Voilà une bonne nouvelle pour les grands carnivores d’Europe. Ours, loups, lynx et gloutons se portent bien. Alors que les associations écologistes françaises ne cessent de tirer la sonnette d’alarme et de nous raconter que ces prédateurs risquent de disparaître et étant toujours au bord de l’extinction, voici un rapport scientifique qui nous explique l’inverse.
Tout en faisant remarquer que l’abondance des loups, des ours et des lynx n’est pas au niveau d’antan, l’auteur se satisfait à l’idée que «les grands carnivores et les hommes peuvent partager le même espace». Alors que l’on abat sans discuter un malheureux sanglier qui s’introduit dans un jardin public citadin, on voudrait nous faire croire que les campagnes et les villages de montagne vont vivre comme Saint François d’Assise en caressant loup et ours dans leurs bergeries.
Néanmoins, le fait est que contraint et forcé par des mesures de protection excessives, les grands prédateurs se développent et conquièrent des territoires nouveaux jusqu’aux limites des grandes métropoles, preuve que ces animaux ne sont pas aussi craintif que leurs défenseurs veulent bien le prétendre.
Si la population de loups dépasse les 300 individus, ce qui semble satisfaire les auteurs contrairement aux organisations écologistes, l’avenir de l’ours est incertain. Ce n’est pas très nouveau puisque les habitants des Pyrénées n’en veulent pas. Et il en est de même pour le loup. Mais connaissons-nous vraiment le nombre d’individus d’ours (25 pour les français, 35 pour les espagnols) et de loups (plus de 350 et probablement plus de 400) imposés dans des conditions dignes des meilleures dictatures. Jusqu’à quand?
Louis Dollo, le 26 décembre 2014
Le prétendu retour des grands carnivores ours, loups et lynx
Ils étaient, au siècle dernier, au bord de l'extinction sur le territoire européen, décimés par la chasse et la destruction de leur habitat. Les voici de retour, bien vivaces. Les populations de grands carnivores, ours, loup et autre lynx, même si elles sont très loin d'avoir retrouvé leur abondance d'antan, sont aujourd'hui «stables ou en augmentation» dans la plupart des pays. C'est ce que montre un recensement – le plus complet à ce jour – effectué sur l'ensemble du continent (Russie, Ukraine et Biélorussie exceptées), dont les résultats sont présentés, jeudi 18 décembre, dans la revue Science.
Les auteurs de cet inventaire animalier y voient le fruit des politiques de conservation mises en œuvre dans l'Union européenne. Mais aussi la preuve que «les grands carnivores et les hommes peuvent partager le même espace». Une conclusion qui ne manquera pas de nourrir la polémique, toujours féroce, sur la cohabitation entre l'homme et ces prédateurs.
Soixante-seize experts de la faune sauvage de vingt-six pays ont contribué à cette compilation de données, qui dresse un état des lieux, arrêté en 2011, pour les quatre principales espèces de grands carnivores présentes en Europe: l'ours brun (Ursus arctos), le lynx eurasien (Lynx lynx), le loup gris (Canis lupus) et le glouton (Gulo gulo).
A l'exception de la Belgique, du Danemark, du Luxembourg et des Pays-Bas, tous les pays d'Europe abritent de façon permanente au moins l'une de ces espèces, qui évoluent sur une aire totale de plus de 1,5 million de km2, soit environ le tiers de l'espace européen. L'ours, dont les effectifs sont les plus nombreux, avec 17.000 individus (dont plus de 7.000 dans les Carpates), est présent dans 22 pays. Le loup, avec 12.000 spécimens, dans 28. Le lynx, avec quelque 9.000 représentants, dans 23. Quant au glouton, acclimaté aux régions nordiques, il ne compte que quelque 1.250 individus répartis entre la Norvège, la Suède et la Finlande.
«On assiste, au niveau continental, à une recolonisation de zones géographiques dont ils avaient disparu par des grands carnivores dont les populations se portent globalement bien», commente Guillaume Chapron, maître de conférences en écologie à l'université suédoise des sciences agricoles et coordinateur de l'étude, qui anime aussi un groupe de recherche sur ce sujet. Ce qui n'empêche pas plusieurs sous-populations d'être en grave péril, comme l'ours dans les Pyrénées, le lynx dans les Vosges ou le loup dans la Sierra Morena, dans le sud de l'Espagne.
