Cet article de 2010, au titre idyllique et accrocheur, nécessite une observation préalable. Il faut lire la presse antérieure relatant les nombreux morts et blessés humains liés aux ours et voir la mise en place d'un programme de protection des ours dans les départements du centre de la Roumanie. Et puis, avec le recul, deux ans plus tard, nous constatons la demande d'un homme politique de Brasov faisant appel à l'armée pour réguler le nombre d'ours. A moins que ce ne soit un article propagande comme nous avons l'habitude d'en voir pour laisser croire que tout se passe bien en Roumanie au milieu des ours et que nous, suisses et français, ne sommes que des arriérés qui ne comprenons pas la nécessité du "vivre ensemble" avec la faune sauvage. A cet égard, nous trouvons dans les "chiffres" en note complémentaire, le résultat d'un sondage qui ressemble à ceux que nous avons connu dans les Pyrénées et totalement déconnecté de la réalité.
Alors que la Suisse se débat avec deux plantigrades, la Roumanie en compte des milliers sur son territoire. Comment les hommes vivent-ils cette proximité?
Viorel Sulical salue à l’ancienne en retirant son chapeau. Avec ses chiens, ce berger roumain garde une cinquantaine de moutons. «Des attaques d’ours? J’en ai eu! Une fois, un mâle a même attrapé un mouton sous mes yeux. J’ai essayé de le sauver. En vain: je tirais d’un côté et l’ours de l’autre.» Et puis? «Fin de l’histoire! L’ours a mangé. C’est comme ça, la vie par ici.»
Le berger se moque en entendant parler des craintes suscitées par la présence de deux ours en Suisse. Car la région de Brasov, où il vit, abrite quelque 900 des 6000 ours de Roumanie. A trois heures de route de Bucarest, la ville se situe à quelques kilomètres du château de Dracula de Bran, en Transylvanie. Avec sa cité médiévale, c’est un des hauts lieux touristiques du pays. La forêt encercle presque entièrement la ville. Ici, la population entre avec crainte dans les bois. Les promeneurs font du bruit pour éviter de surprendre un ours. Et s’ils voient des oursons, ils s’éloignent rapidement et discrètement, car la mère est toujours agressive.
«La relation avec les ours était bien mal partie», explique Ovidiu Ionescu, professeur à l’Université de Brasov. Ce scientifique, qui préside l’association des chasseurs de la région, a aussi été le ministre roumain des Forêts de 2001 à 2003. «Nicolae Ceausescu avait interdit leur chasse. Seuls lui et ses invités avaient le privilège d’en tuer une vingtaine par année.» Du coup, 8000 ours surpeuplaient les forêts. «Après la révolution de 1989, les Roumains n’ont plus voulu s’occuper de ces animaux que les communistes avaient tant protégés.»Dix ans plus tard, ne trouvant plus de quoi se nourrir, les ours sont littéralement descendus en ville pour fouiller les poubelles.
En 2005, à Brasov, plus d’une quarantaine d’ours venaient à la tombée de la nuit se nourrir sous les yeux de centaines de curieux. Cette proximité a rapidement tourné au drame. Ramon Romulus Jurg, chercheur à l’Institut national de l’aménagement forestier, raconte l’histoire d’un groupe de jeunes qui faisaient des grillades. «Un ours s’est approché. Ils lui ont donné des morceaux de viande. Puis ils lui ont lancé un morceau de charbon ardent. De douleur, il a foncé droit sur le feu. Il s’est brûlé et est devenu furieux.» Résultat: deux morts et neuf blessés.
Un plan d’urgence a dû être mis en place. Les poubelles sont ramassées tous les soirs dans des containers spéciaux difficiles d’accès pour les ours. Interdiction aux habitants de nourrir ou de s’approcher des ours sous peine d’une amende de 400?euros – une véritable fortune dans un pays où le salaire mensuel moyen est de 300 euros. La police veille au grain. «Les gardes forestiers placent de la nourriture en forêt et utilisent des sprays pour écarter les ours qui s’approchent», explique Ramon Romulus Jurg.
Certains ours trop familiers ont dû être endormis et déplacés ailleurs. La méthode marche souvent, mais pas toujours. «Les jeunes ours sont redevenus sauvages, mais les adultes sont allés dans les villages et ont causé des dégâts. Ils ont dû être abattus.» Cette année, seule une femelle descend encore de temps en temps, constate le spécialiste.
