Bernard Clos est de ces hommes qui marquent lorsqu'on les rencontre. C'est grâce à son ami de toujours Jean Ségalas que j'ai eu l'occasion de faire sa connaissance. Bernard a toujours le sourire, de ces sourires qui inspirent la gentillesse. Toujours discret, d'une modestie incomparable, fidèle en amitié, curieux de tout et d'une courtoise à toute épreuve il n'en est pas moins un Grand du pyrénéisme contemporain.
Son âge… Nous n’en parlons jamais: Toujours jeune. Et puis c'est indiscret. Au fur et à mesure de la discussion on apprendra qu'il est né au petit village de Bareille et qu'il arriva à l'âge de 10 ans au Lycée de Bagnères de Bigorre pour n'en sortir qu'à la retraite. Professeur d'histoire et géographie il est surtout un montagnard pyrénéen (il n'aimerait peut-être pas qu'on dise un "alpiniste" pyrénéen), un photographe, un écrivain mais surtout un grand amoureux des Pyrénées.
C'est à 19 ans qu'il découvre la montagne en faisant le Petit Vignemale avec son copain André Brives. C'était son premier 3 000 comme pour beaucoup d'entre nous. Il l'avait fait par Gavarnie un week-end de Pentecôte. Il y avait bien sûr encore beaucoup de neige et il avait été impressionné par une avalanche tel qu'il n'en a jamais revu depuis.
A partir de 1946, il commence à inscrire des très belles réalisations à son palmarès en s'inspirant de la bible des topos de l'époque, le Guide Ollivier:
Et là il faut se taire et l'écouter raconter sa joie, son plaisir, ses souvenirs de l'escalade libre en espadrille de corde (les semelles Vibram de Vital Bramani ne sont arrivées que plus tard). Lorsqu'il parle de montagne il est insatiable. On ne l'arête plus. Des souvenirs il en a plein la tête. Et il décrit ses courses comme si c'était hier encore. Avec une précision peu commune.
Les Alpes il connait. L'arête Forbes au Chardonnet, les aiguilles Dorée…. Mais lorsqu'il fait mauvais il faut attendre. Alors sur ce plan-plan les Pyrénées c'est mieux. Et il poursuit….
En été il continue:
La liste serait encore longue d'autant qu'il a su s'adapter aux goûts du jour. On l'a vu dans des falaises comme aux Riglos et ailleurs. Et c'est un montagnard complet. Il vous fera autant la description de la Sierra de Guara qu'il a parcouru canyon compris que de tous les petits villages aragonais abandonnés ou encore habités. Il s'est également intéressé à la spéléo pour participer à la cartographie du gouffre de la Pierre saint Martin.
Si à l'époque des grandes courses il ne s'encombrait pas d'appareils photos et se moquait des voies normales, c'est plus tard que cette passion lui est venue.
Photos du Musée de Torla
Bernard Clos a été un des derniers à photographier le dernier mouflon de la vallée d'Arsas
Le Docteur Couturier venait de réintroduire la marmotte dans la vallée du Barrada au-dessus de Gédre. Cet animal disparu depuis longtemps était objet de curiosité. Henri Paradis (encore un grand pyrénéiste de Cauterets qui a laissé son nom sur pas mal de sommets) en avait ramené une au Clot au-dessus du Pont d'Espagne. C'est à cette époque que Bernard faisait de la photo pour une revue "Bêtes et Nature", puis une revue d'architecture. Il s'est mis petit à petit à photographier les Pyrénées tant françaises qu'espagnole et constitua de véritables archives d'images pyrénéennes. Des photographes (à Bagnères, Cauterets, Tarbes….) vendent ses clichés sous diverses formes en particulier du noir et blanc en tableau. Il publie également des cartes postales avec Dominique Julien (encore un guide de haute montagne qui a marqué notre époque en particulier avec les cascades de glace de Gavarnie). De la photo il s'orienta tout naturellement vers la publication de quelques livres. On notera en particulier "Un sentier pour deux Parcs", "Parcs Nationaux des Pyrénées" et le dernier qui est une merveille: "Gavarnie, Mont - Perdu".
Membre du Club Alpin Français dès ses débuts de montagnard, il devint Président de la Section de Bagnères de Bigorre de 1975 à 1985. C'est avec Jeannot Ségalas et le club qu'il réalisa le refuge de Campana dont le style original a marqué son époque. Bernard encadrait les sorties des lycéens grimpeurs et découvrait les rios aragonais et plus spécialement ceux du Mont - Perdu du Gurundué, Yésa, Consusa et bien d'autres encore.
Il constate, comme beaucoup de personnes, qu'aujourd'hui "la montagne est envahie, [qu'] il faut bien gérer le flux". Il constate également que les Espagnols sont à la fois très vigilants en matière de protection mais aussi très aménageurs. Il regrette la multiplicité des réglementations tout en constatant qu'au regard des flots de touristes déversés jusqu'au centre du Parc National, la présence de quelques montagnards est bien dérisoire sur le plan des nuisances. Il pense que "Natura 2000" peut être une chance tant pour la préservation que pour avoir une sorte de label de qualité du milieu. Il déplore que prolifère en moyenne montagne ce qu'il appelle "les pistes de chasse" qui sont créées sous prétexte d'exploitations forestières qui plus est utilisées par les 4x4 ou les motos. Il précise: "Nous devons combattre la montagne à interdiction et à péage, les privilèges qu'ont certains de prendre une route fermée pour d'autres."
Toute sa vie, Bernard fut discret. Il voulait partir dans la discrétion. Son vœux fut exhaussé. En ce début d'avril 2000, il est décédé subitement en Espagne, pays qu'il affectionnait particulièrement. Il fut incinéré vendredi 7 avril. Nous garderons de lui le souvenir d'un homme bon, timide mais au contact chaleureux qui avait une approche mystique de la montagne qu'il savait partager.
Louis Dollo, le 10 avril 2000