Cette reconquête territoriale est d'autant plus remarquable, souligne le chercheur, qu'elle se produit «sur le continent où l'on s'y attendrait le moins, du fait de sa forte densité humaine». Ainsi, l'Europe compte aujourd'hui deux fois plus de loups que les Etats-Unis, alors que son territoire est deux fois moins grand et la densité de sa population près de deux fois et demie plus élevée. Cela, sans qu'aucun pays ait jamais procédé à une réintroduction du grand canidé, dont l'expansion s'est faite de manière naturelle. Conclusion: «Ces prédateurs, si on les laisse en paix, sont capables de s'accommoder de milieux anthropisés.»
C'est le signe, estiment les auteurs, que «le modèle du partage des terres, où hommes et prédateurs coexistent, peut réussir à l'échelle d'un continent». Un modèle qui s'oppose à celui de la séparation de l'espace en vigueur Outre-Atlantique, où ces animaux sont tenus à distance dans zones protégées ou des espaces réservés à la vie sauvage, à l'image du loup dans le parc national américain de Yellowstone.
Vision idyllique d'un «vivre-ensemble» pacifique entre ces animaux à crocs et à griffes et les humains, à commencer par les bergers qui, en France notamment, les accusent de mettre en pièces leurs troupeaux? «Nous ne disons pas que cette cohabitation n'engendre pas de conflits. Mais les faits montrent qu'elle est possible», répond Guillaume Chapron.
Plusieurs facteurs expliquent, selon les auteurs, le regain de vitalité des grands carnassiers. La restauration des populations d'ongulés sauvages – cerf, chevreuil, daim, mais aussi sanglier, chamois ou bouquetin – qu'ils se mettent sous la dent bien davantage que les cheptels domestiques. L'exode rural qui leur a libéré des espaces nouveaux. Mais surtout la législation protectrice dont s'est dotée l'Europe, avec la convention de Berne de 1979 sur la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel, et plus encore la directive habitats faune-flore de 1992.
Pour autant, le retour de ces espèces emblématiques qui, au sommet de la chaîne trophique, jouent un rôle essentiel dans la régulation des écosystèmes, est-il durable? L'exemple de la France est symptomatique. Le loup qui, présent sur 90 % du territoire il y a deux siècles, en avait totalement disparu à la fin des années 1930, y est revenu naturellement en 1992, depuis l'Italie. Aux dernières estimations, réalisées à la fin de l'hiver 2013-2014, sa population se montait à 301 individus – avec une marge d'erreur de 80 en plus ou en moins –, sa croissance annuelle avoisinant 20 %.
La population de loups en France dépasse les 300 individus
Le lynx, lui aussi autrefois largement répandu dans l'Hexagone, s'est effacé du bassin parisien et des Vosges au XVIIe siècle, puis du Massif central et du Jura au XIXe siècle, tout en se maintenant dans les Alpes jusque dans les années 1940. Revenu naturellement dans le Jura français en 1974, à la suite de sa réintroduction dans le Jura suisse, il y a établi un noyau d'une centaine de spécimens. On en dénombre aussi une poignée dans les Alpes, tandis que dans les Vosges, où il a été réintroduit dans les années 1990, il est en rapide déclin.
Quant à l'ours, chassé par le passé des plaines puis des montagnes, il n'a survécu que dans les Pyrénées, où ses effectifs étaient estimés entre 100 et 150 individus dans les années 1940, et à la moitié dans les années 1960. Il n'en subsiste plus à présent, après deux réintroductions de plantigrades slovènes, en 1996-1997 puis en 2006, que deux douzaines, réparties en plusieurs groupes sur les Pyrénées françaises et espagnoles.
C'est dire que les effectifs des trois espèces restent modestes sur le sol français. De par ses caractères biologiques, le loup est le plus apte – si une trêve est conclue avec les éleveurs – à perdurer. «Sa démographie est plus dynamique que celles du lynx et de l'ours, explique Eric Marboutin, chef de projet loup et lynx à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), qui a participé à la collecte de données. Par sa capacité de reproduction, de survie et de colonisation de l'espace, il est capable de s'adapter à différents milieux. C'est un peu l'animal passe-partout.»
L'avenir est, en revanche, plus incertain pour le lynx, cantonné aux franges forestières de l'est de la France. Il l'est encore davantage pour l'ours, dont les derniers représentants sont isolés dans le massif pyrénéen. Cet été, la ministre de l'écologie, Ségolène Royal, a élargi les possibilités de «tirs de prélèvement», c'est-à-dire d'abattage de loups. Et elle s'est opposée à un nouveau lâcher d'ours dans les Hautes-Pyrénées.
Auteur: Pierre Le Hir
Source:
Le Monde.fr du 18 décembre 2014
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