Que ce soit dans le Parc National des Abruzzes ou ailleurs, les mouvements écologistes, en accord avec leurs engagement idéologiques de 1997 en matière d’ensauvagement des territoires, tentent d’expliquer que les grands prédateurs ours et loups sont sources de développement économique et social. Le reportage ci-dessous de Libé n’est pas sans poser de nombreuses questions.
Nous constatons que les défenseurs du loup en Italie ont le même discours que les écologistes français quant à l’ours dans les Pyrénées. Le grand prédateur serait la solution d’avenir face à la disparition de l’élevage. Ils partent du principe que, depuis 1950, l’élevage, le pastoralisme de montagne, la ruralité est en cours de disparition. Mais personne ne se pose la question de savoir pourquoi? Personne ne s’interroge d’autant qu'à partir de 1968, c’est l’application d’une politique européenne de l'agriculture appelée "Plan Mansholt". La désertification rurale était un fait acquis sur lequel personne ne reviendra. Il faut donc chercher des solutions pour ne pas abandonner totalement les territoires.
En France, notamment dans les Pyrénées, dès le début des années 1970, un programme de développement des gîtes est lancé pour transformer les granges abandonnées et développer un tourisme rural. Pour les enfants des éleveurs, un programme de formation à l’accompagnement des randonneurs est lancé dès 1970 pour faire émerger une filière de tourisme rural dans les zones abandonnées par les éleveurs. Ce sera le début, sans le nom, des accompagnateurs en montagne. A aucun moment il n’est question des grands prédateurs, notamment des ours dans les Pyrénées. Mais, si dans les Pyrénées la résistance s’est progressivement installée, ce ne fut pas la même chose dans les Abruzzes où le prédateur, ours marsicain, différent de l’ours brun dans les Pyrénées, et le loup, est plus profondément ancrée avec une disparition plus rapide du pastoralisme.
La pression écologiste autour du WWF est plus forte en Italie qu’en France. Une telle situation a favorisé la réalisation des délires idéologiques de "rewilding", c’est-à-dire d’ensauvagement des territoires avec un tourisme de circonstance, imaginés en 1997. En 2000, l’affaire est sous contrôle écologiste. Le pastoralisme est à l’état reliquaire, les prédateurs se développent et le Parc National est une structure adaptée pour imposer ses règles de manière autoritaire sans aucune intervention démocratique comme dans tous parc national.
L’article de Libé est significatif de cette évolution à travers les chiffres de visiteurs et d’éleveurs (mis en gras par nous dans le texte) dévoilés par l’auteur. Néanmoins, concernant le nombre de visiteurs, nous pouvons nous interroger sur la part de vérité. Qui dit vrai? Quel type de visiteurs? Pour combien d’emplois?
Sur le plan environnemental, quelles ont été les évolutions du milieu avec la disparition de l’élevage? Comme c’est le cas partout en France, les auteurs mettent toujours en lumière l’animal emblématique, ici le loup, mais n’analyse jamais la problématique au fond.
Louis Dollo, le 15 avril 2001
Avec le recul des années et une visite en Espagne dans les Cantabriques, il semble que l’écotourisme (nouveau nom pour remplacer le tourisme rural puisque la disparition de la ruralité est programmée) autour des grands prédateurs ne soit pas vraiment une réussite économique. Dans les Asturies, c’est un désert rural qui a été organisé, dans les Pyrénées, la population s’oppose à l’ours et développe l’élevage et d’autres atouts touristiques, dans le Trentin, le pastoralisme a été cassé pour introduire des ours sans pour autant être remplacé par le tourisme, dans les Alpes du Sud avec le loup, la politique du Parc National du Mercantour et certaines réserves apparaissent comme suicidaires pour les habitants….
Le vrai problème est que les organisations écologistes sont porteuses d’une idéologie tournée contre l’homme qui est un intrus destructeur de la planète. Pour cette raison, elles cherchent à imposer leur point de vue d’ensauvagement des territoires sans demander leur avis aux habitant(s locaux en allant même parfois jusqu’à suggérer de vider des vallées de leurs bergers pour laisser la place aux grands prédateurs (Cf. Béarn dans les Pyrénées). C’est un comportement dictatorial difficilement défendable.
Dans le parc des Abruzzes, la bête est aimée et protégée par les hommes.
C'est certain: le Petit Poucet nous a devancés. Comment expliquer sinon la foultitude de pierres blanches jonchant le chemin d'ascension, qui rendent l'ascension si rude en ce petit matin? Le groupe de randonneurs marche depuis deux heures sous les feuillages de ce versant du massif des Abruzzes, dans les pas du guide Dominico. Et toujours pas d'animal sauvage à portée de regard. Patience. Il faudra atteindre le premier plateau à 2.000 mètres, paradisiaque avec son lac presque asséché et ses vertes pâtures, pour distinguer des traces de pas, près de racines déchiquetées: un ours nous a précédés. Quand soudain l'index de Dominico pointe l'orée d'un bois. «Là! Regardez! Chuuuuttttt!» Une bande de cerfs glissent leur museau dans les jumelles. Ce sera la seule rencontre de cette randonnée. Animale, s'entend. Car en redescendant sur le village de Barrea, en cette fin juillet, les pas des explorateurs matinaux croiseront ceux d'autres contemporains de leur espèce.
