Alors que les pro et anti-ours s'affrontent et que la concertation pour une réintroduction à l'automne 2005 organisée par le gouvernement devient une mascarade, M.M..., Docteur
vétérinaire au CNRS et à l'Université Paul Sabatier de Toulouse nous apporte un point de vue nouveau sur le sujet avec un état des lieux sans concession peut-être même hors du
"politiquement correct" qui doit être la règle dans certains milieux et dans certaines circonstances que nous qualifierons de délicates.
C'est parceque ses propos ne sont pas dans la "ligne du parti" et qu'ils ont été communiqués à un grand service de l'Etat en charge de la réintroduction qu'à la demande ce
chercheur connu nous ne publions pas son nom. Il a néanmoins le mérite de nous apporter un éclairage nouveau sur la réintroduction ou introduction de souches nouvelles d'ours dans
les Pyrénées.
Pourquoi et comment la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées?
M. M..., Docteur Vétérinaire
Laboratoire ............, CNRS
Université Paul Sabatier, Toulouse
L'Isard (Rupicapra rupicapra pyrenaica) présent localement en grand nombre, absents de nombreux territoires du massif;
Le Mouflon corse (Ovis aries musimmon - Mouton retourné à l'état sauvage et non Mouflon sauvage) dont la présence est très localisée. Ces deux espèces subissent de très importantes
fluctuations en raison d'enzootie régulières d'Herpèsviroses voire de Brucellose et IBR - deux maladies dont ces espèces pourraient en jour devenir réservoir pour le bétail...
Le Bouquetin (Capra ibex pyrenaica) a disparu dans les dix dernières années.
Le Cerf (Cervus elaphus) et le Chevreuil (Capreolus capreolus) sont aussi très (voire trop) abondants localement et sont déjà suspectés par certains auteurs d'être réservoirs
de Tuberculose et de Brucellose (P.P. Pastoret).
A noter que dans les Montagnes Rocheuses, une forme de Tremblante (maladie spongiforme voisine de Creuztfeld-Jacob) est endémique voire épidémique chez les Cervidés sans que l'on
puisse écarter un lien avec l'Homme et le bétail...
Une première conclusion que l'on puisse tirer de cet inventaire est que ces populations sont dans un état de déséquilibre démographique très élevé dû au manque de gestion scientifique (en particulier évaluation génétique des populations) et qu'il en résulte des évolutions en "croissance exponentielles-crash démographiques", avec prolifération de pathogènes.
Est très abondant, subit des épisodes réguliers de Gale et est porteur endémique d'Echinoccocose, zoonose majeure pour l'Homme (des cas sur l'Homme ont déjà été décrits en Cerdagne). On peut là aussi sans risque incriminer la surpopulation dans la facilitation du passage des pathogènes d'un individu à l'autre.
On peut affirmer sans risque que les populations actuelles, sans réintroduction sont condamnées.
Très certainement en provenance d'Espagne (jusqu'à preuve contradictoire non fournie jusqu'à présent), est présent en nombre d'au moins 5 individus, entre Cerdagne et Pays de Sault. Cette population ne demande qu'à s'accroître et malgré son faible effectif, il est extrêmement probable qu'elle va exploser.(1)
Est "l'Arlésienne" des Pyrénées. Présent avec certitude (en particulier entre Madrés, Sault et Donezan), on n'en connaît ni le statut (assurément menacé) ni même l'identité de l'espèce (ibérique ou boréal).
Des effectifs très importants qui semble se tasser (peut-être trop dans certains endroits entre Capcir et Corbières) sous l'effet d'une chasse pas très bien gérée. Il est certain que cet animal a de profondes répercutions sur l'écosystème.
A l'instar de ce qui a été démontré pour les Baleines du Pacifique nord et des interactions entre grands prédateurs, "grands prédatés", petits prédateurs, herbivores et végétaux, les espèces animales ont besoin de l'ensemble de leurs "partenaires" trophiques pour qu'un équilibre qui a mis des millions d'années à se faire puisse de nouveau voir le jour. Il est impossible de stabiliser les populations en l'état actuel de la biodiversité, même pyrénéenne.
Les dégâts dûs aux grands prédateurs sur les troupeaux sont minimes: une étude espagnole dans la seule zone d'Europe où persiste un élevage supérieur à celui des Pyrénées et la
triade Ours-Loup-Lynx, a démontré que plus de 95 % des dégâts étaient dus à des Chiens errants ou de promeneurs, environ 2% aux Loups et 1 % aux Ours et le reste indéterminé...
Il a même été démontré que les Ours slovènes consommaient pour une part importante de leur régime des Fourmis.
L'ours ne vit pas seul:
dans son environnement, il est prédateur des Herbivores (dans une faible mesure toutefois) et concurrent d'autres espèces de prédateurs (Loup, Lynx) et concurrent indirect
du Sanglier.
Afin d'accompagner la réintroduction de l'Ours, il semble de bon sens (en tous cas, c'est ce bon sens qui est appliqué hors des frontières françaises) de réintroduire d'autres
éléments-clefs de l'écosystème comme le Bouquetin par exemple.
