les modes de promotion des activités de nature. Les Pyrénées n'échappent pas à cette problématique dont les professionnels, clubs, associations et surtout institutionnels devraient tenir compte.
Ah, les joies du ski en peaux de phoques et des raquettes, l'ivresse des grands espaces blancs! A la recherche d'air pur, de défoulement hebdomadaire ou d'un retour à la nature, les randonneurs prennent d'assaut les pentes enneigées du Jura bernois, encouragés par les offices du tourisme de la région. Avec un peu de chance, le promeneur croisera même le chemin d'un chevreuil, d'une marmotte encore somnolente voire d'un lynx!
Les gardes-faune de la région dressent un constat nettement moins idyllique. Chaque jour ou presque, ils ramassent des animaux morts au coeur des forêts ou le long des routes. Comme si le gel, la faim et les prédateurs ne suffisaient pas, les bêtes sauvages sont traquées par les randonneurs et leurs chiens, effrayées par les VTT qui dévalent les sentiers ou, pire, terrorisées par le passage fracassant des motoneiges. L'association Mountain Wilderness a lancé un cri d'alarme en manifestant dimanche contre ces monstres rugissants, dont l'utilisation récréative est parfaitement illégale en Suisse. Le relief jurassien est réputé parmi les amateurs de ce sport, qui franchissent la frontière pour vrombir sur la poudreuse helvétique et narguer au passage des gardes-faune impuissants.
Pro Natura s'inquiète des raquettes, ces semelles de plastique d'apparence bien inoffensive. L'organisation écologique a découvert des guides touristiques qui dirigent les randonneurs tout droit dans des réserves naturelles. Si le touriste y trouve son compte en matière d'observation du gibier, ce dernier n'a plus qu'à plier bagage devant l'afflux des sportifs et à se réfugier toujours plus loin, toujours plus haut, là où l'herbe est rare.
Il ne s'agit pas de jeter la pierre à tous ceux qui parcourent la montagne à pied, à skis ou à vélo, mais seulement de rappeler que derrière ces fourrés enneigés se terrent des
animaux affaiblis par l'hiver, qui luttent pour leur survie.
En restant sur les sentiers et en faisant preuve d'un minimum de respect et de bon sens, on peut admirer, sans les détruire, les trésors de la nature. Faute de quoi il ne restera
plus à nos descendants que de mornes excursions dans le silence obsédant de montagnes désertes.
Auteur: David Gaffino
Source: Le Journal du Jura (Suisse) du 14 février 2006