Depuis une vingtaine d'années, le parc national des Abruzzes, région du centre de l'Italie entre Rome et la mer Adriatique, dans la chaîne montagneuse des Appenins, est devenu l'une des Mecque européennes de passionnés de la faune sauvage. Chamois, cerfs, lynx... et surtout ours et loups y résident comme des coqs en pâte. «Nous avons environ deux millions de touristes par an», proclame la direction de la structure. «850 000 visiteurs, pour 1,2 million de jours de présence», nuance Ecotur, la coopérative de guides. Pour entendre une autre évaluation, certes à la louche et nettement moins officielle, de la fréquentation du plus ancien et important parc italien (50.000 hectares), il faut gagner la confidence d'Eugenio, serveur dans l'un des nombreux hôtels-restaurants de la commune de Pescasseroli, coeur de cette réserve, aux allures de station thermale: «S'il y a 300 000 personnes par an, c'est bien le maximum. Sinon, comment expliquer cela?» Cela, ce sont ces nombreuses tables libres, à l'heure du dîner, majoritaires dans la salle de restauration, alors que la saison est censée battre son plein. «La politique des officiels est de gonfler le chiffre. Ils pensent que cela va attirer les gens. Mais, ici, les visiteurs viennent pour marcher le long de la route principale, et seule une minorité va se crotter les chaussures dans la montagne. Ce ne sont pas de vrais amoureux de la nature.»
Romulus et Remus. Si la fréquentation provoque une inflation de nombres dans son évaluation, c'est que le tourisme est l'activité phare de la région depuis la création du parc en 1922 et surtout son développement depuis les années 70. Certaines communes réclament même de faire partie de son périmètre protégé. «Nous recevons beaucoup de visiteurs français», témoigne Stefano Tribuzi, scientifique qui a longtemps étudié le loup. Ici, on a bien compris l'intérêt économique de protéger le prédateur. «Mais ce n'est pas seulement dans un but touristique. Nous avons toujours entretenu un rapport naturel avec le loup, à commencer par notre culture pastorale. Le mammifère a toujours fait partie de l'imaginaire collectif. C'est un animal omniprésent dans la tradition et l'histoire de notre pays.» Romulus et Remus, les fondateurs de Rome, élevés par une louve sauvage, auraient donc sauvé le prédateur des fusils italiens? Ou est-ce la tradition parentale de prénommer leur aîné Lupo, symbole de courage et de puissance? «Peut-être. Regardez, en France, ça a été le contraire, avec la bête du Gévaudan.Chez vous, c'est un problème de faire cohabiter l'activité économique et la gestion du territoire. En Italie, nous avons fait le choix de la protection générale de la faune et de la flore. Et le loup est un élément sanitaire important de la nature. Les éleveurs sont habitués à sa présence.»
Renaissance. Cela n'a pourtant pas empêché ces pastore (bergers) de plomber sans vergogne les flancs des lupi dans un proche passé. «Avant la Deuxième Guerre, il y avait des gens payés pour le chasser et le tuer», rappelle Eugenio. Au point qu'en 1970, la péninsule ne comptait plus que 200 canis lupus italicus, dont seulement dix dans le parc. Aujourd'hui, ses sommets feuillus abritent une cinquantaine de ces prédateurs, estimés à 500 sur le sol italien, où ils sont présents dans l'ensemble de la chaîne des Appenins, sorte d'autoroute naturelle pour ce vagabond capable de couvrir 200 km en une journée, la Calabre étant la région la plus pléthorique en loups en raison de son caractère sauvage.
Responsable de cette renaissance, outre la convention de Berne (1)? L'opération Saint-François (le saint protecteur des loups), initiée en 1970 par Franco Tassi, en collaboration avec le WWF (World Wide Fund For Nature). En obtenant la protection légale du loup, la prohibition des battues et des poisons alors utilisés par certains «loupivores», l'actuel directeur du parc national a sauvé le loup d'une disparition très probable dans les Abruzzes. Mais si cette opération de repeuplement a connu une telle efficacité, c'est qu'elle s'est conjuguée avec un abandon massif des montagnes par le pastoralisme. A l'image de Sperone et son décor de village abandonné après la ruée vers l'or, de nombreux groupements d'habitations perchés dans la montagne n'abritent plus que les (rares) courants d'air. Aujourd'hui, il y autant de bergers dans le parc des Abruzzes que de doigts sur une main, leur cheptel ne dépassant pas les mille unités. «Au début des années 50, il y avait près de 50 000 moutons ici, pour une trentaine d'éleveurs», se souvient Stefano Tribuzzi. De même, Scanno ne compte plus guère que sept bergers pour 3 200 bêtes contre une centaine d'éleveurs et 36 000 moutons avant la guerre. A quelques kilomètres de Pescasseroli, Giovanni évoque sa dernière victime, tout en tournant dans l'âtre le lait qui va devenir fromage: «Il y a un mois, j'ai retrouvé une brebis égorgée. Elle était malade et s'était égarée.» Nulle expression ulcérée chez le berger d'une soixantaine d'années. Pas davantage de fatalisme. «Le plus souvent, ce sont mes vieilles bêtes qui sont attaquées. Elles s'écartent du troupeau et les chiens ne peuvent rien pour elles», témoigne le pastore, en désignant les grandes peluches blanches qui guident et protègent ses 300 moutons dans l'estive, de juin à septembre. Des chiens qui peuvent résister au prédateur à la faveur de leur collier doté de pièces métalliques saillantes, sorte d'armure protégeant leur cou. Avec un accueil aussi peu chaleureux, le loup décline souvent le gigot d'agneau et fait son repas de cerfs, chamois et jeunes sangliers. Quand il est avéré que les crocs du prédateur ont fait leur office, une indemnisation substantielle calme la fureur des éleveurs pour chaque bête tuée. L'an passé, une dizaine de bêtes tout au plus auraient rencontré les mâchoires d'Ysengrin et de ses amis. Giovanni et ses collègues n'y pourront rien: le pastoralisme décline, et les lupi ne portent pas le chapeau dans l'histoire.