Les Pyrénées ont été le siège d'une première réintroduction à succès incarnée par la Marmotte (disparue depuis la dernièreère glaciaire!). Mais cette "restauration" s'est arrêtée
là et malheureusement, il n'y a pas pour l'instant de réflexion sur des programmes "intégrés".
A l'étage alpin supérieur, Izard et Bouquetin dont les populations seraient ainsi en concurrence sur une partie de leur territoire.
Plus bas le Mouflon corse et en milieu sylvestre, les Cervidés.
L'Ours, principalement charognard pour ce qui est de son régime carné limiterait l'expansion des épizooties par consommations d'animaux malades et de cadavres porteurs. Son
expansion serait limitée par la consommation effectuée par les Loups, qu'il limiterait réciproquement.
Le Renard, face à l'arrivée de ces deux concurrents ne pourrait voir ses effectifs que revenir à un niveau plus "normal".
D'une part, les grands prédateurs, quand ils sont abondants, maintiennent un état sanitaire et donc démographique plus constant que lorsqu'ils sont absents.
Par ailleurs, en cas de réintroduction "durable" par réintroduction d'un cortège "prédateurs-prédatés", il ne manquerait pas d'y avoir une période d'instabilité où la chasse
pourrait servir d'outil de régulation afin d'arriver plus vite à l'état d'équilibre.
Cette attitude pragmatique est celle des Espagnols où des populations en expansion modérée cohabitent avec un élevage important et une chasse autorisée mais très réglementée dans
des Parcs Nationaux.
Un choix a été fait de réintroduire des Ours slovènes. Ces Ours ont un habitus très différent des Ours pyrénéens et sont génétiquement beaucoup plus éloignés que ne le sont les Ours d'Espagne (environ 120 Ours - qui avait en son temps refusé à la France de fournir des Ours sous prétexte - avéré - que la France était incapable de mener à bien une telle opération: après une levée de bouclier d'un frange de la population pyrénéenne et deux Ours abattus dans des circonstances douteuses, on peut dire qu'ils avaient raison) ou ceux de Scandinavie. Il y a environ 600-700 Ours en Scandinavie et cette population possède deux caractéristiques des Ours pyrénéens: elle est du même "pool" génétique (contrairement aux Ours slovènes) et son habitat-comportement est plus proche de celui des Ours pyrénéens puisque les montagnes scandinaves, malgré tout offrent le même type de milieu à plus faible altitude en raison de la latitude (? Slovénie) comme d'ailleurs l'a montré le comportement très "familier" des Ours réintroduits en Couserans. Le comportement est peut-être une des clefs pour éviter les problèmes de cohabitation avec l'élevage.
Le 5 avril 2005
Clevenger et al (1994). Brown bear Ursus arctos predation on livestock in the Cantabrian Mountains, Spain., Acta Theriologica 39:267-278.
Estes et al (1998) - Killer Whale Predation on Sea Otters Linking Oceanic and Nearshore Ecosystems, Science 282: 473-476
Grosse et al () - Ants: A food source sought by Slovenian brown bears (Ursus arctos)?, Canadian Journal of Zoology 81:1996-2005.
Informations Techniques des Services Vétérinaires (1987) - Faune Sauvage d'Europe, Ed. R. Rosset, 408 pp.
Sorensen et al (2003) - Status and management of the brown bear in Norway, IUCN reports, pp 86-89.
Taberlet & Bouvet (1994) - Mitochondrial DNA polymorphism, phylogeography, and conservation genetics of the brown bear Ursus arctos in Europe., Proc R Soc Lond B Biol
Sci.255(1344):195-200.
(1) [NDR] Ce chercheur me disait en privé il y a quelque temps: "je suis persuadé que le Loup n'a jamais vraiment complètement disparu de la chaîne (j'en ai vu un en 1994 en Cerdagne, et j'ai des témoignages d'éleveurs Couserannais et Cerdans qui affirment en avoir vu lors des 50 dernières années!)". Voilà qui change les données du problème et qui semble plus réaliste que la thèse du loup italien arrivé comme par hasard dans des réserves des Pyrénées-Orientales. Retour
(2) [Note de Louis Dollo] J'ai toujours eu beaucoup de réticence à l'égard des scientifiques et universitaires qui nous parlent de l'ours et vont donner des leçons à
ceux qui vivent dans son milieu. Celui-ci n'a pas échappé à la règle mais il présentait un avantage:
1/ C'est un pyrénéen
2/ Comme vétérinaire, il a les pieds sur terre et parle
"pratique". Ce n'est pas seulement un théoricien
3/ Il traîne la montagne depuis longtemps et régulièrement, pas seulement dans une vallée.
4/ C'est un homme de terrain qui parle avec la population locale y compris dans la langue du pays
Mais ceci n'a pas empêché des échanges parfois vifs, des engueulades et même des insultes réciproques... disons de bons échanges gascons. Mais j'adopte la définition qu'il se donne
de lui-même: "citadin, écologiste (de métier, non politique) et universitaire (peut être un jour)" mais aussi "pyrénéen, rural (par son métier) et pas forcément contre la chasse
(enfin pas comme elle est menée actuellement quand même!)". Retour