Désormais, la philosophie roumaine est de garder ces bêtes les plus sauvages possibles. D’abord en conservant leur habitat: 14% du territoire national, surtout des forêts, est protégé de toute construction. En théorie du moins, car il existe beaucoup de déforestations sauvages. La gestion de l’ours, le pays l’a pour ainsi dire privatisée. «Nous ne pouvons pas réguler la population, explique Ovidiu Ionescu, ex-ministre. Les lois européennes sont absurdes: elles sont conçues pour des pays où l’ours a été exterminé… Mais elles nous autorisent à tuer les ours qui causent des dégâts. C’est ainsi que nous réussissons à stabiliser leur nombre. Et, quand nous en abattons un, pourquoi le faire gratuitement?»
Concrètement, le territoire a été divisé en zones de chasse. Et pour chacune d’entre elles, un représentant d’une association de chasseurs peut acheter aux enchères une concession de dix ans. Le marché est important, car elles peuvent coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Le gestionnaire doit veiller sur tous les animaux de sa zone en les nourrissant si nécessaire et surtout engager des gardes forestiers pour les protéger des braconniers. Son intérêt? Faire payer des clients, surtout étrangers, pour chasser l’ours. Entre 5000 et plus de 20?000?euros en fonction de la beauté du trophée. Le chasseur garde la fourrure et la tête. Et la viande est assez prisée en Roumanie (3 à 4?euros le kilo). Le plat de choix est la patte, proposée par certains restaurants pour 200 euros.
Tout le système repose sur des méthodes artisanales. Le garde forestier des environs de Brasov, Tiberiu Seban, repère vite des empreintes autour de sa cabane d’observation. Pour voir les ours, il se cache des nuits entières. «Et là il ne faut même pas éternuer.» C’est ainsi que les gestionnaires évaluent chaque année le nombre d’ours et enregistrent également les dégâts commis sur les propriétés et le bétail. Toutes les données sont transmises à Bucarest, qui peut ensuite délivrer des autorisations de chasse. Mais le système engendre aussi beaucoup d’abus et de corruption, nous confirment plusieurs spécialistes.
L’ancien ministre Ionescu balaie le reproche: «Il y a 6000 ours, alors que le nombre optimal n’est que de 4000. C’est la preuve que le système fonctionne. En Autriche, où toutes les conditions naturelles sont réunies, il n’y a pas d’ours! Ce pays n’a pas su créer des groupes d’intérêt qui les protègent. En Roumanie, l’intérêt économique a permis que, nous les chasseurs, nous sauvions les ours. Tant que nous sommes critiqués par les extrémistes, les ONG étrangères qui veulent protéger l’ours à tout prix et ceux qui veulent l’exterminer, surtout les propriétaires de bétail, c’est que nous faisons du bon travail!»
Les ONG, justement, il en existe beaucoup à Brasov. Parmi les principales, Life Extra. Soutenue par l’Union européenne, elle tente notamment de réintroduire le chien berger traditionnel de Roumanie et d’installer des clôtures électrifiées autour des ruches. «Aujourd’hui, une majorité de la population roumaine est favorable à la présence de l’ours. Notre but est d’éviter que des conflits ne lui fassent changer d’avis», explique Tudor Stanciou. Une autre ONG recueille des ours que des particuliers détiennent illégalement en captivité et leur offre une semi-liberté dans des enclos au Libearty Sanctuary près de Zarnesti. Liviu Cioineag explique: «Tous les mâles sont stérilisés. Car, je l’espère, ces cages ne deviendront pas l’avenir des ours dans cette Roumanie qui se développe.»
Auteur: Fabian Muhieddine, de retour de Brasov
Source: 24 heures.ch du 11.05.2012
(6,2 millions d’hectares, soit 27% du territoire roumain). 335 dérogations de tir ont été accordées. Et, selon les estimations, une centaine d’ours ont été tués par les braconniers. 624 cas de dégâts matériels ou d’attaques de bétail ont été dénoncés. En réalité, ils seraient le double. Chaque année, l’ours tue entre deux et quatre personnes en Roumanie.
C’est la plus grande densité, avec 60 ours pour 10 000 hectares. La région détient un autre record, mondial cette fois: la plus grande portée pour une seule femelle, cinq oursons au lieu de un ou deux habituellement.
Dans les zones de conflit, selon une étude récente, la tranche d’âge des 18-49 ans estime majoritairement que c’est l’homme qui est entré dans l’espace vital de l’animal et qui menace sa survie. Pourtant, plus de 60% disent ressentir une peur panique face aux ours. Une majorité des sondés sont aussi pour une solution pacifique en cas de conflit. 56% veulent l’éloigner de son lieu d’origine, 14% l’isoler et seulement 25% parlent de le tuer.