De même, le prédateur ne peut rien contre sa nature discrète, qui n'est pas toujours du goût des touristes et ne fait pas les affaires du parc. «Beaucoup de mordus veulent "cocher" le loup dans leurs observations. On peut parfois l'entendre, à l'aube et au crépuscule, périodes les plus favorables. Mais il est difficile de le voir», prévient Jacques Carriat, naturaliste français. «C'est plus facile au printemps et à l'automne, lors de la saison des amours. Il n'est plus aussi méfiant, renchérit Stefano Tribuzzi. Mais déjà voir la trace d'un loup crée de l'émotion.» Le guide Dominico, lui, l'aperçoit «une fois par an, en moyenne. Il faut beaucoup de chance». Et quand on demande à deux villageoises d'âge respectable, à Scanno, si elles ont déjà aperçu l'animal, la réponse est enfin favorable: «Oui, plusieurs fois... A la télé.» Autrefois haï, aujourd'hui adulé, le quadrupède est en passe de perdre la vedette en faveur de l'ours. «En Italie, le loup est un animal aussi insignifiant que le blaireau chez nous, précise Jacques Carriat. Il fait sa vie, ne crée pas d'ennuis. Et puis il est trop dur à étudier. C'est pourquoi la direction du parc a fait le choix de privilégier l'ours. Il est plus visible.» Des paysans reçoivent même des subventions pour cultiver ses mets favoris. De sorte qu'aujourd'hui, cinquante volumineux plantigrades évoluent dans le périmètre du parc.
Icônes. Malgré la valeur montante de l'ours brun un temps menacé d'extinction, l'animal est désormais protégé par l'Union européenne le loup continue de bénéficier ici de l'intérêt populaire: «Le loup reste fascinant», témoigne le scientifique Stefano Tribuzi. Il se murmure ainsi qu'un temps, le parc achetait des moutons à l'abattoir pour régaler le prédateur lors de banquets discrets. Après l'ouverture en 1971 d'un parc de vision enclos d'une vingtaine de loups à Civitella Alfedena, qui a attiré jusqu'à 120 000 visiteurs annuels, un nouvel espace de découverte du loup en semi-liberté est évoqué. De quoi envoyer peut-être aux oubliettes le spectacle affligeant d'un loup le seul visible à coup sûr emprisonné près de l'administration du parc, à Pescasserolli, qui illustre au mieux le propos de l'écrivain Jim Harrison dans Wolf: «Les animaux des zoos ne comptent pas. Ils n'ont pas plus d'intérêt qu'une carpe morte, tristes, furtifs, funèbres. Je n'ai jamais vu de loup. Peut-être n'en verrai-je jamais. Et je n'en fais un problème pour personne d'autre que moi.»
En attendant la sortie de terre du nouvel espace de vision enclos et la réouverture du musée du loup (annoncée pour octobre), les loups sont encore des icônes chez la dizaine de commerçants de Civitella Alfedena, qui déclinent son image à l'envi et sans droits de reproduction (une célèbre souris américaine est légèrement plus protégée), du restaurateur au camping, en passant par le bureau de tabac, ou encore Angela et Valentina qui proposent dans leur petite échoppe force tee-shirts, bols, assiettes et autres calendriers à l'effigie du prédateur.
L'histoire est savoureuse: autrefois traqué par l'homme, l'animal a pris sa revanche sur un destin et une histoire maudite, avec la bénédiction de son ancien ennemi. Il est aujourd'hui choyé par ce drôle de quadrupède dont le pantalon à larges poches loge son portefeuille. «Décime-moi un mouton!»: c'était dans l'ancien temps, mon petit prince. Il va falloir t'y faire.
(1) Pour éviter sa disparition, l'espèce canis lupus est protégée par la loi dans le cadre de la Convention de Berne, adoptée en 1993.
Auteur: Philippe Brochen
Source: Libération du 22 août 2000