Javier Naves est asturien, biologiste au CSCIC (équivalent du CNRS), rattaché à l’Université d’Oviedo, et conseiller de la Principauté des Asturies dans les
domaines de l’environnement, et de la biodiversité. Il est notamment un des spécialistes mondiaux de l’ours, et à ce titre directement impliqué dans les actions de
sauvegarde de la population asturienne de ce plantigrade. L’entretien que nous traduisons ci-dessous n’est plus en ligne sur le site de La Nueva España, nous
reproduisons donc l’original en castillan à la suite de la traduction.
Note avril 2013: sur ces problèmes de viabilité voir à présent les résultats des nouveaux travaux de l’auteur et de généticiens de l’Université d’Oviedo. Ils font
plus que confirmer les analyses de 2005
Nous sommes très loin des centaines d’individus nécessaires pour considérer que l’espèce est viable»
Homme de conversation soigneusement posée, le biologiste Javier Naves semble bien rarement sortir de ses gonds. Il l’a fait la semaine dernière pour désapprouver la position de la Fondation Ours Brun / Fundación Oso Pardo/ quant à la viabilité de la population occidentale des Monts cantabriques.
- La problème de la viabilité ou non de la population occidentale d’ours brun cantabrique a ouvert un conflit entre vous et la Fondation. Votre position est que cette population n’est pas viable.
- Ce n’est pas ma position. C’est celle que nous avons élaborée en commun avec plusieurs spécialistes dans divers documents concernant la conservation. Il existe un consensus pour lequel la viabilité suppose des centaines d’ours sur des milliers de kilomètres carrés. Et aucun de ces chiffres ne se rencontre aujourd’hui pour la population occidentale alors que ce sont eux qui permettraient de la considérer comme viable.
- Mais y a-t-il un nombre d’individus à partir duquel on puisse considérer une population viable?
- Il n’y a pas de réponse pour la Cordillère cantabrique. On n’a pas fait une analyse de viabilité, ou on l’a pas faite de façon complète à l’inverse de ce qui s’est passé pour les pays scandinaves et pour quelques autres populations d’Europe. Les résultats de ces analyses se référent aux conditions dans lesquelles vivent ces population. Quelle est l’espérance de vie moyenne de nos ours? Quelle est leur viabilité? Nous l’ignorons, mais tous, techniciens et chercheurs, nous nous sommes mis d’accord sur une limite et nous estimons que pour être viable une population doit compter plusieurs centaines d’individus. Dire qu’à l’heure actuelle la population est viable est une rupture de ce consensus.
- Mais la Fondation, tout en assurant que la population est viable, nuance son propos en ajoutant qu’existent de nombreux périls et qu’il est nécessaire de travailler…
- Nous avons toujours associé viabilité et risque d’extinction. Il ne faut pas briser ce lien, et il n’y a aucune raison de la faire. Pourquoi n’existe-t-il pas d’analyse de viabilité? J’ignore la raison pour laquelle il faut toujours se référer aux travaux sur les ours de Yellowstone ou de la Norvège lorsqu’on aborde ce problème. Au Ministère on nous a dit qu’en ce moment il n’y avait pas de crédit pour continuer les travaux sur la viabilité que nous avions réalisés à la fin des années 90 ; de fait, à l’heure actuelle, nous les continuons avec des fonds étrangers. Nous sommes en train de construire une analyse de viabilité qui prenne en compte le territoire. Nous avons commencé en 2001 et devrions avoir terminé d’ici un an. Nous avons construit une représentation du territoire et nous allons y simuler l’évolution de la population. Asturies, Cantabrie, Galice et Castille-León nous ont fourni les informations dont elles disposaient sur leurs groupes d’ours familiers. A présent il nous faut construire les scénarios du futur.
- Quels sont les institutions étrangères qui vous aident?
- Un centre supérieur de recherche scientifique allemand nous a financé durant trois ans, et nous travaillons en collaboration avec l’Université de Buenos Aires qui nous aide pour les images de télédétection, grâce à un satellite, parce que nous voulons inclure dans notre analyse les évolutions de l’habitat afin de prévoir celles de notre population d’ours. En fait, la question n’est pas de savoir si la population augmente ou non parce qu’on sait bien qu’elle augmente, mais on sait bien aussi que la population des Asturiens, elle, diminue, et pourtant notre viabilité est plus assurée que celle des ours. C’est dire que l’augmentation en elle-même n’est pas un signe de viabilité.
- Combien y a-t-il d’ours exactement? Parce qu’on ne nous donne jamais les mêmes chiffres, ils vont de 80 à 120.
- Il y a plusieurs façons de faire ce recensement: les unes à partir des femelles avec des petits, d’autres avec des appareils photographiques, ou encore à partir d’études génétiques. Chaque méthode présente des avantages et des inconvénients, mais la fourchette que vous citez n’est pas significative. La discussion ne porte pas sur la valse des chiffres, elle n’est pas significative parce que ce que nous entendons par «une population saine et viable» reste très éloigné du nombre d’ours présents à l’heure actuelle. En réalité, nous ne connaissons pas ce nombre, nous savons qu’il tourne autour de ces chiffres, mais il est difficile de le savoir exactement. Nous avons une limite: c’est que toutes les méthodes de comptage ont une marge d’erreur et d’incertitude.
- Qu’est-ce qui manque alors dans le domaine de la conservation des ours?
- Il faut unir les forces. Il y a de nombreuses administrations concernées, quatre communautés autonomes, un Etat, trois ONG, diverses institutions scientifiques, et je crois que ce qui manque est d’organiser et coordonner tout cela un peu mieux pour rendre plus effectives les actions menées. D’autre part, nous avons toujours défendu l’idée d’arriver à une population naturellement viable, capable de survivre par elle-même, pas ses propres moyens. Nous avons plaidé pour augmenter leur nombre, leur aire de distribution et permettre la connexion des deux populations. Mais aujourd’hui je commence à douter que ce soit possible: je ne sais pas si nous avons l’espace suffisant pour 4 ou 500 ours, où allons nous les mettre?
- Il n’y a pas la place dans les Asturies?
- Il n’ y a pas la place, du moins pas aujourd’hui. Il faudrait que les Asturies disposent de terrains pour les ours, que toutes les autres régions mettent des terrains à leur disposition. Au mieux, c’est impossible. Au mieux, nous nous trouvons dans la situation d’avoir une population toujours sous assistance médicale pour respirer, s’alimenter et se reproduire en interchangeant les mâles.
- Ce qui va dans le sens d’un transfert d’individus de la population occidentale vers l’orientale pour pallier aux problèmes de consanguinité?
- Actuellement la communication entre les deux populations continue à se détériorer. Je défends comme prioritaire l’amélioration de la communication naturelle à travers l’amélioration de l’habitat. D’abord parce que nous avons besoin de territoire pour les ours, et si nous y arrivons, les choses fonctionneront sans avoir besoin de notre présence. Quant au transfert d’individus … qu’est-ce que cela signifie? En transférer un toutes les cinq, dix, ou je ne sais combien d’années? Je crois plutôt qu’en travaillant à l’amélioration de l’habitat nous abordons alors non seulement le problème de l’ours mais celui de l’ensemble de la biodiversité de la Cordillère cantabrique. C’est un problème pour de nombreuses espèces animales, l’isard par exemple, qui se heurte à des difficultés de communication dans la zone centrale. On peut cependant travailler sur les deux projets.
- Et pour l’insémination de Paca et Tola, oui ou non?
- Je n’en sais rien. Il est certain qu’il y a une demande sociale sur le plan sentimental quant à l’avenir de ces deux ourses. Sur le plan de la conservation, il est clair que ce sont les deux seuls exemplaires cantabriques qui existent en captivité. Peuvent-elles contribuer à la conservation? Je crois que oui.
Auteur: María Alonso
Source: La Nueva España 02/11/2005 - Nº 1080 - Asturies
Traduction: B. Besche-Commenge – ASPAP/ADDIP